Intervention de Jean-Paul Lecoq

Séance en hémicycle du jeudi 16 mai 2019 à 15h00
Transformation de la fonction publique — Article 8

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq :

Cet article crée un nouveau type de contrat à durée déterminée dans la fonction publique : le contrat de projet. Ce contrat, d'une durée comprise entre un et six ans, n'ouvrira droit ni à la conclusion d'un contrat à durée indéterminée ni à la titularisation. Il fait ainsi exception à la règle de droit commun en matière de contrat public, qui permet, après six ans en CDD, de bénéficier d'un CDI.

De plus, le contrat de projet pourra être rompu avant le terme fixé si son objet ne peut se réaliser ou s'il prend fin de manière anticipée. Le contrat de projet, calqué sur le contrat de chantier du secteur privé, dont les modalités de mise en place et de rupture ont été fortement assouplies par les ordonnances du 22 septembre 2017, ne permettra toutefois pas de bénéficier d'une indemnité de licenciement en cas de rupture anticipée, comme c'est le cas pour le contrat de chantier, qui se conclut sous la forme d'un CDI.

Il faut imaginer dans quelle situation invivable se trouveront les salariés sous contrat de projet : eux ne pourront faire aucun projet car, avec une telle incertitude sur leur devenir professionnel, ils seront dans l'incapacité d'accéder, par exemple, à un bail ou à un prêt.

Par le contrat de projet, le Gouvernement réussit donc le tour de force de mettre en place dans la fonction publique un contrat d'une extrême précarité, avec lequel le travailleur ne bénéficiera ni des avantages du contrat de droit public ni de ceux du contrat de droit privé.

En ce sens, le contrat de projet s'inscrit en cohérence avec la réforme du code du travail, qui a méthodiquement fait descendre les garanties des salariés dans la hiérarchie des normes afin de faire progressivement du contrat de droit privé individuel, de plus en plus dévalué ou précarisé, la norme applicable dans le public comme dans le privé.

Autrement dit, en généralisant le recours massif aux contractuels et en affaiblissant les garanties des fonctionnaires comme leurs représentants syndicaux, ce projet de loi asphyxie le statut du fonctionnaire et pervertit le sens même de l'action publique. La contractualisation à outrance va en effet à l'encontre de la doctrine de l'intérêt général, comme on vous l'a rappelé tout au long de la journée. Car, pour servir l'intérêt général, la neutralité de l'administration est la base. Cela suppose l'indépendance du fonctionnaire vis-à-vis des pressions économiques et politiques.

Que restera-t-il de cette indépendance quand les contrats de projet se multiplieront, générant chez les salariés concernés l'angoisse du lendemain et les laissant ainsi en proie à toutes sortes de pressions ? Le recours à des managers du privé dans des postes de direction aura pour effet de semer la confusion quant aux finalités du public et du privé, d'accroître le risque de conflits d'intérêts et d'entraîner une captation de l'action publique par la logique marchande qui est celle de l'économie de marché.

De plus, la formation et la gestion des agents seront rendues plus complexes et plus aléatoires, alors que la fonction publique appelle une gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences à long terme pour, précisément, garantir une action publique de qualité pour tous.

Certes, la contractualisation existe déjà dans la fonction publique, à hauteur de 20 %. Mais, plutôt que de procéder à l'extinction méthodique du statut des fonctionnaires tout en précarisant à outrance les contractuels, il faudrait inventer un nouveau statut législatif de contrat privé, aussi proche que possible des intérêts les plus favorables du statut de fonctionnaire. Il faudrait tirer le droit du travail vers le haut, vers le sommet de la hiérarchie des normes, plutôt que vers le bas, comme vous le faites. C'est la seule manière de renforcer notre fonction publique, qui est la garantie la mieux éprouvée pour amortir les inégalités sociales et économiques dont, malheureusement, notre pays est loin d'être indemne.

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