Intervention de Anne-Laure Cattelot

Réunion du mardi 7 mai 2019 à 16h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnne-Laure Cattelot, rapporteure pour avis :

Notre commission s'est saisie de deux volets du projet de loi d'orientation des mobilités, qui vise à remédier à l'enclavement des territoires et à apporter une réponse claire aux problèmes de mobilité que rencontrent nos concitoyens. Le chiffre est parlant : aujourd'hui, 80 % du territoire n'est pas pleinement couvert par une autorité organisatrice de transport. On compte ainsi de trop nombreuses zones blanches, dans nos territoires ruraux mais aussi au coeur des quartiers prioritaires de la politique de la ville, où aucun service de transport régulier n'est proposé.

Cette situation n'est plus acceptable. Le mouvement des « gilets jaunes » nous a d'ailleurs montré que le manque de solutions de mobilité est vécu comme une source d'inégalité, un facteur d'injustice et de fracture territoriale.

La partie de la loi d'orientation des mobilités dont nous sommes saisis concerne principalement deux éléments. Elle vise à trouver les ressources nécessaires pour permettre aux communautés de communes de se doter de moyens pour se saisir de la compétence mobilité. Elle vise également, à travers l'établissement d'une programmation financière de l'État, à accorder plus de lisibilité des ressources et des dépenses en matière d'infrastructures de transport. Nous devons offrir à chaque citoyen des solutions de mobilité adaptées, car la mobilité physique est le premier facteur d'émancipation.

Le premier volet dont nous sommes saisis concerne la programmation financière et opérationnelle des dépenses de l'État, établie initialement dans un titre IV mais que le Sénat a déplacée au début du texte, dans un nouveau titre Ier A, auquel est joint le rapport annexé qui en détaille les objectifs et les priorités d'investissement.

Nous pouvons tous nous féliciter que le Parlement soit amené à examiner un volet de programmation financière du projet de loi d'orientation des mobilités. Une visibilité pluriannuelle des ressources et des dépenses est indispensable pour établir des projets d'investissement cohérents et réalistes, conformément au principe de sincérité budgétaire auquel je suis particulièrement attaché. Nous évitons ainsi le stop and go, qui multiplie les incohérences et les surcoûts liés au vieillissement des réseaux, et la suspension parfois durable des projets. Notre politique s'inscrit dans cette démarche pour rompre avec l'accumulation des promesses non tenues, afin de définir de façon claire une politique d'investissement durable et de désenclaver les territoires.

L'enjeu est de hiérarchiser les projets. La programmation qui est détaillée dans le rapport annexé est le fruit d'un travail exigeant et reconnu, celui du Conseil d'orientation des infrastructures (COI), présidé par Philippe Duron, qui avait présenté ses conclusions devant notre commission au début de l'année 2018. Il s'est fondé sur les meilleures estimations de coûts des projets et propose des séquencements qui visent à améliorer rapidement les transports du quotidien tout en avançant la mise en oeuvre de nouveaux grands projets. Le Sénat a d'ailleurs opéré un renvoi à un tableau du rapport du COI en détaillant le scénario 2, qui fait consensus politique et office de compromis entre la nécessaire régénération des infrastructures existantes – routes, canaux, ferroviaire – et le développement de nouveaux projets.

Cette programmation est le contraire d'une liste de projets. Une loi de programmation ne peut avoir pour objet de figer des hypothèses qui mettraient en difficulté la mise en oeuvre effective des projets, ou alors elle risquerait d'être très vite obsolète.

Il faut fixer des objectifs réalistes et savoir les tenir. J'émettrai donc un avis défavorable sur tout amendement qui viserait à l'ajout de tel ou tel projet à la liste, alors que l'essentiel est d'être au clair sur les grandes orientations.

Par ailleurs, le Sénat a établi un article 1er C pérennisant le COI, qui sera donc un garant de la mise en oeuvre effective de nos priorités. Cet article prévoit également une révision en 2022 puis tous les cinq ans de la programmation financière définie par la loi. Il s'agit de garanties de sincérité d'une programmation qui implique un niveau de dépenses significatif de la part de l'État.

