Nos territoires sont de plus en plus confrontés à un déploiement de l'offre de soins insuffisant pour répondre aux besoins de nos concitoyens. Localement, les élus se mobilisent pour tenter d'y remédier, et des initiatives voient le jour, à l'image des maisons de santé, qui se développent de plus en plus.
Il est essentiel de développer des coopérations et des complémentarités en matière d'offre de soins. Cela est vrai à l'échelle des territoires, dans notre pays, mais aussi dans le cadre des relations que nous entretenons avec les États avec lesquels nous partageons une frontière.
Si des accords-cadres de coopération sanitaire transfrontalière ont d'ores et déjà été signés avec plusieurs de nos voisins, notamment l'Allemagne, la Belgique et l'Espagne, rien de tel n'existe entre la France et deux autres États limitrophes, la Suisse et le Luxembourg. Par conséquent, les coopérations avec eux, en matière sanitaire, sont limitées.
Outre l'absence d'accord-cadre, cette situation découle aussi de certaines spécificités, identifiées par le groupe de travail institué par la commission des affaires étrangères sur la coopération sanitaire transfrontalière avec la Suisse et le Luxembourg : il s'agit principalement des différences considérables existant entre ces deux pays et la France en matière de niveau de vie, de salaires et de coûts de santé.
Le groupe Libertés et territoires salue la méthode qui a présidé à l'examen du présent projet de loi par notre assemblée. Je salue l'excellent rapporteur de ce texte, qui, j'en suis sûr, soulèvera l'unanimité.
La commission des affaires étrangères, par la voix de M. le rapporteur, a émis des doutes au sujet de la portée juridique réelle des accords-cadres et de l'effectivité de leur application pratique. C'est pourquoi nous avons décidé d'ajourner le vote sur le projet de loi et de constituer un groupe de travail, dont les conclusions ne manqueront pas, je l'espère, d'éclairer nos débats.
Il était essentiel d'avancer en matière de coopération sanitaire avec la Suisse et le Luxembourg, mais pas n'importe comment. Il faut le faire avec responsabilité et clairvoyance, en conservant à l'esprit les conséquences que de tels accords-cadres peuvent avoir pour nos concitoyens ainsi que pour les initiatives locales en matière d'offre de soins qui existent ou sont en gestation dans nos territoires.
Chaque jour, 143 000 Français vont travailler en Suisse, et 70 000 au Luxembourg. Sur la base de ce constat, et des coopérations existant déjà, au niveau local, entre certaines de nos régions et la Suisse ou le Luxembourg, la France a décidé de proposer à ces deux États limitrophes de fixer un cadre juridique plus clair, par le biais d'un accord international.
Certes, notre droit national permet d'ores et déjà à des établissements hospitaliers de conclure des conventions de coopération sans qu'il soit nécessaire de recourir à un tel accord.
Il est également vrai qu'un cadre général européen existe. Il est basé sur la libre circulation des personnes et la libre prestation de services, qui vaut aussi pour les soins de santé. Ce cadre européen repose sur deux règlements de 2004 et de 2009, et sur la directive santé de 2011, qui fait suite à une jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne de 1998 imposant plusieurs droits des citoyens européens comme, par exemple, le droit au remboursement des soins reçus par un assuré dans un autre pays que le sien.
Pour autant, tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Nos relations avec la Suisse en la matière sont source de complexité, dans la mesure où elle n'est pas un État membre de l'Union européenne, où elle n'appartient pas à l'espace économique européen et où elle a un caractère fédéral. Cette structuration implique que la légitimité remonte des communes vers l'État fédéral, via les cantons, où s'impose le principe de subsidiarité. En matière de santé, cela entraîne une répartition des compétences différente de celle qui prévaut en France, État insuffisamment décentralisé.
Tout cela signifie que la coopération avec la Suisse ne peut passer que par la signature d'accords bilatéraux spécifiques. Or, ce projet de loi nous propose l'approbation de deux accords-cadres similaires pour la Suisse et le Luxembourg.
