Intervention de Benoît Coeuré

Réunion du mercredi 15 mai 2019 à 16h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Benoît Coeuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne (BCE) :

Ces 4 000 milliards ne sont pas de l'argent que la BCE donne, mais qu'elle prête, soit sous forme de prêts, en général à court terme et de temps en temps à très long terme, soit sous forme d'achats d'actifs, qui sont des achats d'obligations et qui ont une durée de vie finie. Lorsque l'obligation arrive à échéance, elle est remboursée. L'argent revient toujours à la BCE. Il n'y a jamais de transfert définitif d'argent. La BCE n'apporte pas de subventions ou de dons. Elle injecte toujours une liquidité pour une durée limitée. Celle-ci peut être relativement longue lorsqu'il s'agit d'une obligation, mais elle est toujours limitée. La BCE ne fait jamais de dons.

Ensuite, vous demandez où va l'argent. Il revient chez nous. L'argent prêté par la BCE est prêté à des banques de la zone euro, qui s'en servent ensuite pour leurs différentes activités. Il ne reste pas nécessairement dans les banques auxquelles nous avons prêté. Dans l'ensemble du système bancaire de la zone euro, l'argent reste dans la zone euro. En fin de compte, l'argent revient et est déposé sur la facilité de dépôt de la BCE. D'ailleurs, l'actif de la BCE est nécessairement égal au passif de la BCE. L'ensemble des prêts consentis par la BCE des actifs achetés par la BCE se retrouvent sous forme de dépôts sur lesquels nous prélevons un taux négatif. Au terme de cette circulation monétaire, le profit pour la BCE est un profit pour le contribuable européen, puisqu'il est redistribué aux contribuables européens.

Le fait d'avoir desserré la contrainte de liquidité des banques leur permet de prêter aux entreprises et aux ménages de la zone euro. L'argent crée une capacité de prêts des banques. Les encours de prêts bancaires aux entreprises et aux ménages de la zone euro étaient en contraction au lancement de la politique d'assouplissement quantitatif et ils sont maintenant en expansion. Cet argent sert à financer la consommation et l'investissement de la zone euro et donc les créations d'emplois dans la zone euro. Cette création monétaire a permis de relancer la dynamique économique dans la zone euro, mais l'argent lui-même revient dans notre bilan et nous y prélevons un taux négatif. Un effet indirect est visible et quantifiable sur l'activité économique.

Je ne vous répondrai pas sur la dette italienne. Nous ne faisons pas de scénario d'anticipation sur ce qui peut se passer dans tel ou tel pays. Le mécanisme européen de stabilité, sous sa forme précédente du Fonds européen de stabilité financier, a montré son utilité en Grèce, à Chypre, en Espagne pour le secteur bancaire, et au Portugal. Il a une efficacité prouvée. Une discussion est en cours pour lui adjoindre de nouveaux instruments de prêts de précaution, dont dispose le Fonds monétaire international mais qui n'existent pas en Europe. Ils permettront de prêter à des pays qui sont en bonne santé économique, pour les mettre à l'abri de mécanismes de spéculation ou de contagion sur les marchés financiers. Une discussion est également en cours pour que le mécanisme de stabilité puisse renforcer les capacités du fonds de résolution des banques de la zone euro, notamment au cas où une grande banque de la zone euro aurait des difficultés. Cet argent n'est d'ailleurs pas budgétaire. Le MES pourrait prêter au Fonds de résolution unique (FRU). Ensuite, le FRU devrait rembourser au MES en prélevant une contribution sur le secteur bancaire européen. L'idée n'est pas que le contribuable européen paie pour les banques, mais plutôt de pouvoir assurer la liquidité temporairement en cas de crise. Je pense qu'avec ces mécanismes, le MES sera nettement renforcé.

Concernant l'Union bancaire, vous avez raison : nous estimons que l'Union bancaire est inachevée et au milieu du gué. Un travail a été fortement souhaité par le mécanisme de supervision unique, notamment par Mme Nouy, lorsqu'elle était présidente du Conseil de supervision. Il consiste à finir d'harmoniser la supervision bancaire dans les différents pays de la zone euro. La BCE est le contrôleur bancaire unique dans la zone euro, mais une partie des décisions que nous prenons en tant que contrôleur bancaire sont prises en droit national. Cette situation est très originale juridiquement. Une institution communautaire prend des décisions en droit national parce qu'une partie du droit bancaire reste nationale, ce qui n'est pas un problème en soi. La difficulté est qu'il est différent d'un pays à l'autre. Il est donc nécessaire de mener un travail d'harmonisation des options et des discrétions, c'est-à-dire des différences nationales en matière de supervision. Une partie peut être faite, à l'échelon réglementaire, par la BCE elle-même, ce qu'elle fait, mais une partie est législative. Une partie a été faite dans le « paquet » bancaire qui a été adopté il y a quelques semaines, mais il reste un besoin d'harmonisation du droit bancaire dans la zone euro.

Une harmonisation du droit non bancaire est également nécessaire, ce qui est beaucoup plus difficile. La mobilisation du collatéral dans la zone euro par exemple renvoie généralement au droit des faillites, au droit commercial et au code civil dans les différents États de la zone euro. Cette harmonisation est très difficile parce que les traductions juridiques sont très différentes et ne relèvent d'ailleurs pas des ministres des finances, mais des ministres de la justice, ce qui ajoute une complexité à ce processus. Cette harmonisation est certainement souhaitable si nous voulons harmoniser le fonctionnement des banques de la zone euro. Au-delà de cette harmonisation, la BCE a toujours soutenu le projet d'assurance des dépôts unique dans la zone euro, qui est dans les limbes politiques. Il faut demander aux ministres des finances de la zone euro de quelle manière débloquer ce projet politiquement, mais nous continuons à le soutenir.

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