Le Brexit s'apparente de plus en plus à ce fameux film intitulé Un jour sans fin, dans lequel un héros malgré lui, campé par Bill Murray, se réveille tous les matins pour revivre éternellement le même jour, sans aucune issue à l'horizon. Depuis le 23 juin 2016, date du référendum qui a vu les Britanniques voter à 52 % pour le Brexit, c'est sans doute ce que doivent ressentir un bon nombre de citoyens britanniques au regard de l'impasse dans laquelle se trouve le Royaume-Uni.
Voilà donc que deux ans après ce vote de sortie de l'Union européenne, le Royaume-Uni s'apprête à voter pour les élections européennes de la fin du mois, comme l'a confirmé son Gouvernement mardi dernier. Le moins que l'on puisse dire, c'est que nos amis britanniques ont le sens du suspense !
Il ne nous revient pas, de ce côté-ci de la Manche, de juger les discussions au sein du Parlement britannique en vue d'un accord pour l'instant introuvable, mais force est de constater que tout cela résulte d'une certaine impréparation de la part des tenants du Brexit. « Rien de plus facile ! », tonnaient-ils pourtant devant leurs électeurs, bien loin du flegme auquel les Britanniques nous avaient habitués. Et n'oublions pas que les électeurs anglais ont entraîné dans leur sillage les Écossais et les Irlandais du Nord, qui, eux, ont majoritairement voté contre le Brexit.
Ce vote a également des conséquences importantes pour les autres pays de l'Union européenne, englués depuis deux ans dans des négociations à n'en plus finir. Le projet européen semble ainsi à l'arrêt. Beaucoup de questions se posent, par conséquent, sur la présence de parlementaires britanniques au sein du Parlement européen et sur le fait que le gouvernement britannique puisse encore avoir, théoriquement, voix au chapitre au sein du Conseil européen et bloquer certaines mesures qui iraient à l'encontre des intérêts britanniques.
Mis devant le fait accompli, nous n'avons d'autre choix que de prévoir toutes les conséquences de la situation d'enlisement actuelle, notamment électorale, à seulement deux semaines du scrutin. C'est l'unique raison de ce projet de loi, qui vise à prévoir les modalités d'entrée en fonction des cinq parlementaires européens supplémentaires que la France s'est vu attribuer sur le quota britannique. En effet, le Conseil européen avait réparti 27 des 73 sièges qui revenaient jusqu'alors au Royaume-Uni entre quatorze États membres, en fonction de leurs populations respectives et des précédentes répartitions. La France ayant ainsi obtenu cinq sièges supplémentaires par rapport à la législature 2014-2019, le nombre de ses représentants doit passer de 74 à 79.
Ce projet de loi prévoit donc que ces cinq candidats, dont l'entrée en fonction serait différée jusqu'à la sortie effective du Royaume-Uni de l'Union européenne, seront désignés, dans le cadre de la proclamation des résultats, par la commission nationale de recensement des votes instituée par la loi du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen. Ils figureront dans la décision de proclamation des résultats publiée, au plus tard, le jeudi suivant le jour du scrutin. Nous estimons qu'il est en effet de bon sens de proclamer ces résultats au plus vite et non à la date effective d'un hypothétique Brexit, et ce pour deux raisons.
La première est que nous serons encore dans le vif de la campagne des élections européennes, donc mieux à même de capter l'intérêt de nos concitoyens quant à cette conséquence inédite, qui aura donc été actée au même moment que l'élection des députés « titulaires ». Le travail de la commission nationale pourra, dès lors, se faire en toute transparence.
Deuxièmement, à partir du moment où les règles de désignation sont connues, en repousser la proclamation n'aurait pas de sens puisque chacun, depuis chez soi, pourrait alors prendre sa calculette et connaître à quelles listes reviendront les sièges. Cela reviendrait, en somme, à remettre à plus tard ce que l'on peut faire le jour même.
Si la proclamation des candidats concernés aura lieu très rapidement, leur entrée en fonction n'interviendra qu'à la date du retrait effectif du Royaume-Uni. Avant cette date, ils sont assimilés à des suivants de liste, positionnés immédiatement après le dernier candidat de leur liste entré en fonction. Ainsi, le cas échéant, ils remplaceront un représentant dont le siège devient vacant. Dans ce cas, ils seront eux-mêmes remplacés par leurs suivants de liste, dans les mêmes conditions. Ce mécanisme nous semble juste, pour peu que la commission nationale et les divers commentateurs veillent, dans leur communication auprès des électeurs, à préciser que les candidats placés dans cette situation au lendemain du vote ne seront pas forcément ceux qui n'entreront en fonction qu'en cas de Brexit. Il s'agira, ni plus ni moins, de préciser que telle ou telle liste bénéficiera d'un bonus dans le cadre d'une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne.
