Intervention de Roland Giraud

Réunion du jeudi 9 mai 2019 à 9h15
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Roland Giraud, délégué au développement des relations partenariales de l'ANDASS :

Je suis peut-être le seul, dans cette salle, à avoir connu l'aide sociale à l'enfance avant la décentralisation. Les politiques publiques relatives à l'enfance évoluent très lentement en France et elles peuvent susciter de très vives tensions. Il suffit de voir les réactions violentes qu'a suscitées, sur les réseaux sociaux, l'adoption de la proposition de loi de Mme Brigitte Bourguignon. Hélas, il faut qu'une telle violence s'exprime pour que la presse se saisisse de ce sujet. S'il y a une chose sur laquelle votre mission d'information devrait insister, c'est sur la nécessité de mener des politiques durables et ambitieuses.

On oublie souvent qu'il y a un lien très fort entre l'aide sociale à l'enfance et la pauvreté. Lorsque le débat a eu lieu, on n'a pas voulu faire de lien entre la stratégie de protection de l'enfance et la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté. Il est évident que les pauvres ne sont pas les seuls à pouvoir se montrer violents avec leurs enfants, mais le lien est tout de même très fort entre l'aide sociale à l'enfance et la pauvreté. Une étude sur les parcours d'enfants réalisée dans le Pas-de-Calais, où j'ai occupé mon dernier poste, a montré que 20 % des enfants accompagnés par l'ASE sont très lourdement maltraités : leur situation est tellement indigne que la séparation, en vue d'un nouvel apparentement, semble souvent indispensable. On note par ailleurs un lien très fort avec l'absence de revenus d'activité et la monoparentalité.

Dans le discours qu'il a prononcé à l'issue du grand débat, le Président de la République a dit deux choses qui nous intéressent, mais dont nous attendons la traduction concrète : il a affirmé le principe de la différenciation et souligné l'importance de la monoparentalité – on sait qu'un enfant sur deux, au moment où il est pris en charge par l'ASE, ne vit pas avec ses deux parents. Il faut tenir compte aussi des questions d'éducation et de handicap, alors qu'on a trop tendance, aujourd'hui, à n'envisager la question de l'aide sociale à l'enfance qu'en lien avec l'autorité judiciaire. Il importe de mieux organiser le lien entre la politique de l'enfance et les autres politiques publiques.

J'ai commencé à travailler en 1980. À cette époque, quand on dépensait 1 euro en Seine-et-Marne en pédopsychiatrie, on en dépensait 30 à Paris et l'on constatait le même genre d'écart s'agissant du coût par lit à l'hôpital – c'étaient les débuts de l'analyse de gestion. Il faut construire une cartographie de l'aide sociale à l'enfance en France, qui tienne compte à la fois de l'histoire, des pratiques et des données sociologiques et démographiques. J'ai travaillé dans les Pyrénées-Orientales et dans le Pas-de-Calais. Les deux départements ont des indicateurs très dégradés en termes d'emploi et de taux de recours au RSA, mais ils n'ont pas les mêmes histoires. Dans le Pas-de-Calais, comme dans les autres départements du Nord, on a toujours confié plus facilement un enfant que dans les Pyrénées orientales, où ce système a toujours été beaucoup moins organisé.

Si nous ne faisons pas cette cartographie, nous continuerons de nous opposer les uns aux autres, et l'aide sociale à l'enfance risque de devenir un bouc émissaire, ce qui est déjà un peu le cas. Lorsque nous avons rencontré l'association Sésame Autisme, par exemple, nous avons été très critiqués… On découvre progressivement ce qu'est l'autisme et on construit des politiques publiques, mais aujourd'hui, la délégation interministérielle à l'autisme compte autant de membres que la délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté. C'est vraiment à qui criera le plus fort.

La dernière étude proposant une évaluation des organisations chargées de l'aide sociale à l'enfance date de 1979 : elle émanait du centre de sociologie des organisations. Par ailleurs, on renvoie, aujourd'hui encore, au rapport Bianco-Lamy intitulé « L'aide sociale à l'enfance demain », qui date de 1980. En lisant ce document, on s'aperçoit que des progrès ont été faits dans certains domaines, mais aussi, hélas, que certains des risques pointés par les auteurs sont devenus une réalité. Au-delà des groupes de travail déjà à l'oeuvre, nous devons mener une réflexion en profondeur sur deux ans afin de repenser le modèle dans son ensemble, en partant de ses richesses et de ses réussites car, sur certains aspects, il ne réussit pas si mal que cela. Nous devons réfléchir à la manière de faire avancer le droit, notamment sur la question du délaissement. Aujourd'hui, 20 % des enfants restent à l'aide sociale à l'enfance et l'on sait qu'un enfant confié à l'aide sociale à l'enfance avant l'âge de trois ans et qui y reste deux ans y restera quinze ans. En tant que législateur, vous pouvez vous saisir de cette question et réfléchir aux moyens de faire évoluer les différentes formes d'apparentement.

La loi de 2016 comporte quelques avancées, mais il faut aussi convaincre le ministère de la justice qu'il importe d'avancer sur ce sujet : 20 %, c'est considérable. Dans le Pas-de-Calais, la situation est relativement favorable, puisque 40 % des enfants ne connaissent qu'un lieu d'accueil en quinze ans et que 60 % des accueils sont familiaux. Mais aujourd'hui, et alors que tout le monde dit qu'il faudrait le renforcer, on nous annonce une diminution de l'accueil familial. Certaines décisions urgentes s'imposent, mais il faut cesser de ne raisonner qu'à court terme. Il faut définir une véritable politique de l'enfance, qui tienne compte des mutations contemporaines que sont les évolutions démographiques, la transition écologique et la transition numérique.

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