Intervention de Jean-Paul Dufrègne

Séance en hémicycle du jeudi 16 mai 2019 à 15h00
Transformation de la fonction publique — Article 7

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Dufrègne :

… et aligner le public sur le privé par la multiplication des possibilités de recours au contrat dans toutes les catégories d'emplois des trois fonctions publiques. Il s'agit, en réalité, d'instituer un système collusif privé-public, afin de permettre au privé de mettre la main sur l'appareil d'État.

Comme le souligne parfaitement Anicet Le Pors – qui s'y connaît – dans une tribune publiée par Le Monde le 2 avril 2019, ce projet de loi, et cet article en particulier, sont « une atteinte au service public dont la neutralité est menacée par le recours massif à des contractuels à tous les niveaux, permettant ainsi à des dirigeants d'entreprises privées d'occuper des postes de direction d'administrations, de s'y constituer des réseaux d'influence avant de retourner à leurs affaires. [… ] Des rétro-pantouflages de hauts fonctionnaires – revenant dans les services de l'État après avoir passé quelques années dans le privé dont ils auront épousé l'idéologie managériale – entraîneront ainsi la confusion des finalités du privé et du public, un risque accru de conflits d'intérêts, la captation de l'action publique par l'oligarchie financière. » L'objectif poursuivi consiste à faire du contrat de droit privé individuel la référence sociale majeure applicable dans le public comme dans le privé.

Or, à l'opposé de votre vision, le modèle de la fonction publique française se caractérise par le choix de placer par la loi le fonctionnaire dans une situation statutaire et réglementaire – et non pas contractuelle – vis à vis de l'administration, ainsi que par le choix d'attribuer les emplois permanents des collectivités publiques aux fonctionnaires.

Les raisons, qui ont été rappelées, sont simples et claires : le principe fondamental du statut de la fonction publique est de faire prévaloir l'intérêt général sur tout autre. Le fonctionnaire est ainsi recruté par concours, car c'est une garantie d'égalité de traitement des candidats sur la base de leurs seuls mérites, mais c'est aussi une garantie d'indépendance et de neutralité par rapport aux intérêts particuliers. Le fonctionnaire est au service de l'intérêt général, responsable devant la nation, à l'inverse du salarié de l'entreprise privée, lié à son employeur par un contrat qui « fait la loi des parties », conformément à l'article 1134 du code civil.

Le statut du fonctionnaire le rattache ainsi à l'intérêt général au lieu de le renvoyer vers des intérêts particuliers – le sien propre ou celui de sa hiérarchie, de clients ou d'usagers. En ce sens, son statut protège le service public en permettant au fonctionnaire de jouer le rôle d'une instance neutre, au-dessus des parties – recours en cas de conflits d'intérêts et garantie pour chacun, quelle que soit sa situation, de se voir traité avec équité et conformément à la loi.

Je terminerai par quelques remarques intéressantes formulées par le Conseil d'État dans son avis du 21 mars 2019 : « La multiplication des possibilités, déjà nombreuses, de recruter des agents contractuels, sans qu'il soit possible de dégager des modifications proposées des critères simples et clairs, ne contribue pas à la lisibilité du dispositif ni à la bonne appréciation de ses conséquences. » Le Conseil d'État regrette également que l'étude d'impact lui ait été fournie quatre jours après sa saisine – ce qui est, selon nous, révélateur de la désinvolture du Gouvernement – et précise qu'elle « ne fournit aucune donnée chiffrée quant au nombre de fonctionnaires en attente d'affectation ni ne présente d'éléments relatifs à l'impact possible d'un accroissement sensible du nombre d'agents contractuels occupant, dans le cadre de contrats à durée indéterminée, tous types d'emplois dans la fonction publique sur le déroulement de carrière des titulaires et sur la coexistence de ces deux catégories d'agents qui seront désormais en concurrence pour l'accès aux emplois de direction. » En gros, le Conseil d'État est loin de vous adresser un satisfecit.

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