Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Réunion du jeudi 9 mai 2019 à 9h15

Résumé de la réunion

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  • ANDASS
  • enfance

La réunion

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Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance

Jeudi 9 mai 2019

La séance est ouverte à neuf heures quinze.

Présidence de M. Alain Ramadier, président de la mission d'information de la Conférence des présidents

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Chers collègues, nous commençons notre matinée de travail en accueillant M. Jean-Paul Raymond, président de l'Association nationale des directeurs d'action sociale et santé des départements et métropoles (ANDASS), accompagné de M. Roland Giraud, délégué au développement des relations partenariales.

Monsieur Raymond, votre approche du sujet est, par définition, plutôt technique et opérationnelle, mais elle nous intéresse d'autant plus que vous disposez, en tant que président de l'ANDASS – j'espère que vous nous direz un mot de votre association – d'une vision panoramique du fonctionnement décentralisé du dispositif de l'aide sociale à l'enfance dans chaque département. Face à l'extrême variété des modes de fonctionnement, voire de traitement, d'un département à l'autre, existe-t-il, au sein de votre association, une coordination et un échange de bonnes pratiques en matière d'aide sociale à l'enfance ? Si la décentralisation de cette politique permet une prise en compte des spécificités sur le terrain, nous nous interrogeons néanmoins sur les disparités qu'elle peut engendrer, que nous avons déjà pu noter lors de nos précédentes auditions. Avoir votre sentiment sur cette question sera très éclairant pour nous.

Après vous avoir entendu pendant quelques minutes, nous engagerons la discussion avec la rapporteure et l'ensemble des membres de la mission d'information.

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Jean-Paul Raymond, président de l'Association nationale des directeurs d'action sociale et santé des départements et métropoles (ANDASS)

Je vous remercie d'avoir convié l'ANDASS à cette audition. Notre association a trente ans : elle a été créée, dans le prolongement des lois de décentralisation, par un certain nombre de collègues venus des anciennes directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS). Notre conseil d'administration compte 44 professionnels, qui sont tous des directeurs d'action sociale des départements et des métropoles. Tous les types de départements y sont représentés, du plus petit au plus grand, et les sensibilités politiques y sont très diverses.

L'ANDASS n'est pas une association corporatiste, puisqu'elle défend essentiellement la qualité et l'efficacité de l'action sociale au niveau national. Nos modes d'action sont très simples et nous répondons généralement aux sollicitations des directions générales et des directions centrales. Nos principaux partenaires sont la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), mais nous travaillons aussi avec la direction générale de l'offre de soins (DGOS), la direction générale de la santé (DGS) et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Nous sommes très présents, également, dans toutes les commissions d'élus, dès lors que l'Association des départements de France (ADF) nous appelle à y participer. Notre mode d'action consiste essentiellement à publier des contributions : nous écrivons beaucoup et, à chaque fois que nous participons à un groupe de travail, que ce soit sur la protection de l'enfance, comme aujourd'hui, sur l'autonomie ou sur la grande précarité – sur cette question, nous travaillons avec M. Olivier Noblecourt – nous proposons une synthèse, avec des propositions et, éventuellement, des mises en garde.

Comme vous l'avez dit, il arrive souvent que des décisions aient des effets collatéraux, qui ne sont pas toujours perceptibles si l'on n'a pas une vision globale de l'action sociale. Or notre objectif principal, je le répète, est de garantir l'efficacité de celle-ci. Nous avons d'ailleurs fait paraître, il y a quelque temps, un petit manifeste pour une action publique plus sobre et de qualité. La notion de « sobriété » nous semble importante, compte tenu du fait que l'action sociale peut parfois être perçue comme une charge au niveau national.

Nous sommes impliqués dans tous les groupes de travail de la Conférence nationale du handicap (CNH) et nous avons travaillé avec M. Dominique Libault. Nous participons également à tous les groupes de travail relatifs à la protection de l'enfance, en lien avec l'ADF. Récemment, nous avons également travaillé sur des sujets connexes, mais tout aussi importants, tels que la protection maternelle et infantile (PMI), la parentalité ou le travail social, qui est évidemment essentiel. Enfin, l'ANDASS a hérité de la vice-présidence du Haut Conseil du travail social (HCTS) et Marie-Françoise Belle Van Thong, qui aurait dû être présente aujourd'hui, est notre représentante auprès du Comité national de la protection de l'enfance (CNPE).

L'ANDASS a une approche très globale de la protection de l'enfance, puisque nos professionnels sont à la manoeuvre auprès des élus dans les collectivités. Nous suivons cette question depuis des années et le premier point sur lequel je souhaite insister, c'est que pour réfléchir à la protection de l'enfance, il faut d'abord réfléchir à ce qu'est une compétence décentralisée et à la manière dont l'État se positionne par rapport à elle. Parce que nous sommes à la manoeuvre dans les territoires, nous sommes bien placés pour dire que l'État a un rôle extrêmement important à jouer dans toutes les compétences de ce type, parce qu'elles sont sociétales, avant d'être sociales, et qu'elles ne peuvent pas être exercées valablement et de manière efficace sans une mobilisation de l'ensemble des acteurs concernés. Je songe par exemple à l'éducation nationale, qui a un rôle essentiel à jouer en matière de détection des signaux faibles. L'école fait partie de ces lieux imprenables, comme on dit parfois en sociologie, particulièrement précieux pour observer les premiers signes de difficulté.

