Considérez le scénario contrefactuel où nous n'aurions pas obtenu de taux négatifs ni baissé les taux d'intérêt. Les banques auraient certainement des taux d'intérêt plus élevés, mais elles n'auraient pas de clients, parce que leurs clients auraient fait faillite. C'est la différence entre l'équilibre général et l'équilibre partiel. Les banques voient évidemment la perte de marges d'intérêt que représente le niveau des taux d'intérêt, mais elles ne veulent pas dire que cette politique monétaire a permis la reprise des volumes des encours de crédits dans la zone euro, notamment dans le sud de la zone euro où ces crédits étaient totalement à l'arrêt en 2014-2015. Si nous ne l'avions pas fait, elles auraient des taux d'intérêt plus élevés, mais sur des encours de crédits qui seraient nuls, ce qui ne serait pas bon pour elles non plus. Nous conseillons aux banques de travailler leurs bases de coûts et d'être patientes. Les taux d'intérêt ont vocation à augmenter, mais dans un processus très long, parce que la conjoncture n'est pas bonne et que l'inflation est encore éloignée des 2 %. Dans l'attente, nous soutenons l'économie de la zone euro et nous permettons à leurs clients de rester solvables, ce qui est important pour elles.
Plusieurs questions ont porté sur le changement climatique. C'est un sujet très important qui est d'ailleurs inscrit dans les traités et que la BCE ne peut pas ignorer. Il revêt pour nous plusieurs dimensions complémentaires. L'impact du changement climatique sur la stabilité financière intéresse tous les régulateurs, mais également les banques centrales, au niveau mondial. Le Conseil de stabilité financière, le FSB, y travaille. Le réseau pour le verdissement du secteur financier y travaille également et nous aussi au sein de la BCE. J'en profite d'ailleurs pour rendre hommage à la Banque de France et à la Banque des Pays-Bas, qui animent et pilotent ce réseau. C'est un sujet sur lequel nous travaillons à la BCE. La prochaine revue de stabilité financière qui sortira aux alentours du 1er juin, comporte un chapitre entier sur le sujet, notamment sur la vulnérabilité du système bancaire européen au changement climatique. Ce sujet est important pour nous, en tant que régulateur et en tant que contrôleur bancaire. Le mécanisme de supervision unique, le contrôle bancaire au sein de la BCE, accorde de plus en plus d'importance à ce risque climatique pour les banques que nous contrôlons. C'est le premier volet qui concerne la stabilité financière.
Un deuxième volet est lié aux portefeuilles non monétaires de la BCE. Nous gérons des fonds de pension, nous avons des fonds propres et nous investissons. Ces portefeuilles ne sont pas monétaires. La même logique s'applique pour tout investissement. L'ensemble des banques centrales de l'Eurosystème et la BCE elle-même ont une réflexion sur la manière d'appliquer des critères. Cela se fait de manière assez différente selon les pays, ce qui induit sans doute une problématique de convergence, mais nous avons tous une réflexion sur la manière d'appliquer des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance ou d'investissement socialement responsable, des critères de soutenabilité à ces investissements. S'agissant de nos fonds de pension par exemple, nous demandons à nos gestionnaires d'appliquer des critères de gestion éthique et soutenable, lorsqu'ils participent aux assemblées générales, etc. Il faut sans doute avoir une approche cohérente au sein de l'Eurosystème, mais ce processus est déjà en cours.
Ensuite, il y a les portefeuilles monétaires qui sont le coeur de vos questions. Nous avons commencé à étudier le sujet, mais avec beaucoup de précaution. Nous avons en effet, dans le traité, un mandat qui est clair, qui est la stabilité des prix. Certains d'entre vous veulent peut-être le changer, mais nous opérons dans le cadre du mandat que nous donnent les traités. Notre objectif prioritaire est la stabilité des prix. Sous réserve de cet objectif, nous soutenons les politiques de la Communauté. Nous voulons donc être sûrs que nos différentes actions dans ce domaine n'affecteront pas notre capacité à assurer notre mandat de stabilité des prix, ce qui demande une étude relativement fine. Nous avons lancé cette réflexion ; nous ne sommes ni sourds ni aveugles à ce débat. Nous y réfléchissons, mais avec un point de départ qui est le mandat de stabilité des prix.
