Intervention de Christophe Jerretie

Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 9h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Jerretie, rapporteur :

Lorsque la Commission européenne a présenté sa proposition de cadre financier pluriannuel 2021-2027, le 2 mai 2018, il y a un peu plus d'un an, elle s'était donnée pour ambition de parvenir à un accord au sommet de Sibiu sur l'Avenir de l'Europe. Il y avait déjà quelques doutes à l'époque sur le caractère réaliste de cette échéance, tant les négociations pour parvenir à des perspectives financières sont traditionnellement longues et complexes : pour mémoire, plus de deux ans avaient été nécessaires pour les précédentes !

Il était donc peu probable que l'adoption du cadre financier pluriannuel (CFP) advienne avant les élections européennes. Peu probable, et peu souhaitable, tant cela apparaissait comme à contretemps du rythme démocratique marqué par le renouvellement du Parlement européen, même si le débat électoral européen porte très peu sur le CFP. Cela est regrettable car il constitue le socle des politiques à mettre en oeuvre dans les prochaines années.

Le sommet de Sibiu ne fut effectivement ni le lieu ni le moment de l'aboutissement des négociations. Toutefois, la déclaration finale a réaffirmé solennellement les grandes orientations et valeurs qui sous-tendent le projet de CFP : la solidarité, la nécessité de se doter des moyens nécessaires aux politiques d'avenir de l'Union européenne, l'attachement à la sécurité et à l'État de droit. Le sommet a également permis de rappeler l'objectif commun sur le cadre financier : la présentation d'un projet rationalisé de cadre de négociation au Conseil européen de juin, afin qu'un accord puisse intervenir au Conseil européen à l'automne 2019.

Ce projet de cadre de négociation est un outil servant à structurer et à faciliter les négociations sur le CFP. Il est en permanence discuté et actualisé sous chaque présidence, à mesure que les négociations avancent. La présidence autrichienne au second semestre 2018 avait déjà bien progressé sur le cadre de négociation, et ce travail a été poursuivi avec pugnacité par la présidence roumaine. Parallèlement, les textes sectoriels portant sur les différents programmes pour la période 2021-2027 sont en discussion entre le Parlement et le Conseil et font l'objet d'un nombre croissant de positions communes, une dizaine à ce jour, ce qui n'est pas anodin dans ce contexte. Celles-ci pourraient être remises en cause par le Parlement nouvellement élu, mais actent néanmoins un certain nombre de points d'accords sur de grandes priorités telles que la défense, ou le secteur du numérique.

Le groupe de travail sur le CFP, mis en place dans notre commission et présidé par notre collègue Jean-Louis Bourlanges, s'est constitué peu de temps avant la présentation de la proposition de la Commission. Depuis, nous avons réalisé deux communications de suivi et auditionnée plus d'une trentaine de personnes. Notre but, durant cette année de travail, a été d'analyser cette proposition et les négociations auxquelles elle donnait lieu, en nous concentrant sur plusieurs sujets ou thématiques.

La première des priorités retenues, c'est l'architecture et le calendrier des perspectives financières pluriannuelles. Pour rappel, ce cadre financier n'a pas toujours existé ; il est le résultat d'un compromis destiné à éviter les tensions entre les différents pôles de l'autorité budgétaire européenne. En échange d'un pouvoir de décision élargi à l'ensemble des dépenses annuelles, le Parlement a en effet accepté le principe d'un encadrement pluriannuel des dépenses pour lequel seule son approbation est requise.

Mais ce dispositif historique peut et doit être interrogé, ce que nous faisons sur plusieurs points dans le rapport et les conclusions présentés aujourd'hui : le rythme de son adoption, avec la question de la pertinence d'un calendrier septennal en décalage avec les échéances démocratiques européennes ; sa temporalité, avec la question de l'équilibre à trouver entre une vision de long terme, qui permet de réels investissements d'avenir – qui est l'objectif premier de l'Union européenne – et la souplesse nécessaire aux ajustements conjoncturels, nécessitant une révision à mi-parcours aujourd'hui sanctuarisée ; sur son organisation interne enfin, avec la question des flexibilités dans et entre les programmes et leur conciliation avec le principe de sincérité budgétaire.

Ainsi, nous encourageons et soutenons la lisibilité améliorée, la flexibilité renforcée, la proposition de passage à « 5 ans + 5 ans » dans le planning et le maintien de la révision à mi-parcours, pour permettre à la fois une vision de long terme et des ajustements démocratiques.

