Intervention de Pascal Brindeau

Séance en hémicycle du lundi 13 mai 2019 à 21h30
Transformation de la fonction publique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascal Brindeau :

La fonction publique est au coeur de notre vie démocratique – beaucoup l'ont déjà dit – mais aussi des attentes de nos concitoyens, comme les conclusions du grand débat l'ont une nouvelle fois prouvé. C'est pourquoi nous devons aborder sa réforme avec une vigilance et un soin particuliers, à la hauteur de ce qu'elle représente dans notre pays en matière de service rendu à nos concitoyens, d'emploi ou encore de cohésion sociale.

Le projet de loi vise à transformer la fonction publique. Les trois versants de celle-ci recouvrent cependant des missions de service public très diverses, qui relèvent de corps et de métiers multiples. Malgré tout, il est possible et même indispensable de parler d'une fonction publique, dont la logique d'ensemble est la même : c'est le service public.

Son histoire en France vient d'être largement rappelée, avec une grandiloquence dont je n'userai pas. Ses principes et sa finalité font du secteur public, de la fonction publique, un champ juridique et social bien particulier ; ils confèrent à ceux qui exercent ces missions des responsabilités particulières : neutralité, indépendance, laïcité, égalité de traitement des usagers sont à la fois des valeurs, des droits et des devoirs qui régissent, encadrent et protègent la mission des agents publics au quotidien.

Le statut de la fonction publique a sa raison d'être : c'est un point qu'il ne faudra pas perdre de vue dans la suite de nos débats. Cependant, le groupe UDI, Agir et Indépendants ne le considère pas comme intangible ; il ne doit pas être figé. Personne ne conteste la nécessité de faire évoluer l'environnement, les métiers, les missions des agents de la fonction publique ; de nos jours, les mobilités, dans le temps et dans l'espace, sont de plus en plus souvent réclamées, et de nouveaux métiers ont vu le jour, nécessitant de nouvelles compétences. Ce sont là autant de nouveaux enjeux qui exigent de la fonction publique qu'elle change.

De plus, les attentes de nos concitoyens, fortement exprimées ces derniers mois, d'une plus large intervention publique, d'un retour à des services publics de proximité, mais sans augmentation de la pression fiscale, font de l'avenir de la fonction publique un véritable défi.

Il est indispensable d'agir ; le Gouvernement a choisi l'action, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. Cependant, de manière fort regrettable, son action est aux antipodes de ce qu'elle devrait être. Ce qui nous a été présenté comme une grande concertation de plus d'un an a entraîné la crispation et l'opposition de l'ensemble des organisations syndicales. La méthode comme les objectifs ne sont pas clairs, et donc pas compris.

À la lecture du projet de loi, on ne peut que constater des incohérences. S'agissant du recrutement des contractuels, vous dites vouloir attirer les talents, mais il faudra alors les rémunérer mieux que les fonctionnaires ; or vous dites aussi souhaiter faire des économies.

Ensuite, vous semblez prendre le chemin de la pénalisation des contrats courts dans le secteur privé, tout en encourageant leur usage dans le secteur public, grâce notamment au nouveau contrat de projet.

Sur de nombreux points, vous dites vouloir transposer le droit du travail, mais vous n'allez jamais au bout de votre logique, en particulier lorsque ce droit s'avère plus protecteur que celui de la fonction publique. Vous mettez en place une rupture conventionnelle pour les fonctionnaires, alors que leur emploi ne s'appuie nullement sur la logique du contrat.

Le texte souffre également de certains manques. Le projet de loi qui nous est présenté est partiel et donne parfois le sentiment que le Gouvernement navigue à vue.

Ainsi, vous n'abordez le recrutement que sous l'angle des contractuels, mais vous ne traitez ni des concours, ni de l'apprentissage, ni de l'attractivité de la fonction publique de demain. Vous n'abordez ni la question des grilles de salaire ni celle du pouvoir d'achat des fonctionnaires. Vous expliquez vouloir transformer la fonction publique ; mais le texte est muet sur ces points majeurs. De même, vous n'évoquez aucune logique d'ensemble du déroulement des parcours professionnels et de la formation.

D'autres enjeux cruciaux, comme la protection sociale des agents, sont renvoyés aux ordonnances, ce dont nous ne pouvons nous satisfaire, même si, monsieur le secrétaire d'État, vous vous êtes déclaré ouvert à l'idée d'associer la représentation nationale à leur élaboration. Nous serons vigilants sur ce point, en espérant que cette association ne se limitera pas aux parlementaires de la majorité.

