Le rapport que je vais vous présenter est le fruit d'une concertation à laquelle ont participé des parlementaires, essentiellement des députés. Je les en remercie vivement. L'un des intérêts de cette démarche a précisément résidé dans la concertation à laquelle elle a donné lieu, mobilisant activement, outre les parlementaires, des représentants du secteur concerné, des personnes âgées et des professionnels. Ce décloisonnement entre l'ensemble des acteurs s'est avéré particulièrement intéressant. Il s'est doublé d'une consultation citoyenne, de groupes d'expression et de forums régionaux.
Ce rapport a été établi dans un délai assez court. Peut-être n'approfondit-il pas suffisamment certains sujets et mérite-t-il des travaux complémentaires. Cependant, il s'est efforcé d'adopter une vision panoramique du sujet dans toute son ampleur. En témoignent les thèmes des dix ateliers dans lesquels le travail s'est décliné : métiers du soin et de l'aide aux personnes âgées, cadre de vie et inclusion sociale, offre de demain pour les personnes âgées en perte d'autonomie, aidants, familles et bénévolat, prévention et « bien vieillir », hôpital et personnes âgées, panier de biens ou services et reste à charge, parcours des personnes âgées, gouvernance et pilotage, nouveaux financements.
Une immense attente s'est manifestée tout au long de la concertation et continue de s'exprimer à l'occasion de la réception du rapport.
Les constats que nous dressons s'avèrent largement partagés. Ainsi, nous sommes exposés à un défi démographique majeur. Notre pays comptera 4,8 millions de personnes de plus de 85 ans en 2050, soit trois fois plus qu'aujourd'hui. Le nombre de personnes en perte d'autonomie pourrait doubler à la même échéance – prévision toutefois plus incertaine compte tenu des progrès que pourraient réaliser la médecine et la prévention d'ici-là.
La dépense publique liée à la perte d'autonomie des personnes âgées atteint 23,7 milliards d'euros, soit près de 80 % de la dépense totale consacrée à ce domaine, laquelle se monte à 30 milliards d'euros. Ce niveau est certes important, mais reste relativement modeste au regard de l'ensemble des dépenses de protection sociale. Tandis que ces dernières représentent 34,3 % de la richesse nationale, la dépense publique en faveur du grand âge n'en représentait que 1,1 % en 2014. Au total, quelque 3 % de la dépense de protection sociale sont consacrés à la perte d'autonomie.
La comparaison avec les pays étrangers est délicate, car tous ne partagent pas la même définition du sujet. Ainsi l'OCDE retient-elle plutôt le concept de soins de longue durée. Il n'en reste pas moins que la France affiche une dépense publique de protection sociale forte par rapport aux autres pays, mais une dépense publique destinée au grand âge inférieure à celle d'États comme les Pays-Bas, la Suède, le Danemark ou l'Allemagne, en avance sur ces sujets.
Au-delà de ces éléments quantitatifs, les Français manifestent une forte inquiétude quant à la qualité de la prise en charge du grand âge, aujourd'hui pour leurs proches et demain pour eux-mêmes. Nous avons tous connaissance de cas de maltraitance. Ils sont représentatifs d'une certaine réalité, mais en aucun cas du traitement des personnes âgées. Je ne saurais trop dire combien fleurissent les initiatives intéressantes et innovantes, et combien nous comptons de personnels dévoués. L'enjeu de la qualité est néanmoins posé. En outre, nos concitoyens manifestent une certaine insatisfaction quant à la façon dont ce sujet est traité, offrant trop souvent un choix binaire entre l'isolement chez soi et l'isolement entre personnes âgées. Ils aspirent à une autre forme prise en charge, davantage respectueuse du libre choix et de la citoyenneté des aînés, qui préserve leur mode de vie habituel et leur vie en société.
Un deuxième constat, tout aussi fort, est le besoin urgent et prioritaire de revaloriser les métiers du grand âge. C'est un préalable à toute politique de prévention, de qualité ou d'innovation dans ce domaine. Tous les opérateurs que j'ai rencontrés, qu'ils exercent à domicile ou en établissement, témoignent d'une difficulté à recruter et à fidéliser leur personnel. Les métiers d'aide-soignant ou d'auxiliaire de vie manquent d'attractivité. Les conditions de travail jouent un rôle important dans cette situation. En effet, le profil des personnes accueillies en établissement a considérablement évolué en vingt ans. Elles demandent une présence et des soins d'une intensité nettement plus forte qu'hier. Or, l'encadrement n'a pas totalement suivi. De nombreux établissements sont touchés par un absentéisme et un renouvellement du personnel forts, ainsi que par des taux élevés d'accidents de travail et de maladies professionnelles. Quant aux conditions de rémunération, elles sont encore moins attractives pour les personnels opérant à domicile qu'en établissement. En conséquence, les écoles d'aides-soignants ne parviennent pas à remplir leurs classes.