Le Sénat a également introduit un article 1er B, qui présente une chronique des dépenses annuelles de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), en forte augmentation, portées à 13,4 milliards d'euros sur cinq ans entre 2019 et 2023, soit 40 % de plus qu'au cours du dernier quinquennat. Je relève que le niveau de dépenses de l'AFITF cette année est d'ores et déjà supérieur de 25 % à celui de la fin de la législature précédente.

J'ajoute qu'une affectation ponctuelle de recettes de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) a permis à l'AFITF de solder, à la fin de l'année 2017, 330 millions d'euros de la dette de l'État à la société Écomouv' – cela aurait pu peser sur ses comptes pendant de nombreuses années. Nous partons donc désormais d'une situation assainie qui nous permet de mieux mesurer l'effort budgétaire qu'il reste à consentir. Dès 2020, il nous faudra collectivement trouver les moyens d'attribuer à l'Agence un niveau de ressources supérieur de 500 millions d'euros afin d'approcher 3 milliards d'euros de dépenses.

J'ajoute que l'évolution, en 2018, des recettes tirées du compte d'affectation spéciale Contrôle de la circulation et du stationnement routiers (« CAS "Radars" ») a fragilisé l'une des ressources actuelles de l'AFITF, dernière affectataire de ce compte et la seule à subir les conséquences de la baisse. Il en résulte que le budget initial voté par l'Agence pour 2019, bien qu'en hausse par rapport à 2018, est inférieur de 200 millions d'euros au niveau de dépenses indiqué dans la programmation de la LOM pour l'année 2019... Nous ne pouvons accepter cette situation d'instabilité, qui contrevient à notre objectif de sincérité budgétaire. Je vous proposerai de préciser que ce manque à gagner pourra être rattrapé tout au long de la programmation quinquennale, l'essentiel pour nous tous étant bien de disposer d'un budget de 13,4 milliards d'euros sur cinq ans.

L'évolution des recettes actuelles de l'AFITF n'est connue de manière fiable que pour environ 900 millions d'euros versés annuellement par les sociétés concessionnaires d'autoroutes. Le reste demeure instable, puisqu'il provient, d'une part, de l'affectation annuelle de parts de TICPE et, d'autre part, du solde des produits du CAS « Radars ».

Quelles peuvent être les recettes complémentaires ? Le ministère travaille à l'établissement d'une redevance forfaitaire qui ferait contribuer aux dépenses d'entretien et de régénération de la voirie les véhicules poids lourd en transit, notamment ceux qui font le plein à l'étranger dans des pays frontaliers à la fiscalité sur les carburants plus faible. Il nous faudra, dans la perspective du prochain projet de loi de finances, définir des mécanismes qui compenseront les « petits rouleurs », et il faudra tenir compte de la fiscalité déjà acquittée sur le territoire national. Une autre piste est envisagée : l'affectation durable à l'Agence d'une part supplémentaire de TICPE. Il nous reviendra d'en décider lors de l'examen d'une prochaine loi de finances.

Il faudra ensuite apporter toute la clarté sur le détail de la programmation budgétaire et financière entre les crédits budgétaires du programme 203, d'une part, et les dépenses de l'AFITF, d'autre part, l'Agence étant principalement une caisse dont une grande partie des dépenses revient sur le budget général par la voie de fonds de concours.

Afin de clarifier les règles et d'améliorer la transparence de ce fonctionnement, je vous proposerai de faire établir une convention d'objectifs et de performance de l'AFITF, qui en précisera la feuille de route au regard des objectifs fixés par la LOM et qui améliorera notre information lors de l'examen des projets de loi de finances.

Le projet de loi donne également, par ordonnance, de nouveaux leviers à l'établissement public Voies navigables de France (VNF) pour améliorer ses ressources propres en valorisant mieux le domaine public en bordure des canaux. Cela lui permettra d'augmenter ses ressources propres tout en contribuant au développement économique des territoires. Par ailleurs, l'article 37 bis dote VNF d'un contrat d'objectifs et de performance.

Pour rendre nos bassins industriels plus compétitifs et pour atteindre nos objectifs de transition écologique, le canal Seine-Nord Europe constitue un enjeu de premier ordre. Les collectivités territoriales ont fait état de leur souhait de renforcer leur implication dans le projet de construction et se sont déclarées prêtes à en assumer le pilotage financier et opérationnel. L'article 36 permet donc de faire évoluer la gouvernance de la société de projet vers un établissement public local. Je vous proposerai des amendements pour sécuriser la contribution de l'Union européenne au projet, qui atteindra 50 %. Je rappelle que l'État a confirmé en octobre 2017 sa contribution de 1 milliard d'euros. Elle pourra prendre la forme d'un emprunt de long terme de la société de projet, dont les annuités pourraient être financées par des taxes nationales à assiette locale affectées à la société de projet.