La question de la protection de l'enfance est liée aux politiques sociales au sens large, notamment à celle de l'habitat, puisque l'on constate une superposition des zones de grande précarité, de concentration des foyers monoparentaux, de difficultés en matière d'emploi et d'insuffisance de soutien aux populations. À Paris, on voit très bien que la carte de la précarité intense se superpose à celle du déficit de soutien en direction de certaines populations. Cela englobe également toutes les politiques inclusives, sur le plan culturel ou sportif, par exemple. On peut débattre de l'opportunité de recentraliser l'aide sociale à l'enfance mais ce qui est sûr, c'est que l'État n'est pas le mieux placé pour travailler sur la prévention et qu'il est nécessaire de mobiliser tous les acteurs locaux. Aucune compétence décentralisée ne peut être efficace sans un ancrage très fort et une participation de l'ensemble des politiques.

Une autre question essentielle, qui est à la fois technique et politique, est celle de la baisse de moyens. Les conseils départementaux subissent, depuis 2008, une pression extrêmement forte, ce qui réduit nécessairement leurs moyens d'action en matière de prévention. Ce n'est pas sur le placement des enfants que l'on peut faire des économies : on en fait donc sur la prévention. Il serait un peu hypocrite de penser que le repli sur la prévention spécialisée est un vrai choix des départements. Je sais qu'un certain nombre de collègues regrettent ce repli, qui les prive de moyens et d'un certain nombre d'outils qui seraient utiles à la protection de l'enfance au sens large. Les professionnels, dans les départements, ont de moins en moins de leviers pour agir et la protection de l'enfance a tendance à devenir une variable d'ajustement de l'ensemble des autres politiques, telles que la politique du soin ou la politique de santé. Et je ne parle pas de ce qui se passe du côté de la PJJ : parce qu'il y a moins de procédures au civil, il y a un effet de report sur les départements.

Une autre question importante est celle des mineurs étrangers, qui représentent 20 000 à 25 000 des 330 000 jeunes et enfants que nous prenons en charge au titre de la protection de l'enfance. Il est clair que ce phénomène a fortement déstabilisé nos équipes, puisqu'il s'agit essentiellement de gérer des flux et que cette question est étroitement liée aux politiques migratoires et nationales. Les nécessités de l'évaluation nous ont obligés à créer un nouveau métier. L'ANDASS a participé, avec l'ADF, à la répartition des mineurs non accompagnés (MNA), ce qui n'était pas gagné. Sur le plan professionnel, nombre de nos collègues, directeurs généraux adjoints, ont fait preuve d'un grand sens éthique dans cette affaire.

La question des mineurs non accompagnés est une question qui divise et qui n'est pas facile à traiter dans l'ensemble des départements. C'est l'un des sujets sur lesquels nous pouvons parfois avoir des désaccords, au sein même de notre association, aussi bien sur la méthode que sur les moyens. En tout cas, un travail considérable a été fait et un certain nombre de directeurs se sont impliqués personnellement pour que la solidarité nationale soit effective : cela ne s'est pas fait tout seul. Je sais que les critères de répartition nationale suscitent d'importants débats, mais je ne suis pas sûr que l'ANDASS soit la mieux placée pour trancher cette question, qui est extrêmement politique.

Vous m'avez interrogé sur les différences de traitement d'un territoire à l'autre, ce qui nous ramène à la question des politiques décentralisées et à celle de la différenciation territoriale. Nous avons défendu cette approche dans notre manifeste, que nous concevons comme un outil méthodologique sur la manière dont on peut construire les politiques publiques de demain. Nous pensons que la décentralisation est une bonne chose, dans la mesure où elle permet une différenciation et une prise en compte des spécificités locales. On ne peut pas avoir exactement la même approche en Lozère, en Corrèze ou même dans un département très rural comme la Seine-et-Marne, d'une part, et à Paris ou dans des zones très densément peuplées, d'autre part.

Tous les territoires n'ont pas les mêmes ressources, ni les mêmes caractéristiques, et nous devons en tenir compte. Les services de l'État, eux-mêmes, n'ont pas exactement la même action dans tous les territoires – il suffit de penser aux agences régionales de santé (ARS) ou aux caisses d'allocations familiales (CAF). Dans ce contexte, le département est souvent le dernier filet de sécurité : c'est lui qui adapte l'intensité de son travail, en fonction de ce qui existe déjà. La différenciation a donc le mérite d'introduire une forme de souplesse, ce qui est une bonne chose, parce qu'il n'est pas certain que toutes les situations appellent les mêmes réponses.

Ce dont nous sommes absolument convaincus, au sein de l'ANDASS, c'est qu'une politique décentralisée suppose un pilotage très fort au niveau national. Or, en matière de protection de l'enfance, le pilotage est, sinon défaillant, du moins dispersé et très hétérogène. Quand nous avons rencontré l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) à propos du groupement d'intérêt public « Enfance en danger » (GIPED) et que nous avons fait le compte des professionnels mobilisés au niveau national pour piloter cette politique, nous avons constaté qu'ils n'étaient pas nombreux. Même si les effectifs du GIPED sont assez importants, il s'agit avant tout d'un service d'écoutants, et les fonctions stratégiques qu'on peut développer dans les collectivités et les départements n'ont pas beaucoup de compétences. Il semble donc urgent de mener une réflexion sur la gouvernance au niveau national. Nous en avons déjà parlé avec M. Adrien Taquet et nous avons fait valoir notre point de vue. On pourrait s'inspirer du modèle de la CNSA, qui a plutôt bien fonctionné : les professionnels et les élus prennent réellement en compte les spécificités des territoires et le travail se fait en confiance. Au niveau national, en matière de protection de l'enfance, il y a des expériences dont on peut s'inspirer et des choses à inventer. Nous avons fait un certain nombre de propositions, notamment celle de créer une grande agence : encore faudrait-il préciser son contenu et voir comment les territoires pourraient prendre part à son action.