Je vais maintenant aborder la thématique des dépenses. Le cadre financier pluriannuel doit être à la mesure des ambitions du projet européen. Cela paraît évident mais certains assignent à l'Union européenne des responsabilités accrues sans en tirer les conséquences en termes de volume de dépenses. Cela pose la question des orientations que nous voulons donner à ce futur cadre financier pluriannuel, à partir des propositions présentées par la Commission. Il faut rappeler que ce budget représente seulement de l'ordre d'1 % de la richesse produite par les États membres. La proposition de la Commission pour ce prochain CFP à 27 est même en recul par rapport à la période précédente, puisque l'on passe de 1,16 % du revenu national brut à 1,11 %. On le voit, les compétences s'accroissent, mais les moyens diminuent par rapport à la richesse des pays : est-ce réellement tenable ? Est–ce réaliste ? Ne faut–il pas affirmer plus fortement nos ambitions collectives pour le projet européen et en tirer les conséquences en termes budgétaires ?

Les États membres ont affirmé des priorités nouvelles sans renoncer aux politiques communes emblématiques et nous sommes donc confrontés à des difficultés pour les financer. Selon nous, l'Union européenne se trouve face à un choix somme toute assez simple : soit progresser vers des politiques intégrées, qui nécessiteraient un véritable big bang des ressources propres afin que celles-ci dotent l'Union des moyens nécessaires à ces nouvelles ambitions, soit admettre la difficulté actuelle à s'entendre sur cette poursuite de nos ambitions, et se recentrer sur un nombre limité de domaines essentiels à la réussite de l'Union, particulièrement sur le terrain de la croissance, de la transition et de la compétitivité.

Comme vous le verrez dans nos conclusions et au-delà des deux politiques majeures en matières de financement (la politique de cohésion et la politique agricole commune) dont nous reparlerons certainement dans la discussion, je fais le choix dans ce propos liminaire de vous présenter des préconisations sur les trois sujets qui interpellent le plus les Français actuellement.

Nous proposons d'abord un approfondissement du projet européen par l'intégration progressive de politiques ciblées, qui permettrait de réels gains d'efficience et d'efficacité. La protection des frontières pourrait ainsi être une politique particulièrement appropriée pour un transfert de compétences complet. Il faut avoir le courage de l'affirmer clairement.

Au plan économique, nous proposons le développement intrinsèque de l'Union Européenne autour de l'économie durable et de transition pour former, après la politique agricole commune et la politique de cohésion, la troisième politique stratégique forte et intégrée de l'Union européenne. Cette politique de développement économique se concentrerait sur l'amélioration de la croissance et de la compétitivité européenne, et reposerait principalement sur les programmes Horizon Europe et InvestEU. N'oublions pas que le financement des dépenses de l'Union européenne est lié à la situation économique. C'est pourquoi, il faut clarifier cette politique et l'affirmer. Sans une croissance économique dynamique, nous ne pourrons pas dégager de recettes suffisantes, car celles-ci sont liées au niveau du PNB des États membres.

Notre troisième préconisation est d'affirmer l'ambition environnementale du CFP : l'objectif est de porter à 25 % les financements dans ce domaine. Nous voulons porter ce taux à 40 % en élargissant son périmètre à la protection de la biodiversité. Cela implique de relever l'objectif pour de nombreux programmes du CFP et particulièrement le plan d'investissement (InvestEU). Toutefois, un outil spécifique et clair doit nous permettre de suivre cet objectif. Nous devons mettre au point un mécanisme de suivi qui permette d'identifier clairement les projets écologiques qui ont été financés par des fonds européens et de mesurer les résultats obtenus en termes de « verdissement » de nos économies.

Nous proposons enfin de clarifier les rôles respectifs des États membres et de l'Union européenne en matière de financement. La répartition des compétences entre les différents niveaux de décision doit à notre sens faire l'objet d'une clarification et d'une rationalisation, qui permettront de mieux identifier les sources de financement et de mieux évaluer leur pertinence et leur efficacité. Il faut faire des choix clairs que les citoyens européens comprennent facilement.

La troisième partie de mon intervention portera sur les ressources. La Commission a tenté, dans cette proposition de cadre financier, de tenir compte des pistes dessinées par le rapport Monti ou des encouragements réitérés du Parlement européen à proposer de nouvelles ressources propres, pérennes et fiables, pour mettre en avant plusieurs dispositifs nouveaux, comme la taxe sur les emballages plastiques par exemple, ou de moderniser les anciens comme la ressource TVA.