Troisième constat, le reste à charge est globalement maîtrisé à domicile mais demeure important en établissement et insuffisamment corrélé aux capacités contributives des intéressés. Le reste à charge moyen exigé est d'environ 1 850 euros, montant supérieur à la pension de retraite pour trois quarts des personnes concernées. Un certain nombre de retraités possèdent néanmoins un patrimoine non nul. L'un des enjeux pourrait être de mobiliser ce dernier.
Nous constatons une demande générale de simplification de la prestation et de coordination de l'ensemble des acteurs, dans une logique de parcours. Trop souvent, l'entrée dans la perte d'autonomie s'assimile à un enchaînement d'épreuves pour la personne âgée ou l'aidant, non parce que l'offre manque, mais parce qu'elle est mal coordonnée et faiblement accessible. Des efforts et des expérimentations intéressantes ont certes été réalisés sur ces sujets de coordination. Néanmoins, le baromètre des aidants et la concertation font ressortir une très forte attente de simplification des parcours, afin que la coordination et la continuité des soins ne soient pas à la charge de la personne elle-même mais qu'elles soient assurées par l'ensemble des acteurs. De nombreux intervenants gravitent autour d'une personne âgée à domicile. À cet égard, la coordination des acteurs sanitaires et sociaux est un sujet majeur. Ils se connaissent trop peu et ne travaillent pas suffisamment ensemble. Ceci rejoint les préoccupations du projet de loi sur l'organisation et la transformation du système de santé (OTSS), mais avec l'intégration appuyée du secteur social. Je ne saurais trop insister sur la nécessité pour le monde social et le monde médical de dialoguer. Nous devons lutter contre une organisation sanitaire et sociale trop cloisonnée.
À domicile comme en établissement, l'offre est d'une qualité très hétérogène. Certains établissements ont des pratiques remarquables. Des labels incitent d'ailleurs à progresser dans la qualité de la prise en charge, fondée sur une nouvelle relation entre aidant et aidé et assurant un soutien à l'autonomie plutôt qu'une gestion de la dépendance. D'autres prises en charge, d'un niveau insuffisant, sont indignes de notre pays.
Notre pays n'agit pas suffisamment pour la prévention de la perte d'autonomie. Autant il atteint de bons résultats au regard de l'espérance de vie, autant il pèche en matière d'espérance de vie en bonne santé, sans incapacité. Ces résultats médiocres sont vraisemblablement dus à une politique insuffisante de prévention générale de la perte d'autonomie. Les pays d'Europe du Nord, qui déploient de telles démarches de façon beaucoup plus active et précoce, obtiennent des résultats nettement supérieurs face au risque de perte d'autonomie.
Il est nécessaire de soutenir et de renforcer les solidarités de proximité autour de la personne âgée, notamment par l'appui aux aidants. Nous savons tous le rôle difficile que jouent les aidants, parfois au détriment de leur propre santé. Ils ont besoin d'être soutenus. Le droit au répit n'est pas suffisamment exercé, pour des raisons tenant au montage financier du dispositif ou à l'éloignement géographique des lieux d'accueil. Des expériences de répit itinérant sont intéressantes et doivent être généralisées. Au-delà des aidants se pose la question des solidarités de proximité en général. Le sujet des personnes âgées n'interpelle pas uniquement l'État et ne doit pas être réservé à la seule solidarité nationale, aussi fondamentale soit-elle. Des démarches de bénévolat s'en emparent également – citons par exemple l'initiative de l'Association pour la mobilisation nationale contre l'isolement social des âgés (MONALISA). Un changement de société s'impose bel et bien pour développer les liens intergénérationnels et rompre l'isolement des personnes âgées.