D'autres sujets mériteraient d'être abordés plus spécifiquement, comme la question des jeunes majeurs ou les mesures en milieu ouvert. Je songe aussi à la question de l'évaluation, qui est un vrai problème au niveau national : on a trop tendance, aujourd'hui, à modifier les organisations existantes, alors même qu'elles n'ont pas fait l'objet d'une évaluation. La protection de l'enfance n'a, pour ainsi dire, pas été évaluée depuis des années : l'étude longitudinale sur l'autonomisation des jeunes après un placement (ELAP) est certes intéressante, mais il reste un gros travail à faire en la matière. Si l'on consacrait, ne serait-ce qu'un millième du budget actuel à l'évaluation, on n'en serait pas là. L'évaluation pourrait d'ailleurs prendre des formes très diverses, comme de la formation-action ou des études en recherche-action. On sait faire tout cela, mais on le fait peu.

Il faut souligner, enfin, une évolution des publics concernés par la protection de l'enfance. C'est très net à Paris, où l'on hérite de tous les effets de bord des politiques hospitalières et des politiques de santé. Les jeunes qui ont des troubles du comportement sévères sont de plus en plus nombreux et l'on note une prévalence du nombre de jeunes en situation de handicap. Ils représentent 20 % des jeunes concernés par l'aide sociale à l'enfance, alors qu'ils ne sont que 7 % à 11 % au sein de la population totale. À Paris, sur 5 000 jeunes placés, 780 sont reconnus handicapés. Pour une cinquantaine d'entre eux, il a fallu inventer des solutions très spécifiques, en créant notamment des équipes mobiles d'appui avec des pédopsychiatres. Certains de ces jeunes ne sont pas reconnus handicapés, alors même qu'ils ont des troubles du comportement sévères. J'ai déjà eu deux cas particulièrement difficiles à gérer dans l'Essonne et dans le Loiret et, à Paris, il nous est arrivé d'avoir 52 jeunes à l'hôtel, avec des infirmiers en psychiatrie qui tournaient en permanence, ce qui est tout de même problématique…

L'aide sociale à l'enfance (ASE) voit arriver des mineurs étrangers de dix-sept ans, qui sortent de l'hôpital avec une injection à effet à retard, et il faut se débrouiller : ce n'est pas possible. Nous devons réfléchir aux modes de prise en charge par la psychiatrie pour adultes, parce que ces jeunes, une fois majeurs, sont livrés à eux-mêmes.

Un chiffre, enfin, doit toujours être rappelé quand on parle de la protection de l'enfance : chaque année, 100 000 à 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans aucune formation. Sur une classe d'âge de 750 000 individus, cela doit tout de même nous alerter. Je l'ai déjà dit, le service social scolaire, la médecine scolaire, la PMI sont des services qui sont en grande difficulté aujourd'hui, alors qu'ils devraient concourir à la détection et à la prévention. Nous n'avancerons pas si nous ne travaillons pas sur ces questions. On pourra toujours critiquer l'ASE, mais celle-ci ne sera jamais que la variable d'ajustement des autres politiques.

Vous m'avez interrogé, enfin, sur les initiatives de l'ANDASS en vue d'une coordination au niveau national. Nous avons un référent, M. Pierre Stecker, qui ne pouvait pas être présent aujourd'hui. Il travaille en Seine-Saint-Denis et il anime, avec Mme Marie-Françoise Belle Van Thong, un groupe national en matière de protection de l'enfance qui fonctionne très bien. Nous avons également des têtes de réseau sur tous les sujets : l'autonomie, l'insertion, le travail social, l'investissement social. Il faut savoir que l'ANDASS ne bénéficie d'aucun financement public et qu'elle n'en cherche pas. Son action repose uniquement sur la bonne volonté de ses membres : c'est évidemment une limite à son action, mais elle est l'une des rares associations qui réfléchissent globalement à l'action sociale en France aujourd'hui.

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Roland Giraud, délégué au développement des relations partenariales de l'ANDASS

Je suis peut-être le seul, dans cette salle, à avoir connu l'aide sociale à l'enfance avant la décentralisation. Les politiques publiques relatives à l'enfance évoluent très lentement en France et elles peuvent susciter de très vives tensions. Il suffit de voir les réactions violentes qu'a suscitées, sur les réseaux sociaux, l'adoption de la proposition de loi de Mme Brigitte Bourguignon. Hélas, il faut qu'une telle violence s'exprime pour que la presse se saisisse de ce sujet. S'il y a une chose sur laquelle votre mission d'information devrait insister, c'est sur la nécessité de mener des politiques durables et ambitieuses.

