La séparation du conseil et de la vente est une demande de la Confédération paysanne pour tendre vers la sortie des pesticides – une demande qui nous semble répondre à une attente sociétale. Car la vente de pesticides associée au conseil, notamment dans les grandes coopératives, empêche les paysans d'être réellement autonomes quant à leur manière de travailler – ils ne travaillent qu'avec des produits phyto.
Dans l'élevage laitier, ce ne sont pas les marchands de farine qui vendent l'alimentation animale et qui préparent la ration pour nos animaux. Les experts du service du contrôle laitier de la chambre d'agriculture, – rémunérés par la chambre d'agriculture et le monde paysan – fournissent un conseil aux paysans, selon leur objectif. Ce n'est qu'après ce conseil qu'un paysan choisi l'alimentation de ces animaux. Bien évidemment, les marchands d'alimentation, qui ont tout intérêt à vendre leurs produits, délivrent également des conseils, mais ce ne sont pas les seuls, et les paysans peuvent se faire leur propre opinion.
Puisque nous sommes parvenus à instaurer un tel système, nous imaginions un processus un peu équivalent pour la vente de pesticides, afin de redonner aux paysans leur autonomie – c'est une question importante pour nous –, notamment décisionnelle. Avec, parallèlement, une recherche de la montée en gamme et d'une meilleure réponse aux attentes des consommateurs, permettant de justifier la hausse du prix payé aux paysans. Selon nous, le lien entre le prix payé au producteur et la hausse à la consommation n'est pas établi.
Il s'agit du même débat que nous avons tenu lors des EGA : entre le producteur et le consommateur, il y a l'industrie agroalimentaire et les grandes surfaces qui pourraient, j'en suis certain, non seulement laisser une partie de la valeur ajoutée aux paysans, leur permettant ainsi de mieux vivre, mais également ne pas tout répercuter sur les consommateurs. C'était en tout cas la lecture que nous avions des EGA : que l'on cesse de tirer sur les deux extrêmes de la chaîne.
Concernant nos attentes, cela fait des années que nous parlons de montée en gamme, de production de valeur ajoutée, d'une alimentation de qualité reconnectée aux territoires et aux attentes sociétales et qui doivent permettre de mieux rémunérer les paysannes et les paysans.
S'agissant des droits et devoirs, si nous souhaitons mieux répartir la valeur ajoutée entre tous les maillons de la chaîne, il conviendrait d'abord de mieux identifier sur quoi les uns et les autres se rémunèrent. Or les dérives sont importantes. Mais le monde paysan prend sa part dans ces déviances, puisqu'il a laissé partir la transformation et la coopération – dans beaucoup de régions.
La filière Comté a réussi à conserver la main sur la coopération, la valeur ajoutée créée par la première transformation reste donc entre les mains des paysans ; mais ce n'est le cas quasiment nulle part ailleurs. Et la raison est simple : on explique depuis des années aux paysans qu'il faut produire plus pour produire moins cher. Et que produire plus ne leur laisse pas le temps de transformer. « Produisez et laissez-nous transformer, d'autres s'occuperont de distribuer ».
L'industrie agroalimentaire tire une grande partie de sa rémunération davantage sur sa capacité à mettre la pression sur les producteurs, que sur sa capacité à travailler les process de transformation, à gagner des parts de marché ou à innover. De fait, même regroupés en OP, les producteurs n'ont pas la capacité à endiguer cette mise sous pression.
Or il nous semblait que l'objectif des EGA et du débat législatif était de rééquilibrer les discussions. Malheureusement, ce n'est pas le cas, faute de contraintes, faute de leur faire peur – je ne sais pas si c'est le bon terme – et faute d'appréhension de la part des acheteurs et des distributeurs.
Concernant les mesures qui pourraient nous assurer un juste revenu, nous espérions que la notion de prix abusivement bas soit la notion centrale de la loi. En amont des EGA, la Confédération paysanne a tenu son congrès annuel sur le thème du « Revenu du paysan » et sur la notion d'interdiction de la vente à perte – une interdiction compliquée à mettre en place. Nous nous sommes interrogés sur la façon dont le législateur pouvait procéder, la revente à perte étant illégale, contrairement à la vente à perte.
Il nous semblait que la notion de prix abusivement bas pouvait être recoupée avec la notion d'interdiction de vente à perte. Mais celle-ci ayant été placé, dans une ordonnance, en toute fin du débat législatif, après la mise en place du seuil de revente à perte, et après les négociations commerciales, elle n'a eu aucun effet sur les négociations ni sur la pression qu'elle pourrait générer sur les acheteurs ; au même titre que la charte sur les négociations commerciales, signée il y a deux ans.
Parmi les mesures qui font défaut, toutes ne sont pas du fait de la France. Mais que les seuls éléments de régulation et de maîtrise des marchés en volume soient confiés aux acheteurs par la contractualisation nous semble insuffisant et dangereux. C'est donner beaucoup de poids et de puissance aux industriels qui contractualisent avec nous. Si je prends l'exemple du lait, même si tout n'était pas parfait avec les quotas laitiers, cette régulation évitait aux paysans d'être mis sous pression, sous dépendance des acheteurs, concernant non seulement le prix, mais également les volumes.
La régulation du lait destiné à faire le Comté, par exemple, est l'un des trois-quatre éléments fondamentaux qui permettent un meilleur prix – pas forcément une meilleure répartition, mais un meilleur prix au départ. Les paysans et les industriels craignent de ne pas pouvoir répondre à tous les marchés ; et on nous explique que si nous ne répondons pas, d'autres le feront à notre place. Mais si nous répondons à tous les marchés, le risque est, à terme, que le prix ne suive pas – c'est ce que nous avons vu avec l'arrêt des quotas laitiers, et ce que nous constatons avec l'arrêt des quotas sucriers.
Enfin, concernant les pratiques déloyales, je ne saurai vous répondre. Pratiquent-ils des pratiques déloyales ou n'ont-ils aucune volonté d'avancer sur une meilleure répartition de valeur et sur l'instauration d'outils permettant de faire redescendre de la valeur vers les producteurs ? Nous regrettons l'opacité dans laquelle les contrats entre producteurs et industriels, et industriels et distributeurs, sont signés.
Une meilleure transparence des éléments à partir desquels ils contractualisent nous aiderait : quel volume, quelle part de production agricole fait partie de ce qui est vendu par l'industriel à la grande distribution, etc. ? J'insiste sur la part de la production agricole et le prix de sa vente. Par ailleurs, quelle part d'importation fait partie de ces contrats ? Tous ces éléments nous permettraient de savoir ce qui se passe entre les industriels et la grande distribution et nous aideraient dans nos négociations avec nos acheteurs.