Une question peut donc se poser à ce stade : est-il pertinent de signer deux accords-cadres similaires avec des États structurés différemment, et dont les règles en matière d'organisation sanitaire sont différentes ? La coopération transfrontalière en matière sanitaire avec la Suisse ne nécessite-t-elle pas un accord-cadre plus spécifique, qui permettrait aux coopérations locales de se développer pleinement ? D'ailleurs, l'équivalent helvétique du présent projet de loi souligne la portée normative discutable de ces accords-cadres et leur portée pratique plus qu'incertaine.
Bien évidemment, nous savons tous que ces accords-cadres ne visent qu'à poser une architecture dans laquelle doivent pouvoir se développer des coopérations transfrontalières locales, afin de répondre aux besoins exprimés par les populations des bassins de vie frontaliers, tout en rendant possible une gestion plus rationnelle de l'offre de soins.
Ce sont les acteurs locaux, élus et administratifs, qui donneront vie aux différentes initiatives en la matière. Les accords-cadres et les deux textes d'application qui les accompagnent doivent donc constituer une sorte de guide visant à clarifier le cadre juridique et à préciser le contenu que devront avoir les conventions locales de coopération.
Le groupe Libertés et territoires, qui porte sans relâche la voix des territoires, se réjouit de la signature d'accords-cadres qui faciliteront la passation de conventions locales de coopération afin de déroger à certaines règles de droit commun en matière de soins transfrontaliers. Je pense en particulier aux autorisations préalables, ou encore à l'application des tarifs prévus par les textes européens de coordination de sécurité sociale, entre autres.
Il faut en effet faire confiance à l'intelligence des territoires, à leur capacité à répondre aux besoins des habitants et à apporter des solutions innovantes et efficaces. Les enfermer dans des règles trop contraignantes et uniformes ne peut que déboucher sur une impasse qui aggraverait la désertification médicale, ce mal chronique face auquel l'État semble désarmé.
Notre groupe adhère donc à la proposition du groupe de travail de faire de la coopération sanitaire transfrontalière l'un des chantiers du droit à l'expérimentation, conformément à l'article 72 de notre Constitution.
Pour autant, nous pensons qu'il faut aller plus loin sur ce chemin de la différenciation, notamment dans le cadre de la future réforme constitutionnelle. Nous savons que cela peut heurter car notre République française est l'une des plus centralisées au monde, de sorte que la différenciation de certains territoires, ou leur souhait d'autonomie, y semblent incompatibles avec l'indivisibilité de la République.
Mais nos voisins européens, qui ont tous adopté, à des degrés divers, un système fédéral ou un système d'autonomie régionale, nous démontrent que ceux-ci ne sont pas contradictoires avec l'unité nationale, et peuvent même être extrêmement efficaces au sein d'une république également qualifiée par leurs constitutions d'« indivisible ».
Pour le groupe Libertés et territoires, la différenciation est l'avenir de nos territoires et de la France, mais dans le sens de l'adaptation des normes nationales.
Nous ne manquerons pas d'ouvrir ce débat lors de la réforme des institutions. Notre groupe sera une force de proposition pour permettre aux collectivités territoriales d'exercer pleinement leurs compétences, grâce aux capacités données aux élus d'adapter les normes nationales, afin d'innover et d'agir efficacement au regard des réalités des territoires ainsi que des besoins de la population. Mais, sans attendre l'examen de cette réforme constitutionnelle, notre groupe vient de faire cinquante propositions pour rendre les territoires plus forts et plus autonomes.
En ce qui concerne les accords-cadres que nous devons approuver aujourd'hui, si notre débat nous apporte la démonstration qu'ils auront une portée juridique réelle et permettront une mise en pratique concrète et efficace des coopérations locales en matière sanitaire, notre groupe y sera favorable.