On oublie souvent qu'il y a un lien très fort entre l'aide sociale à l'enfance et la pauvreté. Lorsque le débat a eu lieu, on n'a pas voulu faire de lien entre la stratégie de protection de l'enfance et la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté. Il est évident que les pauvres ne sont pas les seuls à pouvoir se montrer violents avec leurs enfants, mais le lien est tout de même très fort entre l'aide sociale à l'enfance et la pauvreté. Une étude sur les parcours d'enfants réalisée dans le Pas-de-Calais, où j'ai occupé mon dernier poste, a montré que 20 % des enfants accompagnés par l'ASE sont très lourdement maltraités : leur situation est tellement indigne que la séparation, en vue d'un nouvel apparentement, semble souvent indispensable. On note par ailleurs un lien très fort avec l'absence de revenus d'activité et la monoparentalité.

Dans le discours qu'il a prononcé à l'issue du grand débat, le Président de la République a dit deux choses qui nous intéressent, mais dont nous attendons la traduction concrète : il a affirmé le principe de la différenciation et souligné l'importance de la monoparentalité – on sait qu'un enfant sur deux, au moment où il est pris en charge par l'ASE, ne vit pas avec ses deux parents. Il faut tenir compte aussi des questions d'éducation et de handicap, alors qu'on a trop tendance, aujourd'hui, à n'envisager la question de l'aide sociale à l'enfance qu'en lien avec l'autorité judiciaire. Il importe de mieux organiser le lien entre la politique de l'enfance et les autres politiques publiques.

J'ai commencé à travailler en 1980. À cette époque, quand on dépensait 1 euro en Seine-et-Marne en pédopsychiatrie, on en dépensait 30 à Paris et l'on constatait le même genre d'écart s'agissant du coût par lit à l'hôpital – c'étaient les débuts de l'analyse de gestion. Il faut construire une cartographie de l'aide sociale à l'enfance en France, qui tienne compte à la fois de l'histoire, des pratiques et des données sociologiques et démographiques. J'ai travaillé dans les Pyrénées-Orientales et dans le Pas-de-Calais. Les deux départements ont des indicateurs très dégradés en termes d'emploi et de taux de recours au RSA, mais ils n'ont pas les mêmes histoires. Dans le Pas-de-Calais, comme dans les autres départements du Nord, on a toujours confié plus facilement un enfant que dans les Pyrénées orientales, où ce système a toujours été beaucoup moins organisé.

Si nous ne faisons pas cette cartographie, nous continuerons de nous opposer les uns aux autres, et l'aide sociale à l'enfance risque de devenir un bouc émissaire, ce qui est déjà un peu le cas. Lorsque nous avons rencontré l'association Sésame Autisme, par exemple, nous avons été très critiqués… On découvre progressivement ce qu'est l'autisme et on construit des politiques publiques, mais aujourd'hui, la délégation interministérielle à l'autisme compte autant de membres que la délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté. C'est vraiment à qui criera le plus fort.

La dernière étude proposant une évaluation des organisations chargées de l'aide sociale à l'enfance date de 1979 : elle émanait du centre de sociologie des organisations. Par ailleurs, on renvoie, aujourd'hui encore, au rapport Bianco-Lamy intitulé « L'aide sociale à l'enfance demain », qui date de 1980. En lisant ce document, on s'aperçoit que des progrès ont été faits dans certains domaines, mais aussi, hélas, que certains des risques pointés par les auteurs sont devenus une réalité. Au-delà des groupes de travail déjà à l'oeuvre, nous devons mener une réflexion en profondeur sur deux ans afin de repenser le modèle dans son ensemble, en partant de ses richesses et de ses réussites car, sur certains aspects, il ne réussit pas si mal que cela. Nous devons réfléchir à la manière de faire avancer le droit, notamment sur la question du délaissement. Aujourd'hui, 20 % des enfants restent à l'aide sociale à l'enfance et l'on sait qu'un enfant confié à l'aide sociale à l'enfance avant l'âge de trois ans et qui y reste deux ans y restera quinze ans. En tant que législateur, vous pouvez vous saisir de cette question et réfléchir aux moyens de faire évoluer les différentes formes d'apparentement.

La loi de 2016 comporte quelques avancées, mais il faut aussi convaincre le ministère de la justice qu'il importe d'avancer sur ce sujet : 20 %, c'est considérable. Dans le Pas-de-Calais, la situation est relativement favorable, puisque 40 % des enfants ne connaissent qu'un lieu d'accueil en quinze ans et que 60 % des accueils sont familiaux. Mais aujourd'hui, et alors que tout le monde dit qu'il faudrait le renforcer, on nous annonce une diminution de l'accueil familial. Certaines décisions urgentes s'imposent, mais il faut cesser de ne raisonner qu'à court terme. Il faut définir une véritable politique de l'enfance, qui tienne compte des mutations contemporaines que sont les évolutions démographiques, la transition écologique et la transition numérique.

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J'ai cinq questions à vous poser.

Vous avez évoqué la situation des mineurs non accompagnés, et j'aimerais savoir comment vous concevez votre rôle vis-à-vis d'eux. Que faudrait-il améliorer, selon vous, dans le processus d'accueil et d'identification de ces mineurs isolés ?

Vous avez mentionné la loi de 2016 : pourquoi, selon vous, n'arrive-t-on pas à l'appliquer ? Avez-vous identifié des points inapplicables ?