Vouloir mener à bien une réforme de la fonction publique dans son ensemble, comme vous en avez l'ambition, n'est pas anodin et commande de s'astreindre à une particulière rigueur. Or vous nous avez présenté un texte à trous. Des éléments nouveaux ont été ajoutés en commission, ce dont nous nous félicitons, car ils ont amélioré le texte initial ; d'autres le seront en séance, à tel point que l'on finit par s'interroger sur le degré d'impréparation du texte. La discussion parlementaire est bien sûr là pour apporter modifications et améliorations, mais avouez qu'autant de modifications entre le texte présenté en conseil des ministres et celui qui résultera de sa première lecture laissent rêveur. Nous sommes plus proches d'un texte de gribouille que d'une vraie vision de la fonction publique du futur.

Je voudrais également insister sur l'absence de réponse aux attentes de nos concitoyens. Vous n'avez pas voulu attendre quelques semaines de plus pour nous proposer un projet qui intègre les demandes du grand débat. La nécessité de résorber les déserts de service public n'est jamais évoquée ; vous n'apportez aucune solution pour développer les services dans les territoires. Pourtant, c'est bien cela, l'attente primordiale de nos concitoyens. Il ne reste finalement que les promesses des dernières annonces du Président de la République. Reconnaissez, de plus, que leur calendrier vient perturber celui de la discussion de ce texte, et permettez-moi d'être une nouvelle fois perplexe sur la méthode.

Une lecture plus minutieuse du texte appelle l'attention sur certaines mesures, qu'elles soient positives ou sujettes à débat.

Le titre Ier vise à « promouvoir un dialogue social plus stratégique ». Mais, monsieur le secrétaire d'État, quelle est cette stratégie ? En effet, comme nous l'avons déjà évoqué en commission, vous videz quasiment les commissions administratives paritaires de leurs compétences, vous supprimez la spécificité des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, et vous proposez des mesures par ordonnance. Ces procédés démontrent une grande volonté de rationalisation ; vous voulez opérer un copier-coller du droit du travail. Mais, ce faisant, vous n'obtiendrez nullement l'amélioration du dialogue social au sein de la fonction publique. En supprimant les compétences des CAP pour les mobilités, les mutations ou l'avancement, vous allez engager des rapports conflictuels, supprimer un modérateur et donner naissance à une méfiance qui n'existait pas jusqu'ici. Concernant la fusion des CHSCT et des comités techniques, vous prenez l'énorme risque de dévaloriser une instance spécialisée, certes récente dans la fonction publique, mais qui marche.

Les risques psychosociaux n'ont jamais été si présents : dès lors, il n'apparaît pas opportun de fusionner les instances, car cela irait au détriment de leur efficacité et de leur spécificité. De plus, les CAP comme les CHSCT sont des instances vouées à traiter des questions individuelles et particulières ; elles sont précieuses par leur proximité avec les agents. Je ne m'attarderai pas plus sur ce chapitre, car mes arguments ne sont pas nouveaux : tous les syndicats ont évoqué ces questions, ainsi que tous les groupes en commission. Malheureusement, nous n'avons pas été entendus, et vous avez refusé d'infléchir votre position. Le groupe UDI, Agir et Indépendants a toutefois déposé de nouveau certains amendements, afin de relancer la discussion, car les difficultés qui seront engendrées par ce titre Ier sont réelles.

Concernant le recours au contrat, nous n'y sommes pas fermés, évidemment. Nous sommes conscients qu'ont émergé de nouveaux besoins, donc de nouveaux métiers et de nouvelles compétences. En revanche, nous demandons plus de garanties. Nous prenons acte de l'avancée concernant la rupture conventionnelle, désormais mieux encadrée, grâce au vote d'un amendement déposé par Mme la rapporteure. Cependant, le texte ne remédie pas à la précarité. La moindre des choses serait d'accorder une indemnité de précarité de manière systématique à tous les CDD – comme le code du travail le prévoit d'ailleurs. Il paraît assez incompréhensible d'en exclure les contrats de projet. Évidemment bloqués par les règles de recevabilité financière, nous ne pouvons déposer d'amendement en ce sens, mais nous avons fait en sorte que le débat puisse au moins avoir lieu. Cette nouvelle précarité ne sera jamais gage d'une plus grande efficacité de nos services publics. Les employeurs publics doivent, je le crois, être exemplaires sur ce point, pour ne jamais niveler la réglementation du travail par le bas. Les nouvelles marges de manoeuvre qui leur sont offertes sont légitimes si elles s'inscrivent dans un cadre protecteur des agents publics.