Estimant que la rédaction de l'alinéa 1 de l'article unique pourrait être plus claire, nous soutenons l'amendement de la rapporteure qui propose une nouvelle rédaction de l'article et apporte certaines précisions, notamment sur la prise en compte des incompatibilités.
Comme je l'ai dit, ce projet de loi ne résulte pas d'une situation que nous avons choisie, mais de celle dans laquelle nous mettent nos voisins britanniques. Dans ces moments troublés, il convient de préserver l'avenir et de faire en sorte de maintenir les meilleures relations possibles avec nos voisins, qu'ils soient anglais, gallois, écossais ou irlandais. Et si, comme dans le film Un jour sans fin, la solution, pour sortir de cette impasse, n'était pas de renforcer les liens de l'Union européenne avec le peuple britannique ?
Car, et c'est peut-être là le point essentiel, le Brexit révèle, à l'évidence, une crise de l'idée européenne, mais aussi des États-nations, des États européens. Ces États se sont progressivement constitués, pour la plupart d'entre eux, à partir du XVIe siècle. Et, souvent, ils ont prétendu construire une Europe à leur image. C'est ce qui s'est passé avec les Habsbourg, puis avec Louis XIV et Napoléon, mais aussi avec Adolf Hitler. Chaque fois, le pays le plus puissant en Europe entend mettre l'Europe à sa botte. Mais cela ne marche pas.
Au point que c'est en 1945, alors que les Européens de l'Ouest étaient dominés par des pays quasiment extra-européens – quasiment, parce que les États-Unis nous sont proches quant à la civilisation et que la Russie, au moins dans sa partie occidentale, appartient à l'Europe – et l'Allemagne occupée par des armées étrangères, qu'est née l'idée européenne. C'est-à-dire que ce sont les États européens qui nous avaient conduits au chaos !
Aujourd'hui, ces États se cherchent ; entre l'Europe d'un côté et les régions de l'autre, ils ont bien du mal à inventer un nouvel eldorado, un avenir. Une illustration claire en est fournie par le Brexit, où l'on voit le nationalisme anglais se heurter à d'autres visions.
Que fera l'Écosse, en effet, quand viendra le Brexit ? Il y a fort à parier qu'elle redemandera un référendum sur son indépendance et que, cette fois, elle le remportera ; elle demandera donc à intégrer l'Union européenne. De sorte que si les États se détruisent en quelque sorte, l'idée européenne, elle, perdure. Le même problème va se poser pour l'Irlande du Nord, sans doute le pays sur lequel le Brexit aura le plus de conséquences, à cause de la fameuse frontière que nos amis irlandais ont très peur de voir réapparaître, et avec elle la guerre civile qu'ils ont vécue des années soixante au Good Friday de 1998. La question du statut de l'Irlande du Nord risque d'être soulevée à un moment donné. Les Gallois sont travaillés par les mêmes interrogations.
On pourrait croire qu'il s'agit d'une question uniquement britannique ; mais ce n'est pas le cas. Voyez l'Espagne, la crispation à propos de la Catalogne et la manière dont des éléments « espagnolistes » utilisent la justice pour maintenir en prison depuis deux ans des personnes qui ont été librement élues sur un programme.
On voit bien pourquoi les nationalismes des grands États peinent à composer avec l'Europe : celle-ci suppose de négocier à plusieurs alors qu'ils ont déjà du mal à le faire avec leurs propres régions. Et la France n'est pas exempte de ce travers : les Corses défendent des revendications que je juge relativement modérées, mais qui ne trouvent aucun écho à Paris. C'est à mes yeux une erreur. Car nous avons à inventer une forme nouvelle d'intégration européenne – sans quoi les différents États européens seront tout simplement dominés par des pays extra-européens.
Nous avons, d'une certaine façon, de la chance : l'histoire – la révolution industrielle a commencé dès la fin du XVIIIe siècle au Royaume-Uni – nous a donné une force tout à fait exceptionnelle, qui a permis à nos pays de devenir de grands pays coloniaux, lesquels ont dominé le monde. Mais il faut être conscient du fait que cette époque est révolue. Quand les Chinois, comme les Indiens, sont plus d'un milliard, la France pèse 1 % de la population mondiale.
J'en appelle donc à vous, mes chers collègues : soyons lucides quant aux enjeux et à la nécessité d'évoluer en étant à la fois plus européens et plus locaux.