Intervention de Benoît Coeuré

Réunion du mercredi 15 mai 2019 à 16h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Benoît Coeuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne (BCE) :

Pour nous, le sujet est très important. J'ai dit d'ailleurs que ce budget de la zone euro, tel qu'il est discuté par les gouvernements actuellement, qui est d'un champ assez étroit de la convergence et de la compétitivité, est utile parce qu'il manque de la convergence dans la zone euro. Une convergence assez remarquable des taux de croissance a été réalisée, une convergence conjoncturelle. Les taux de croissance de la valeur ajoutée par secteur et par pays, au sein de la zone euro, connaissent une dispersion la plus faible historiquement, avant même la création de l'euro. L'ensemble de la zone euro, y compris le sud, a bénéficié de cette dynamique de reprise en termes de taux de croissance, mais en partant de niveaux qui ne sont pas bons. Il demeure donc un énorme problème de niveau de développement et de divergence du niveau de PIB par habitant dans la zone euro. C'est, d'une certaine manière, un échec de la zone euro, mais cette situation renvoie à des instruments communautaires qui ne sont pas spécifiquement des instruments euro, qui sont aussi les fonds structurels et le fonds de cohésion, utilisés à l'est, mais aussi au sud. Il est difficile d'aborder cette problématique dans le cadre exclusif de la zone euro, parce qu'elle renvoie à des instruments de l'Union européenne à vingt-sept. Je partage néanmoins le diagnostic.

S'agissant du rôle international de l'euro, la Commission européenne a lancé une large réflexion en la matière. Un rapport sur le rôle international de l'euro sortira mi-juin et fera le point très en détail sur le sujet, y compris d'ailleurs sur l'importance de l'euro selon les différents critères. Pour résumer, le rôle international de l'euro a initialement augmenté après la création de l'euro, mais a ensuite régressé après la crise financière. Cette situation renvoie, selon nous, à un problème de confiance dans le fonctionnement de la zone euro, que notre discussion illustre, mais aussi à un problème d'intégration des marchés financiers de la zone euro. En termes de politique économique, nous faisons cette recommandation principale : si nous voulons que l'euro joue un rôle international, il faut des marchés de capitaux plus intégrés dans la zone euro et il faut sans doute, à terme, un actif unique libellé en euros, l'équivalent des bons du Trésor américain, qui soit un véhicule d'investissement pour les investisseurs internationaux, ce qui n'existe pas aujourd'hui. Les marchés obligataires de la zone euro étant fragmentés, dès que la zone euro est touchée par un choc, comme en 2010, tout diverge. Les taux d'intérêt se mettent à diverger au sein de la zone euro. Les taux libellés en euros ne jouent pas un rôle de valeur refuge en cas de crise, pour les investisseurs internationaux, rôle que jouent les obligations libellées en dollars et même en yens. L'union des marchés de capitaux est aussi une réponse essentielle au rôle international de l'euro.

Monsieur le président, vous avez posé la question des sanctions américaines. La BCE n'a pas de compétence dans ce domaine. À titre personnel, au vu de mon expérience professionnelle antérieure, au ministère français des finances, je pense qu'il ne sert à rien de se plaindre des sanctions américaines. Les Américains sont un État souverain et sont libres de leur législation. Le sujet n'est pas seulement monétaire ; il est lié aussi à l'activité des entreprises européennes aux États-Unis. Autrement dit, le rôle international de l'euro n'est pas la solution magique pour échapper à l'extraterritorialité des sanctions américaines. Une entreprise qui violerait les sanctions américaines ne pourrait plus être active aux États-Unis, indépendamment de l'aspect monétaire, et probablement dans de nombreux autres pays. Selon moi, à titre personnel, la solution n'est pas de critiquer les États-Unis qui, de toute façon, agiront comme ils le veulent, de manière souveraine. La solution est de construire un dispositif comparable, c'est-à-dire d'avoir une capacité juridique et judiciaire, au niveau européen, pour faire respecter le droit européen et sanctionner les entreprises qui ne respectent pas les sanctions européennes. Aujourd'hui, ces dispositifs se trouvent au niveau national. Il y a un procureur européen, mais son rôle est assez limité. Il est chargé d'enquêter sur les détournements d'argent dans les procédures communautaires. Si l'Europe veut affirmer sa souveraineté dans ce domaine, il faut l'équivalent d'un procureur financier européen qui serait compétent en la matière. Je m'exprime à titre personnel.

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