La situation des professionnels est un point important pour nous, car nous savons que ce n'est pas un métier facile. Puisque vous les connaissez bien, pouvez-vous nous dire ce qu'il faudrait améliorer dans leur formation ou dans leur accompagnement au quotidien ?

J'ai entendu votre réflexion sur le pilotage national et j'aimerais savoir si vous avez des propositions à nous faire.

Enfin, avez-vous de nouvelles propositions à faire pour la protection de l'enfance ? Faut-il inventer d'autres modes de placement ou, par exemple, remettre au goût du jour ce que l'on appelle les lieux de vie ? Faut-il, enfin, inventer quelque chose de nouveau en matière d'accompagnement en milieu ouvert ?

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Jean-Paul Raymond, président de l'Association nationale des directeurs d'action sociale et santé des départements et métropoles (ANDASS)

S'agissant des mineurs étrangers, nous avons fait un certain nombre de propositions, et d'abord celle-ci : que l'État reprenne l'évaluation. Nous étions absolument sur la même ligne que l'ADF sur cette question. Le décret, relatif aux fichiers VISABIO et à l'application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF) – auquel seuls trois départements, Paris, la Seine-Saint-Denis et la Meurthe-et-Moselle, se sont opposés – montre que l'État a une idée assez précise de la politique qu'il veut mener au sujet des mineurs étrangers.

Pour notre part, nous avions préconisé que l'évaluation et la mise à l'abri soit prise en charge par l'État et que ce soit l'État qui détermine si les jeunes relèvent ou non de l'aide sociale à l'enfance. Aujourd'hui, la situation est confuse, et elle l'est d'autant plus que le dernier décret est totalement adossé à la loi sur l'immigration. Des professionnels vont devoir enseigner l'utilisation du fichier VISABIO, qui sera lui-même connecté à l'AGDREF, en vue de reconduites à la frontière, ce qui pose tout de même des soucis éthiques du point de vue de la protection de l'enfance. Le Conseil national de la protection de l'enfance n'a pas approuvé ce projet de décret. C'est bien le signe, en tout cas, que l'État a quelque chose à faire dans ce domaine.

Vous m'interrogez sur les pistes d'amélioration. Je pense qu'on pourrait améliorer les choses en matière de santé. Une étude que nous avons réalisée auprès de 250 mineurs étrangers montre qu'ils sont plutôt résilients et en bonne santé globale. Néanmoins, certains d'entre eux ont des problèmes post-traumatiques extrêmement importants, qui nécessiteraient une vraie prise en charge médicale. Un diagnostic infirmier devrait, au minimum, permettre de repérer les problèmes de santé et il serait utile de pouvoir compter sur des psychologues pour appuyer les équipes dans la prise en charge de ces jeunes. Les mineurs non accompagnés s'impliquent beaucoup et font des efforts considérables pour s'insérer. Ce qu'il faut absolument favoriser, c'est l'accès aux droits. Le vrai problème, c'est que la sanction tombe à dix-huit ans et que, une fois majeurs, ces jeunes gens ne peuvent ni travailler, ni avoir un logement. À quoi sert-il que la collectivité s'engage auprès d'eux si, quelques années après, on les remet à la rue ?

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Roland Giraud, délégué au développement des relations partenariales de l'ANDASS

Les questionnaires d'évaluation de la mise en oeuvre de la loi de 2016, pilotés par l'ANDASS et la DGCS, seront restitués le 26 mai au Conseil national de protection de l'enfance. Nous vous transmettrons les documents.

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Jean-Paul Raymond, président de l'Association nationale des directeurs d'action sociale et santé des départements et métropoles (ANDASS)

La mise en oeuvre du projet pour l'enfant (PPE), au centre de la loi de 2016, est difficile pour des services qui travaillent dans l'urgence en permanence. Le référencement, c'est là où tout se passe, mais les départements doivent pouvoir bénéficier des effectifs nécessaires pour appliquer cette politique de façon sereine. Cela suppose aussi de mobiliser l'ensemble de l'offre, y compris celle de l'extérieur.

Pour que les médias ne soient plus les seuls à en parler, il faudrait, au niveau national, organiser une communication positive, sans doute plus sociétale, autour de la protection de l'enfance. Rien n'est plus dévastateur pour nos services que les documentaires à charge : les professionnels sont ensuite à ramasser à la petite cuiller, et partent vers d'autres secteurs. L'ANDASS a d'ailleurs publié une contribution après la diffusion du documentaire « Enfants placés : les sacrifiés de la République » de l'auteur de Dans l'enfer des foyers.

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Pourtant, les services de protection de l'enfance hésitent beaucoup à s'ouvrir à l'extérieur, même lorsqu'il s'agit de promouvoir leurs actions. Nous avons ainsi beaucoup de mal à être accueillis, dans le cadre de cette mission d'information, dans des services que nous savons novateurs, et que nous aimerions mettre en avant.

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Roland Giraud, délégué au développement des relations partenariales de l'ANDASS

Votre mission pourrait fort légitimement visionner un documentaire que l'ANDASS a financé, aux côtés de quatre départements ; il sera diffusé pour la première fois dans le cadre des journées de protection de l'enfance, en Gironde, le 6 juin.

Dans les années 1990, alors que la compétence sur le repérage de l'enfance maltraitée venait d'être confiée aux départements, Marceline Gabel a été chargée de faire le lien avec les médias. Il ne faudrait jamais relâcher l'effort, car les médias sont amnésiques : ils ne rendent compte que des failles, certes graves, et ne notent jamais les avancées du système.