J'en viens au dernier constat : il importe d'intégrer la personne âgée dans le cadre de vie général. Notre rapport ne se limite pas à un point de vue médico-social, pas plus qu'il ne réduit la personne âgée à sa perte d'autonomie. Nous invitons à considérer les aînés comme des personnes à part entière, ayant une place dans la ville, le territoire et la société – et ce, jusqu'au terme de leur vie. Aussi le sujet du grand âge doit-il être mieux pris en compte dans les politiques d'habitat, de transport, d'accès au service public et plus largement dans tous les aspects de la vie en société.
Fort de ces constats, notre rapport émet 175 propositions, toutes complémentaires et se renforçant mutuellement. C'est donc une réforme systémique que nous proposons. À titre d'illustration, la revalorisation des métiers permettra d'agir plus efficacement dans la prévention ; la meilleure coordination des parcours évitera des hospitalisations ; le développement de l'accessibilité favorisera le maintien à domicile, etc. Toutes nos recommandations bâtissent une cohérence globale, qui donne sens à la nouvelle prise en charge de la personne âgée que nous appelons de nos voeux. Il serait extrêmement regrettable d'en faire une application partielle.
Notre rapport pose un préalable : la nécessité de changer le regard sur la personne âgée et d'affirmer sa citoyenneté pleine et entière. Nous soumettons des propositions concrètes pour favoriser le lien intergénérationnel en mobilisant davantage le service civique, en tirant profit du service national universel ou en soutenant les initiatives de solidarité de proximité comme celle de MONALISA. Nous préconisons la diffusion d'une culture de la vigilance et de l'attention dans l'ensemble des lieux accueillant du public. Il importe également de supprimer les zones blanches de la mobilité et de renforcer la responsabilité de l'intercommunalité sur ce sujet.
Nous recommandons d'investir dans l'attractivité des métiers du grand âge, à domicile comme en établissement. Plusieurs pistes doivent y contribuer : l'amélioration des conditions de travail, l'accompagnement d'une montée en compétences de l'ensemble des professionnels, l'accès facilité aux métiers du grand âge, l'ouverture des perspectives de carrière, ou encore l'évolution des grilles salariales. Le tout doit être piloté de manière transversale, par une véritable politique de filière. Je me réjouis qu'à la réception de ce rapport, la ministre des solidarités et de la santé ait immédiatement annoncé qu'elle identifiait là une priorité, et qu'elle désignerait le pilote d'un plan national pour les métiers du grand âge. Une filière doit bel et bien être construite, réunissant des personnels de statuts différents : fonction publique hospitalière ou territoriale, personnels relevant des conventions collectives du secteur privé lucratif ou non lucratif. Il est nécessaire d'avoir une vue globale de cet ensemble.
Par ailleurs, nous préconisons d'augmenter de 25 % le taux d'encadrement en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) d'ici à 2024, par rapport à la situation de 2015. Ce taux se rapporte au personnel proche de la personne en EHPAD, hors fonctions administratives. Cette mesure demandera un certain temps pour se concrétiser, parallèlement à l'effort de renforcement de l'attractivité des métiers du grand âge. Nous estimons que cette dynamique doit être engagée très rapidement.
Nous proposons de généraliser la fonction de responsable d'unité de vie pour les aides-soignants en établissement. Selon les modes d'organisation retenus, il arrive en effet que ces professionnels soient quelque peu laissés à eux-mêmes, sans hiérarchie intermédiaire. Ailleurs, des petites unités de vie comptent un cadre chargé de la qualité, parfois appelé gouvernant, qui assure la continuité du niveau de prise en charge. Ce poste constitue aussi un débouché pour les aides-soignants, tandis que les perspectives d'évolution manquent aujourd'hui pour ces personnels. Notez que l'hétérogénéité de la qualité vaut parfois au sein même d'un établissement. C'est pourquoi il paraît essentiel d'assurer une plus grande continuité de la qualité.
Au-delà de la revalorisation des métiers, la deuxième priorité identifiée par le rapport est de permettre aux personnes âgées de choisir librement de rester à domicile. Cela suppose de répondre à l'ensemble de leurs besoins d'accompagnement, d'assurer la viabilité, la qualité et l'attractivité des prestations, de renforcer l'intégration entre le domicile et l'établissement, et enfin de mieux articuler les différentes interventions à domicile. À cette fin, il convient de revoir le mode de tarification des services d'aide à domicile, qui fonctionnent actuellement exclusivement sur une base horaire. Aujourd'hui, n'est considéré comme service que le face-à-face avec la personne âgée. Or la prestation recouvre d'autres dimensions, insuffisamment valorisées, comme la formation du personnel et les temps de coordination. Aussi préconisons-nous une réforme du financement des services d'aide à domicile.