S'agissant de la déontologie, de la transparence et de l'égalité entre les femmes et les hommes, nous sommes bien sûr très favorables aux mesures contenues dans le projet de loi, ainsi qu'aux nouvelles avancées obtenues en commission.

Il est temps que la haute fonction publique fasse l'objet de mesures permettant d'assurer la clarté de son fonctionnement. Toutefois, certains membres de notre groupe proposent d'aller encore plus loin dans ces évolutions. La transparence ou l'encadrement ne doit pas concerner que les autorités administratives indépendantes. De même, si l'on peut considérer qu'un écrêtement sur le cumul emploi-retraite serait une avancée, il nous paraît préférable d'interdire clairement ce cumul.

Concernant l'égalité entre les femmes et les hommes, ces mesures sont si importantes que tous les agents doivent pouvoir en bénéficier. Nous proposerons des amendements en ce sens, même si je n'ignore pas que les dispositions qui nous sont proposées sont issues d'un accord avec les organisations syndicales.

Mais décortiquer le texte mesure par mesure n'a en réalité pas vraiment de sens si l'on n'a pas une compréhension d'ensemble de ces mesures. Et c'est ici que le bât blesse, monsieur le secrétaire d'État : vous nous présentez un texte dont on peine à comprendre la portée politique réelle. Et vous ne l'expliquez pas ; lorsque la question vous est posée, vous l'éludez. Il est pourtant essentiel de mieux nous éclairer sur votre projet : il est important de savoir dès aujourd'hui ce que nous souhaitons soutenir ou rejeter à long terme.

Vos choix politiques ne sont pas clairs ; quels sont vraiment vos objectifs ? Multiplier les recours au contrat, tout en affirmant préserver le statut, ce n'est pas transparent.

Si l'on s'interroge sur les fonctionnaires, il faut assumer les conséquences des réponses qui peuvent être apportées. Car la question de la fonction publique n'est pas autonome ; elle engage celle de la présence ou du recul de l'État dans les territoires, et cette question-là engage à son tour la vision que nous avons du service public, et des réponses à apporter aux besoins quotidiens de nos concitoyens. Par exemple, le nouveau contrat de projet est-il là pour subvenir à quelques besoins pratiques nouveaux, ou devient-il une porte béante vers l'inconnu ? Si le recours au contractuel devenait la règle plutôt que l'exception, y mettriez-vous un coup d'arrêt, ou bien cette nouvelle fonction publique contractualisée, à l'image de celle du Royaume-Uni, vous conviendrait-elle ? En bref, quelle fonction publique souhaitez-vous pour demain ?

La France a besoin d'un vrai débat sur l'avenir du secteur public, qui pose clairement les questions, y compris celles qui fâchent. C'est la raison pour laquelle l'UDI propose des assises nationales du secteur public et de la fonction publique, afin de mettre sur la table toutes les questions qui touchent à la carrière des fonctionnaires, au statut et à son avenir, à la rémunération, à la retraite, et afin d'apporter des réponses globales. Tous les agents publics doivent-ils être sous statut ? Tous les métiers du secteur public doivent-ils être sous statut ? Ce sont là des choix politiques qui méritent d'être exposés clairement, en toute transparence, devant les fonctionnaires et devant nos concitoyens.

Pour assurer la modernité et l'avenir de la fonction publique, il faut mettre fin au discours dépréciatif selon lequel les fonctionnaires ne travailleraient pas suffisamment et ne seraient pas compétents. Le Gouvernement ne l'a pas fait, ce qui a soulevé des inquiétudes.

Le Gouvernement soumet souvent des projets dont les titres sont évocateurs mais ne reflètent pas forcément la réalité du contenu. En l'espèce, la fonction publique ne sera pas réellement transformée mais subira plutôt des adaptations qui portent en germe de potentiels dangers si le texte ne remplit pas ses objectifs.

Vous instillez des changements significatifs qui détricotent progressivement le statut sans présenter de vision politique d'ensemble. Le flou règne entre les fonctionnaires et les contractuels, l'externalisation ou la privatisation.

En l'absence de choix clairement établi, vous contournez la nécessité de redonner du sens à l'engagement dans le secteur public et vous prenez le risque de mettre en concurrence tous les agents publics, ceux recrutés par concours, qui perdent peu à peu de leur intérêt, et ceux recrutés directement par contrat.

De surcroît, les annonces du Président de la République ont ajouté à la confusion.

Nous attendons beaucoup des débats, car le texte semble rester au milieu du gué. Vous n'aurez pas saisi l'occasion de réformer en profondeur la fonction publique.

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