Le second volet de notre examen pour avis porte sur les ressources des autorités organisatrices de la mobilité (AOM). L'article 2 du projet de loi modifie à la marge le régime actuel du « versement transport », renommé « versement mobilité » (VM), pour l'adapter à la nouvelle forme de mobilité désormais reconnue.

Ce prélèvement est assis sur la masse salariale des employeurs de plus de onze salariés, privés comme publics, pour des taux plafonds allant de 0,55 % à 2 % en région et jusqu'à 2,95 % en Île-de-France. Le total des recettes collectées dépasse 8,5 milliards d'euros en 2017, pour moitié en Île-de-France et pour moitié dans le reste du territoire, dans environ 250 ressorts territoriaux, bénéficiant ainsi à 68 % de la population française. Le produit représente plus de 40 % des ressources des services de mobilité, principalement au titre de services publics réguliers de transport de personnes.

Le projet de loi assure une plus grande transparence de l'utilisation du VM puisque, désormais, la délibération qui l'instaure ou le modifie devra énumérer les services mis en place. De même, un comité des partenaires sera consulté sur l'offre de services et sur le niveau du prélèvement, associant les employeurs et les usagers.

Je plaiderai pour une stabilité du périmètre du VM, impôt de production qu'il ne faut modifier qu'avec la plus grande prudence.

Le droit en vigueur comme le texte initial du projet de loi prévoient qu'une AOM ne peut instituer un VM qu'à la condition d'organiser au moins un service régulier de transport public de personnes, ce qui n'interdit pas d'utiliser les recettes du VM pour financer d'autres services de mobilité, comme des services à la demande, les mobilités actives ou les usages partagés de véhicules. Le Sénat a supprimé cette condition préalable, ce qui pose question, d'autant qu'il a institué, pour les AOM qui n'organiseraient pas de service régulier de transport public de personnes un VM dit « interstitiel », limité au taux de 0,3 %, pour faire par exemple du transport à la demande. Cela représenterait en moyenne moins de 1 000 euros par an et par établissement concerné, pour une taxe dont les modalités de perception ne sont pas tout à fait évidentes.

L'enjeu pour nous est de définir un financement approprié de l'exercice de la compétence mobilité par les petites communautés de communes qui ne souhaiteront ou ne pourront pas recourir au VM. Il convient de penser à la solidarité entre les territoires. Le projet de loi y répond en partie en permettant aux syndicats mixtes de moduler le taux du VM entre établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en fonction de leur population et de leur potentiel fiscal, ce qui vise à inciter des communautés de communes à les rejoindre et à s'insérer dans une politique de mobilité à une échelle adaptée aux territoires périurbains. Je rappelle que résident dans ces territoires de nombreux salariés dont l'activité contribue aux recettes du versement transport prélevées sur d'autres territoires mais qui ne bénéficient pas des services de transport régulier de voyageurs pour se rendre à leur travail.

Il faudra également définir d'autres leviers de financement. Le Sénat est allé un peu trop vite en affectant directement à ces AOM une part de TICPE, ce qui enfreint une règle fondamentale de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) qui réserve au domaine de la loi de finances l'affectation à un tiers de recettes de l'État. Je vous proposerai de supprimer cette affectation irrégulière. Il nous reviendra, lors de l'examen du projet de loi de finances, de définir de nouvelles recettes qui pourront s'inscrire dans le cadre de la réforme globale de la fiscalité locale ou passer, le cas échéant par un mécanisme de dotation, en investissement et en fonctionnement, assurant à la fois une contribution de l'État mais aussi une péréquation entre collectivités.

Enfin, nous pourrions aussi envisager d'attribuer aux régions une nouvelle ressource, comme une part de TICPE, à charge pour elles de soutenir les communautés de communes dépourvues de VM ou d'agir en caisse pour les communautés de communes désireuses de piloter leur politique de transport en propre.

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