Nous proposons en outre une nouvelle prestation d'autonomie à domicile, afin d'accroître le recours aux aides techniques et aux solutions de répit, humaines ou matérielles. Aujourd'hui, le droit au répit ne peut être demandé qu'en situation de saturation du plan d'aide. Le recours à ce dispositif s'en trouve complexifié.
Les solutions complémentaires d'accueil doivent être généralisées pour étayer le maintien à domicile. Lors de la concertation, un certain nombre de présidents de conseils départementaux ont évoqué l'accueil familial, solution intéressante mais ayant besoin d'être accompagnée par un soutien des établissements. Demain, ces derniers devraient être des centres de ressources pour les territoires, et plus seulement des lieux d'hébergement. Ils devront apporter leur support aux solutions de maintien à domicile. Il sera de surcroît nécessaire de déployer des solutions intermédiaires telles que l'hébergement temporaire en EHPAD ou l'accueil de jour ou de nuit, offrant une aide temporaire et laissant ouverte la perspective d'un retour à domicile. Dans tous les cas, la fluidité doit être de mise.
Notre troisième priorité réside dans le pilotage par la qualité et pour la qualité. Nous recommandons d'encourager et de soutenir financièrement la démarche d'amélioration de la qualité de service, en établissement comme à domicile. Il importe également d'investir pour rénover les établissements. Je me permets d'insister sur ce point : un trop grand nombre d'établissements, notamment publics, sont vétustes. Or, on ne peut dispenser une prise en charge digne ni offrir des conditions de travail de qualité dans un environnement dégradé. Il faut accepter d'investir sur ce sujet. Le secteur privé y procède, mais applique en conséquence des tarifs d'hébergement élevés et inaccessibles à une large partie de la population. Le secteur public souffre souvent d'une forme d'atomisation de son organisation. Il a besoin d'être mieux structuré et de disposer de locaux rénovés, propices à l'accueil et plus ouverts.
Les démarches de labellisation de la qualité des établissements doivent être promues. La Haute Autorité de santé (HAS) lance d'ailleurs un travail sur la certification des établissements de santé, laquelle devrait être opérationnelle en 2021. Nous y voyons une piste très importante. Il convient en outre d'imposer des indicateurs de qualité obligatoires et d'informer le grand public des résultats afférents.
La simplification du pilotage des établissements, notamment par la fusion des sections budgétaires relatives aux soins d'une part, et à la dépendance d'autre part, nous semble un gage de la qualité future. L'éclatement actuel des financements ne permet pas suffisamment de travailler sur la qualité. Nous préconisons de surcroît la création d'un « fonds qualité » destiné aux établissements et aux structures d'accompagnement et de soins à domicile.
La priorité suivante tient au parcours des personnes âgées et vise à mettre fin aux silos afin de simplifier la vie des personnes. Nous recommandons la mise en place d'un guichet unique du grand âge, que nous appelons « maison des aidés et des aidants ». Cette entité devra regrouper l'ensemble des services existant dans les secteurs social et sanitaire : centres locaux d'information et de coordination gérontologique (CLICg), méthodes d'action intégration autonomie (MAIA), filières gériatriques, etc. Elle devra s'articuler avec les guichets uniques portés par la loi OTSS. J'insiste sur le fait que la maison des aidés et des aidants devra être un guichet unique tout à la fois social et sanitaire, conjuguant véritablement ces deux volets.
Une fois que la personne âgée a franchi le seuil de la perte d'autonomie, une coordination doit s'instaurer tout au long de son parcours. La prise en charge doit offrir des solutions graduées, au gré des dégradations successives. Elle doit commencer par de la prévention afin de limiter la perte d'autonomie, et reposer ensuite sur une coordination des acteurs. Nous proposons notamment de généraliser les plans personnalisés de santé, qui permettent aux intervenants sanitaires et sociaux d'avoir une vue partagée du parcours, de la situation de santé et du plan de santé de la personne. Les expérimentations qui en ont été menées ont produit des résultats positifs.