Il faut aussi favoriser la reconnaissance professionnelle, alors que les métiers, c'est une chronique annoncée, disparaissent : demain, nous n'aurons plus d'auxiliaires de vie pour accompagner les malades chroniques et les personnes non autonomes, plus de puéricultrices. Même si à chaque nouveau lancement de stratégie, on reparle de formation – Olivier Noblecourt s'enorgueillit de former de nouvelles puéricultrices –, rien n'est fait pour améliorer l'image de ces métiers, c'est aussi le cas dans l'éducation. Disons-le clairement : on se fiche de ceux qui s'occupent de l'humain, de la vie quotidienne des gens ! Et que 90 % des 1,2 million de travailleurs sociaux – en première ligne pour absorber la violence dans les foyers – soient des femmes constitue une discrimination supplémentaire.

Durant le processus de décentralisation, et parce que l'on voulait être de bons gestionnaires, on n'a pas accompagné ces métiers qui auraient dû évoluer en même temps que la société. La démarche prospective n'existe pas : L'Oréal anime un réseau de 500 bénévoles pour définir ce que seront les produits de demain et consacre entre 5 % et 10 % de son budget à la recherche-développement. Pourquoi le secteur de l'enfance ne pourrait-il pas faire l'objet de recherche et développement ? Nous organisons une journée spécifique sur cette question, en novembre, dans le département du Nord.

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Jean-Paul Raymond, président de l'Association nationale des directeurs d'action sociale et santé des départements et métropoles (ANDASS)

S'agissant du pilotage national, l'idée est de regrouper les organismes, les embryons de postes existants, que ce soit à l'Observatoire national de l'enfance en danger (ONED) ou au GIPED, et de faire en sorte que le Conseil national de protection de l'enfance, dans une version étendue, devienne l'instance de gouvernance de cette entité. Les moyens sont dispersés, pas plus de trente personnes portent la politique nationale de protection de l'enfance, les fonctions stratégiques sont rares. Il s'agirait d'impliquer davantage les collectivités et d'intégrer un représentant de chaque ministère – culture, sport, logement, insertion professionnelle, éducation nationale – afin de souligner la dimension inclusive de l'entité. Une direction nationale très ouverte et interministérielle serait un signal fort.

Plutôt que d'inventer au niveau national des outils, il faudrait laisser plus de liberté aux territoires, qui ne manquent pas de créativité, pour donner, par exemple, des statuts expérimentaux à des établissements. Sans doute faut-il aussi consolider les outils existants : les services d'accueil familiaux étaient une excellente formule, hélas en perte de vitesse aujourd'hui. Enfin, l'ASE n'est pas toujours la bonne solution pour l'autonomisation des jeunes ; il faut s'ouvrir à d'autres secteurs, comme les plateformes d'insertion professionnelle.

Les territoires, dès lors qu'on leur laisse quelque latitude, savent inventer. Une agence nationale pourrait lancer des appels à projets, comme la CNSA l'a fait pour la conférence des financeurs de la prévention de la perte d'autonomie, cela permettrait de réduire la pression. Il est regrettable que seuls soient fournis des indicateurs de réalisation – le modèle de contrat à employer, par exemple –, jamais de résultat. Travailler sur les résultats serait un levier de mobilisation de l'ensemble des acteurs dans les territoires.

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Conseiller départemental du Nord, je préside une mission d'évaluation et d'information sur la politique d'aide sociale à l'enfance dans le département.

Si les départements doivent être des prestataires pour la prise en charge des MNA, je persiste à penser que ces mineurs relèvent de l'État, au titre de la politique d'immigration. On observe une forme de traumatisme chez les acteurs sociaux, chargés d'évaluer la minorité alors que ce n'est pas leur métier. Ne pensez-vous pas que cette évaluation doive être assurée par l'État et non par les services sociaux du département ?

La loi de 2016 est une superbe loi, mais très difficile à mettre en oeuvre. Je prendrai connaissance avec intérêt des documents d'évaluation dont vous avez parlé.

Dans le département du Nord, on note un fort vieillissement, un déficit de renouvellement des assistants familiaux disponibles et des sureffectifs parmi les enfants accueillis. Le constat est-il le même au niveau national ? Une formation est requise, mais il est parfois possible d'exercer ce métier sans avoir obtenu le diplôme : cette situation est-elle susceptible d'évoluer ? Faut-il proposer d'autres qualifications ? En quoi l'accompagnement des assistants familiaux peut-il être amélioré ?

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Vous avez proposé de créer une caisse nationale de solidarité pour la protection de l'enfance, sur le modèle de la CNSA. Pouvez-vous en dire davantage ?

Vous avez déploré l'image dont pâtit la protection de l'enfance. Pour avoir vécu une campagne électorale départementale, je sais que le sujet est rarement évoqué et que les électeurs ignorent qu'il s'agit là d'une compétence du département. Je ne vois pas comment souligner davantage l'importance de cette politique.

L'État a consenti un effort budgétaire conséquent, qu'il s'agisse de la prise en charge des majeurs sortant de l'ASE ou de celle des MNA et de l'évaluation de leur minorité. Comment harmoniser les politiques et répartir équitablement les budgets, autrement qu'en créant une instance nationale ?