J'en profite d'ailleurs pour faire une réflexion qui a trait à l'économie politique et qui n'est pas strictement juridique, si vous me le permettez. Plus vous demandez à la BCE de faire des choses différentes, plus vous politisez la BCE. Nous avons été créés, dans les traités, comme étant une institution indépendante et technique. Outre notre responsabilité devant le Parlement européen et devant les citoyens de la zone euro, la contrepartie de cette indépendance est aussi que notre mandat soit étroit, ce qui nous permet de rendre compte de notre action. Parce que la BCE a ce pouvoir toujours assez fascinant de créer de la monnaie, on nous demande de faire des tas de choses. Plus vous nous demandez de faire des choses et plus il sera difficile pour nous de le faire, parce que nous devrons établir des priorités entre des objectifs différents et pouvoir en rendre compte aux citoyens. Or établir des priorités entre des objectifs différents correspond à la définition de la politique. Vous le faites tous et cela est fait par des gouvernements qui sont responsables devant des parlements. Au sein du Conseil des gouverneurs de la BCE, nous ne sommes pas équipés pour le faire. Ne nous demandez pas de dire s'il est plus important de pénaliser les entreprises qui ont une empreinte carbone trop élevée, de pénaliser les entreprises qui vendent des armes ou de pénaliser les entreprises qui emploient des enfants dans les pays en développement. Les trois objectifs paraissent louables, mais comment y répondre dans le détail ? La question devient très rapidement politique. La BCE n'est pas une institution politique. Nous ne sommes pas sourds à cette discussion et nous y réfléchissons, mais nous devons le faire d'une manière qui est d'une part compatible avec notre mandat monétaire et qui d'autre part ne conduise pas à une politisation excessive de la BCE.
Je donne un exemple. L'essentiel de notre portefeuille n'est pas composé des obligations d'entreprises dont vous parlez, mais des obligations d'État qui représentent 90 % des titres que nous détenons. Est-ce que nous devons décider de ne pas détenir de titres de tel ou tel État de la zone euro parce que nous n'aimons pas sa politique énergétique, parce qu'il a trop de centrales à charbon ou trop peu d'aides pour les énergies renouvelables ? La réponse a priori apparaît clairement négative.
Il faut que cette discussion reste gérable par un Conseil des gouverneurs, composé de de technocrates indépendants. Si elle devient trop politique, la question doit être traitée par les enceintes politiques. D'ailleurs aujourd'hui, cette politique de taux zéro dont nous pouvons déplorer l'impact sur les banques est aussi une politique qui permet d'investir. Elle permet à tous les États de la zone euro, à leurs institutions publiques, à leurs banques de développement, à la Banque européenne d'investissement, d'emprunter à des taux très bas, à très long terme, pour la transition énergétique et pour le changement climatique. La BCE fournit des conditions financières et ensuite, les États peuvent disposer et faire ce qui convient à leurs priorités politiques. Si leur priorité politique est le changement climatique, les États peuvent décider de demander à la BEI de faire plus dans le domaine climatique et elle pourra le faire parce que les taux d'intérêt sont à zérp et parce que nous achetons toujours des obligations de la BEI. De manière indirecte, à travers la politique monétaire, la BCE crée un environnement qui est très favorable aux investissements de long terme. Il revient ensuite aux États de s'en saisir.
D'ailleurs, nous avons communiqué en la matière, mais cette politique reste insuffisamment connue. Dans le cadre de notre politique actuelle, nous sommes neutres par rapport à la structure du marché tel qu'il est, ce qui nous conduit à acheter des titres d'entreprises dont l'empreinte carbone n'est pas bonne, mais pour les mêmes raisons, nous avons acheté aussi beaucoup de green bonds. Nous détenons environ 20 % de l'ensemble des green bonds qui ont été émis dans la zone euro. C'est la conséquence mécanique de nos critères d'investissement, qui sont neutres par rapport à la structure de marché. Cela nous conduit déjà à détenir 20 à 25 % des green bonds émis, aussi bien par les entreprises que par les États ou les banques de développement de la zone euro. Laissez-nous un peu de temps pour entrer dans le détail et regarder ce qui est possible. Nous pourrons en reparler ensuite. Nous ne sommes pas sourds à cette réflexion, mais nous le ferons dans un cadre qui doit être conforme aux traités.
Le dernier bloc de questions concernait le rôle international de l'euro et la convergence.