Nous proposons de définir dans la loi « un droit commun au parcours de santé » : la coordination et la continuité des soins doivent devenir un droit des personnes âgées. Aujourd'hui, elles sont trop souvent optionnelles.
Une série de mesures avancées par le rapport touchent à l'hôpital. En effet, l'arrivée d'une personne âgée aux urgences constitue un risque notoire. Comme nous l'expliquait le directeur d'un centre hospitalier universitaire, le meilleur hôpital, pour la personne âgée, est celui qu'on lui évite de fréquenter, où elle reste le moins longtemps et où elle est accueillie par un autre service que les urgences. Nous recommandons ainsi de créer une filière d'admission directe pour les personnes âgées et de former à la culture gériatrique l'ensemble des personnels de l'hôpital. Des équipes mobiles de gériatrie doivent être déployées sur les lieux de vie des personnes pour appuyer le maintien à domicile et éviter l'hospitalisation. Tous ces éléments nous semblent extrêmement importants pour construire un parcours et une continuité de prise en charge de la personne.
Une nouvelle offre doit voir le jour pour concrétiser le libre choix des personnes et proposer une vraie alternative. L'EHPAD doit s'ouvrir sur son territoire et proposer des services aè destination de la population prise en charge aè domicile. L'offre doit de surcroît être rééquilibrée entre les territoires. Parmi nos propositions figure la création d'un nouveau statut d'établissement territorial pour les personnes âgées, qui délivrerait tout à la fois des services d'hébergement et de maintien à domicile. Le décloisonnement est, de fait, l'un des maîtres-mots des préconisations du rapport. Par ailleurs, les « résidences autonomie » et « résidences services » ont une fonction très importante et doivent être intégrées au dispositif.
Il est important de préciser que le rapport a été construit avec des personnalités extérieures mais aussi des administrations d'État, et qu'il a pris en compte les contraintes pesant sur les finances publiques. Aussi nous sommes-nous efforcés de prioriser nos recommandations.
Concernant le reste à charge, il nous semble prioritaire de réduire la contribution des personnes modestes. Nous préconisons de concentrer l'effort sur cette population. La révision des prestations que nous proposons a pour conséquence d'abaisser le reste à charge d'environ 300 euros pour les personnes dont le revenu est compris entre 1 000 et 1 600 euros. Nous suggérons en outre des aménagements de l'aide sociale à l'hébergement, dans le but d'harmoniser les pratiques entre les départements. L'obligation alimentaire pour les petits-enfants pourrait être supprimée et le reste à vivre des personnes devrait être augmenté. Enfin, pour les personnes restant très longtemps en EHPAD, un « bouclier » devrait être créé pour transférer la charge financière des familles vers la collectivité.
J'en viens à la priorité que constitue la lutte contre l'isolement de la personne âgée et des aidants. Nous voulons faciliter les démarches des proches aidants et favoriser la conciliation de ce rôle familial avec la vie professionnelle. Dans notre pays, cette conciliation entre vie familiale et vie active est de mise pour la garde d'enfants. Elle est intégrée aux négociations sociales au sein des entreprises ou des branches professionnelles. En revanche, le monde professionnel ne reconnaît guère la contrainte que représente la prise en charge par un salarié d'un parent âgé dépendant. Aussi, nous recommandons de faire de la conciliation du rôle d'aidant et de la vie professionnelle un sujet obligatoire du dialogue social et un critère de responsabilité sociale des entreprises. Il nous paraît également important d'indemniser le congé de proche aidant. Citons enfin la simplification des démarches qu'induirait la création de maisons des aînés et des aidants, ou encore la mobilisation des conférences de financeurs pour soutenir les initiatives innovantes de soutien aux aidants.
Autre priorité, il nous semble capital de fixer un objectif collectif d'augmentation de l'espérance de vie en bonne santé, et par conséquent de renforcer la prévention. Tout comme la coordination des parcours, une prévention plus active peut éviter des coûts élevés et constituer un facteur d'économie. Certaines de nos propositions visent à renforcer le pilotage de la politique de prévention, à développer des cultures de métier partagées, ainsi qu'à inscrire le repérage de la fragilité dans les pratiques de chaque acteur susceptible d'être en contact avec une personne âgée. Il importe en outre de développer les recherches fondamentale et clinique sur le vieillissement. Entre autres pistes, l'activité des gérontopôles doit être mieux structurée.