Que pensez-vous de la proposition de loi de Brigitte Bourguignon, adoptée par l'Assemblée nationale cette semaine ? Comment faire en sorte que les départements s'en saisissent ? Va-t-elle, selon vous, entraîner la disparition des contrats jeunes majeurs ?

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Vous expliquez que la protection de l'enfance doit s'ouvrir à l'éducation nationale, mais en tant que professeure de français langue étrangère en réseau d'éducation prioritaire (REP), je n'ai jamais reçu aucune formation et j'ai dû faire face au départ brutal de l'une de mes élèves sans que j'en aie été avertie. Connaissez-vous des exemples positifs de partenariat avec l'éducation nationale dans les départements ?

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Je siège à la commission des affaires culturelles et de l'éducation et je trouve intéressant de favoriser les liens avec l'éducation nationale. Quelles sont les actions en matière de prévention et de détection que l'on pourrait proposer en la matière ? Quels liens peut-on tisser entre le plan Blanquer et le grand plan « Pauvreté », afin de ne plus travailler en silo ?

Pour avoir été journaliste pendant trente ans avant d'être élue députée, je sais que les journalistes n'ont pas accès aux services sociaux, qui ont été complètement verrouillés de l'intérieur. Ils travaillent donc dans les marges, avec les miettes que l'on veut bien leur donner. Vos services gagneraient à s'ouvrir, pour travailler sur le fond, avec des journalistes de confiance.

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Jean-Paul Raymond, président de l'Association nationale des directeurs d'action sociale et santé des départements et métropoles (ANDASS)

L'ANDASS a pris une position très claire sur les MNA, estimant qu'il revenait à l'État d'assurer l'évaluation de la minorité. Demander aux conseils départementaux de statuer sur des questions d'immigration reviendrait à dévoyer la politique de protection de l'enfance. Nous vous transmettrons les contributions écrites que nous avons publiées sur le sujet.

Le vieillissement des assistants familiaux est une réalité nationale, tout comme la baisse des effectifs : à Paris, leur nombre est passé de plus de 900 à 780. Des pistes existent, pour valoriser le métier et mettre en place des solutions de répit : les assistants familiaux ne peuvent s'engager à 100 %, ad vitam aeternam. Il faut savoir que les jeunes en situation de handicap sont majoritairement accueillis dans ces foyers, ce qui mobilise l'ensemble de la famille et suppose des compétences spécifiques. Les services départementaux et les associations qui gèrent les services d'accueil familial doivent apporter un étayage, notamment au niveau de la formation. Mais regardons les choses du bon côté : globalement, l'intégration des jeunes est réussie.

L'accueil en famille n'est pas l'unique solution. Il faut favoriser le parrainage, qui a du mal à décoller en France, inventer des statuts plus souples qui permettaient à des tiers de prendre le relais des professionnels de la protection de l'enfance. Il convient aussi de réfléchir à la question de l'accueil par les tiers dignes de confiance.

L'ANDASS plaide pour la modularité des accueils, des solutions moins en silo, qui permettent, sans multiplier les repères, d'offrir des alternatives. Ainsi, un assistant familial pourra trouver un soutien auprès d'un établissement collectif voisin, mieux armé pour accompagner un jeune en crise. Il convient de réfléchir à l'adossement des structures dans le handicap enfant, à une meilleure fluidité entre l'institut médico-éducatif (IME), l'institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP) et le service d'éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD).

Le décloisonnement, à condition qu'il n'entraîne pas une multiplication des repères pour les jeunes, est une solution. Mais plutôt que d'inscrire un objectif national pour décongestionner le système, il faut laisser les acteurs locaux apporter leurs propres solutions innovantes.

L'instance nationale que nous appelons de nos voeux ne peut pas être une caisse, car cela signifierait de reconcentrer l'ensemble des financements, avant de les répartir à nouveau. Il ne faut pas nécessairement être une caisse pour négocier des objectifs nationaux et organiser la politique. Ce que nous retenons, c'est le modèle de gouvernance de la CNSA, qui reconnaît les professionnels, avec les maisons départementales de personnes handicapées (MDPH) anime le réseau, se déplace sur le terrain, construit des outils informatiques communs pour partager les données. L'ONED s'y est essayé auprès des observatoires départementaux, mais cela fonctionne moyennement, faute d'incitations et d'animation.

Cette instance serait aussi chargée d'organiser la communication, ce qui suppose une véritable réflexion stratégique, jusque-là inexistante. Il ne faut pas nécessairement communiquer sur la protection de l'enfance, mais travailler sur la prévention, les signaux, l'idée que, dans ce domaine, tous les citoyens sont acteurs.

La proposition de loi de Brigitte Bourguignon soulève plusieurs questions. Pourquoi les départements qui proposaient des contrats jeunes majeurs ne le font plus, ou moins ? C'est que c'est optionnel : tout ce qui ne relève que d'une possibilité, a été freiné dans les départements. Lorsque des droits sont ouverts auprès de la MDPH, il y a une obligation de faire. Dès lors que celle-ci n'existe pas, on joue sur la politique. Quand un département est obligé de payer la facture du revenu de solidarité active (RSA), il réduit les contrats jeunes majeurs, la prévention spécialisée, les aides à l'insertion, et recentre ses dépenses sur l'accès aux droits.