Actuellement, il n'y a pas d'accord sur ces propositions pour deux raisons : les ressources proposées apparaissent peu durables ou peu susceptibles d'être mises en oeuvre à l'échéance de 2021 et la règle de l'unanimité, nécessaire pour toute décision dans le domaine fiscal, bloque tout processus européen à un stade plus ou moins précoce, que l'on pense à ACCIS et ACIS ou, encore récemment, à la taxe sur le numérique. Il faut donc chercher des solutions alternatives.

Une réforme des ressources propres est plus que jamais indispensable. Elle nous semble aller de pair avec une révision du mode de décision en matière fiscale au sein de l'Union. L'intégration politique est le moteur de l'intégration fiscale et inversement l'intégration fiscale est le moteur de l'intégration politique. L'une ne va pas sans l'autre.

En outre, le cycle du cadre financier, et notamment sa révision à mi-parcours, doit selon nous s'accompagner d'une évolution des ressources propres disponibles parallèlement à l'augmentation des nouvelles dépenses financées par l'Union européenne.

Nous suggérons que le CFP contribue à la définition de recettes ou ressources dynamiques susceptibles de passer progressivement d'une autonomie financière à une autonomie fiscale, reposant sur un panier consolidé, entre trois fiscalités : une fiscalité environnementale (fiscalité sur le carbone), une fiscalité reposant sur les ménages (la TVA) et une fiscalité reposant sur les entreprises (avec l'aboutissement de l'ACCIS). Il n'y a pas lieu de se disperser sur des mini taxes affectées ou faiblement intégrées. Si nous voulons des politiques européennes intégrées, nous devons avoir une politique fiscale européenne.

Nous avons enfin fait quelques propositions complémentaires pour améliorer le cadre financier pluriannuel. Nous suggérons ainsi de donner une définition juridique précise de la notion de valeur ajoutée européenne. Nous proposons l'élargissement de la conditionnalité dans l'accès aux fonds européens à des critères sociaux et fiscaux. Sur le plan social, cela reviendrait à conditionner l'accès aux fonds européens à la mise en oeuvre progressive de certains standards du socle européen des droits sociaux, notamment en matière de salaire minimum, de protection sociale et de dialogue social. La convergence sociale et fiscale des États membres est un véritable défi mais elle est indispensable si nous voulons représenter une puissance économique capable de contrebalancer la Chine et les États-Unis.

Nous plaidons pour l'établissement d'un calendrier précis pour la disparition de tous les systèmes de réduction des contributions des États membres. À terme, avec la mise en oeuvre de ressources propres pour l'Union européenne, nous devons aboutir à la suppression des contributions nationales.

Comme l'a souligné la Cour des comptes européenne, l'évaluation est trop peu présente dans les programmes européens. C'est un volet essentiel pour améliorer le mécanisme budgétaire européen. Les parlements nationaux doivent travailler de concert avec le Parlement européen pour évaluer les politiques européennes et déterminer à quel niveau certaines dépenses doivent être engagées. Nous reparlerons de cette question lors de l'examen d'un amendement qui porte sur la nécessité d'une démarche commune d'évaluation. Certaines politiques doivent relever clairement de l'échelon national alors que d'autres doivent relever de l'échelon européen.

Pour permettre un suivi rigoureux de nos engagements environnementaux, il faut définir une nouvelle méthode d'évaluation menée conjointement par les Parlements nationaux et le Parlement européen. C'est un travail complexe mais il faut vraiment nous mobiliser en ce sens pour mesurer les effets des mesures écologiques adoptées.

Le travail sur le futur CFP est loin d'être terminé, des étapes décisives nous attendent après les élections européennes. Les prochains rendez-vous de juin et de l'automne nous permettront de constater si le budget s'établit pour les années à venir à un niveau d'ambition très inférieur ou non par rapport à la proposition initiale de la Commission européenne qui intégrait déjà certaines réticences des gouvernements.

Pour l'instant les discussions sur le futur CFP ont porté sur les grands objectifs à atteindre mais les négociations sur les montants attribués à telle ou telle politique sectorielle n'ont pas commencé. Je poursuivrai les travaux entamés par le groupe de travail en m'attachant à suivre les discussions sur les évolutions quantitatives des différentes politiques sectorielles.

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