J'en arrive au financement de ce dispositif, étant entendu que de nombreuses mesures du rapport ne sont pas de nature financière. Néanmoins, la crédibilité du plan tiendra aussi aux moyens qui lui seront accordés. Nous évaluons à 9 milliards d'euros l'augmentation nécessaire du financement à l'horizon de 2030, dont 6 milliards d'euros correspondant à des mesures nouvelles et 3 milliards d'euros résultant d'évolutions démographiques. La dépense publique en faveur du grand âge passerait ainsi de 1,2 % à 1,6 % du PIB entre 2018 et 2030. Cet effort n'est pas négligeable, mais doit être mis en regard avec des dépenses de protection sociale qui atteignent 34 % du PIB. Sur la durée, cet objectif nous semble donc acceptable.
Nous jugeons important que demain, le financement soit assuré par des ressources claires, affectées au risque de perte d'autonomie dont nous proposons qu'il soit identifié comme tel dans la loi de financement de la sécurité sociale. En cela, nous rejoignons un amendement de votre rapporteur général sur l'objet de la loi de financement de la sécurité sociale dans le cadre de la révision constitutionnelle. Le principe des recettes affectées contribuera, de notre point de vue, à la lisibilité, à la crédibilité et à l'acceptation du dispositif par les Français, à une époque où d'aucuns doutent de l'utilité des prélèvements publics.
La contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) arrivera à échéance en 2024, libérant quelque 24 milliards d'euros. Nous proposons qu'une partie de cette somme soit affectée au financement de la perte d'autonomie à compter de 2024. Cette contribution généralisée aurait la même assiette que la CRDS et s'y substituerait donc en partie. Cette mesure n'est pas neutre au regard des critères de convergence du traité de Maastricht. Aujourd'hui en effet, seul le paiement des intérêts de la dette sociale est comptabilisé comme une dépense publique au sens des traités européens, le reste du produit de la CRDS constituant une contribution au désendettement. Demain, les dépenses que couvrirait cette nouvelle contribution sociale constitueraient de nouvelles dépenses publiques, ce qui augmenterait le déficit public au sens du traité de Maastricht. Quoi qu'il en soit, le remboursement de la dette sociale prendra fin en 2024. Notre proposition n'induit donc pas de dégradation.
Avant 2024, le sujet est plus complexe, d'autant que les excédents de la sécurité sociale anticipés par la loi de financement pour 2019 seront plus longs à apparaître qu'escompté. Je suis néanmoins optimiste quant à leur survenance. Ce retard s'explique par une conjoncture économique un peu moins favorable que prévu – quoique les derniers signes ne soient pas si négatifs – et par l'impact qu'ont eu les mesures prises par le gouvernement sur la dépense publique. D'ici à 2024, il me paraît crédible de mobiliser des excédents de la sécurité sociale. Du reste, certaines branches sont déjà excédentaires. Les excédents peuvent aussi être dégagés par des mesures de maîtrise de la dépense. Nous n'excluons aucunement cette hypothèse, parallèlement à la mobilisation d'une partie du fonds de réserve pour les retraites, notamment pour la rénovation des EHPAD.
Notre rapport retient donc deux options fortes : ne pas instaurer de nouveau prélèvement obligatoire, et ne pas recourir à l'assurance privée en substitut de la solidarité nationale. L'assurance privée peut néanmoins avoir sa place dans le dispositif à titre complémentaire, de même que des formules de viager modernes permettant de mobiliser le patrimoine.
Enfin, la gouvernance est un sujet compliqué faisant intervenir de nombreux acteurs. Elle est souvent vécue comme consommatrice en temps au niveau local.
Sur le plan national, ainsi que je l'ai expliqué, nous proposons de reconnaître un risque de perte d'autonomie en tant que tel. Sur le plan local, nous proposons de mieux articuler la relation entre les agences régionales de santé (ARS) et les départements. Le rôle du département à l'égard du cadre de vie de la personne âgée serait conforté. Par ailleurs, nous invitons les départements et les ARS à construire conjointement les maisons des aidés et des aidants, en assurant la conjonction des secteurs sanitaire et social. Les EHPAD auraient un interlocuteur unique dans la section des soins et de la dépendance, sur financement fusionné. Cet interlocuteur serait a priori l'ARS, sans interdire des expérimentations dans lesquelles le département assumerait ce rôle.