Cela revient à poser la question de ce qu'est une politique décentralisée. Ce qui fait la différence entre les départements, c'est la façon dont ils jouent sur l'intensité et la méthode. Ils peuvent travailler sur une autre marge, celle des coûts globaux. Il suffit de regarder les objectifs annuels d'évolution des dépenses depuis 2008 : ils avoisinent zéro, lorsqu'ils ne descendent pas à moins 5 %, pour les départements qui n'avaient pas les moyens de faire autrement.

A-t-on vraiment les moyens de faire des contrats jeunes majeurs ? Je pense que si les départements pouvaient développer des politiques de ce type, ils le feraient, car il est utile, et bien plus intéressant, de prolonger l'aide à un jeune après sa majorité et sa sortie de l'établissement par un accompagnement à l'université. Mais les professionnels subissent ces contraintes financières ; c'est une génération sacrifiée, qui perd le sens de sa mission.

Il n'y a rien de pire pour un professionnel de ne pas pouvoir proposer de travail et un logement aux personnes qui ont conclu un contrat RSA : le métier finit par perdre de son intérêt. Comme managers, nous ne nous étonnons plus de voir les professionnels changer d'environnement, partir parfois dans le secteur associatif ; nous avons du mal, aujourd'hui, à maintenir le sens de l'action publique dans les départements.

Il y aurait beaucoup de choses à dire sur les partenariats avec l'éducation nationale. Paris fait partie des onze collectivités qui gèrent un service social et un service de santé scolaires dans le cycle élémentaire : c'est une grande chance que de pouvoir assurer, depuis la PMI, une continuité du parcours et disposer ainsi d'un levier phénoménal pour travailler sur la prévention. Nous venons, avec Dominique Versini, de rattacher les services sociaux scolaires, qui ont une vision globale sur la population scolaire, à la protection de l'enfance, afin qu'elle bénéficie de ce regard préventif sur l'ensemble des enfants.

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Que cela signifie-t-il, en termes de coûts évités ?

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Roland Giraud, délégué au développement des relations partenariales de l'ANDASS

Vous posez la question de l'investissement social, ou des coûts évités, des notions sur lesquelles nous appelons à approfondir la réflexion.

Le coût de l'accueil d'un enfant à l'ASE pendant quinze ans se situe entre 600 000 et 700 000 euros ; il serait idiot de ne pas investir dans une année supplémentaire. Pourtant, cela relève des dépenses de fonctionnement, dont le « pacte de Cahors » prévoit qu'elles ne doivent pas augmenter de plus de 1,2 %, quand les dépenses d'investissement – comme par exemple la réparation inutile d'un rond-point – sont perçues comme vertueuses.

L'ANDASS a produit une note sur la nécessité de sortir de cette organisation comptable des collectivités locales qui distingue les dépenses d'investissement et de fonctionnement. Ce mécanisme est archaïque et mènerait à sa perte n'importe quelle entreprise privée ! C'est en partant d'éléments structurels de cet ordre que nous pouvons parvenir à faire avancer les choses. Nous appelons à exclure du pacte de Cahors les dépenses correspondant à de l'investissement dans le développement humain, et dont on peut attendre un retour.

Le coût d'un emploi de travailleur social représente cinq allocations de RSA. Le placement d'un enfant en établissement revient à 60 000 euros par an, soit 1,5 poste de travailleur social. Si vous cherchez à développer l'adoption des enfants grands – on en compte 200 par an actuellement –, en convainquant les travailleurs sociaux, en cherchant à faire des apparentements qui pourront prendre la forme de l'adoption simple, pourtant boudée par les Français, vous faites de l'investissement, et vous pouvez réinvestir les 600 000 euros que coûte un placement. Ce n'est pas magique, mais c'est une façon d'aborder les choses. Il faut inscrire cette démarche dans toutes les politiques publiques.

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Jean-Paul Raymond, président de l'Association nationale des directeurs d'action sociale et santé des départements et métropoles (ANDASS)

C'est une notion que l'on commence à prendre en compte au niveau national. Il est vrai que le pacte de Cahors nous a poussés à réfléchir à ces questions. Auditionnée par la mission Richard-Bur, l'ANDASS a proposé d'adosser un certain nombre de contrats passés avec les territoires, qui seraient ainsi neutralisés par rapport à l'objectif de limitation à 1,2 %. La réflexion est en cours avec Olivier Noblecourt.

Il est aberrant de devoir mener des politiques contraintes d'un côté quand, de l'autre, l'État incite à dépenser davantage, sur nos propres compétences ! Nous nous sommes vus obliger de refuser des crédits que la CNSA nous offrait dans le cadre de la conférence des financeurs de la prévention de la perte d'autonomie, parce que la trajectoire de Cahors ne prenait en compte que les dépenses ! Il en va de même pour l'autisme, pour le handicap. Ce sont deux discours différents que l'on tient : quel sens cela a-t-il si l'on ne se met pas d'accord sur les politiques à développer au niveau national ? C'est une aberration, que les professionnels peuvent percevoir au niveau qui est le leur.

La réunion s'achève à dix heures trente.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance

Réunion du jeudi 9 mai 2019 à 9 h 15

Présents. - Mme Delphine Bagarry, M. Guillaume Chiche, M. Paul Christophe, Mme Perrine Goulet, Mme Sandrine Mörch, Mme Bénédicte Pételle, Mme Florence Provendier, M. Alain Ramadier.

Excusés. - Mme Jeanine Dubié, Mme Françoise Dumas.