Intervention de Isabelle Gerdet

Réunion du jeudi 9 mai 2019 à 10h15
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Isabelle Gerdet, avocate au Barreau de Tours :

Je suis avocate au barreau de Tours, dans un barreau et un tribunal de grande instance (TGI) un peu plus ordinaires que ceux de Bobigny. J'exerce depuis dix-neuf ans, j'ai été élue deux fois au Conseil de l'ordre et je fais partie de la commission Mineurs, c'est-à-dire le conseil formé d'avocats d'enfants du barreau de Tours qui se sont organisés et gèrent les questions relatives à l'enfance.

Dans ce cadre, j'ai participé à la rédaction de deux conventions : l'une avec le TGI et une avec la PJJ, de sorte à organiser nos contacts et à prôner la règle « un avocat-un enfant », ce qui avait été mis en avant par le Conseil national des barreaux (CNB). Dès lors qu'un enfant est amené à être présenté devant un juge, le même avocat intervient et joue le rôle de fil rouge, ce qui lui permet d'avoir un interlocuteur référencé et connu.

Mon activité porte principalement sur des dossiers judiciaires qui passent devant le juge des enfants. L'aspect administratif et d'assistance éducative intervient à la marge. Lorsque des dossiers passent d'abord devant le juge des affaires familiales, des difficultés sont pointées ; à ce stade, j'accompagne les enfants. La difficulté est de prendre sa place, d'être reconnu en tant que référent et intervenant pour l'enfant et d'être entendu par les différents acteurs.

J'interviens principalement auprès des enfants, mais également des parents, ce qui me donne une vision un peu plus large de leurs difficultés. J'interviens également au pénal. Souvent, les enfants présentés devant le juge des enfants au pénal sont des enfants en danger. Un lien fort est à construire pour assurer les suivis et l'assistance éducative.

Lorsque vous nous avez sollicités, vous nous avez demandé d'aborder les difficultés que nous rencontrions au quotidien dans nos juridictions. J'en ai recensé quelques-unes. Au TGI de Tours, cela ne fonctionne pas trop mal, grâce aux moyens humains qui permettent de temporiser et d'avancer. Bien sûr, des moyens supplémentaires seraient nécessaires. Pour citer un exemple, le TGI compte trois juges des enfants. Une des juges est en disponibilité pendant un an. Son absence a donc été préparée, actée, prévue ; il n'en reste pas moins qu'elle n'a pas été remplacée, impactant de fait l'ensemble du dispositif et les audiences.

Pour tout ce qui relève des mesures d'assistance éducative et du renouvellement de l'assistance éducative « simple », nous avons la possibilité de faire un rapport écrit et d'indiquer la façon dont nous concevons les choses pour les enfants que nous accompagnons. Pour autant, il n'y a plus d'audiences alors qu'elles sont primordiales. De nature contradictoire, elles permettent à chacun de s'exprimer et d'entendre les avis des différents acteurs concernés. Le conseil départemental se retrouve, de fait, juge et partie. En effet, il rend un rapport demandant un renouvellement d'assistance éducative ; à la fois il est chargé de l'enfant et de l'intérêt de l'enfant. Il est compliqué pour lui d'assumer ces deux casquettes. Il prend indirectement une décision, le juge des enfants la valide, mais les enfants ne verront pas le juge des enfants et ne comprendront pas toujours qui prend la décision et qui est responsable.

Autre impact, tout ce qui relève des audiences pénales est actuellement pris en charge par d'autres magistrats du TGI qui, certes, sont sensibles au sujet et cela se passe bien, mais qui ne sont pas juges des enfants. Les juges des enfants traitent en priorité les dossiers d'assistance éducative compliqués pour faire face aux difficultés.

S'agissant des délais de prise en charge, le TGI de Tours connaît également des délais importants, contradictoires avec les besoins qui sont signifiés aux audiences. Les mesures d'AEMO réclament environ huit mois avant d'être mises en place ; pour un placement à domicile, selon les places disponibles et selon le secteur du département, l'attente peut atteindre neuf à dix mois. Les enfants sont alors laissés en difficulté, sans intervenant.

Actuellement, le conseil départemental remet à plat les lots de prise en charge de la protection de l'enfance, l'assistance éducative à domicile, mais aussi l'action éducative en milieu ouvert, renforcée et autres, et le placement éducatif à domicile. Tous les lots ont été revus et sont réorientés auprès des différentes associations qui sont sur le secteur. C'est ainsi que des associations en place ont perdu certains lots. Cela crée une incertitude, des difficultés, tout le monde est un peu inquiet du suivi, de la façon dont cela va se passer. En tout cas, pour l'heure, cela ne facilite pas les suivis.

Concrètement, les difficultés que je peux rencontrer avec les enfants varient avec leur âge, notamment en termes de communication. Les mesures éducatives, en général, sont ordonnées pour une période d'un an. Si nous ne faisons rien au cours de cette période, nous perdons définitivement le contact avec l'enfant. Si les enfants sont petits, ils n'ont pas la possibilité de nous contacter, d'appeler au téléphone, de prendre rendez-vous et de venir à la fin des cours. Lorsque nous arrivons à connaître le domicile des enfants, je leur écris, je les invite à un rendez-vous. Ils y sont sensibles, parce qu'ils trouvent là un espace de parole qui est souvent mis de côté, quelqu'un qui n'est là que pour eux, qui n'est pas là pour rendre compte, ils bénéficient du secret professionnel. Il est important dans l'esprit des enfants de savoir que le secret leur est garanti ; ils peuvent ainsi se livrer plus facilement et cela leur redonne de l'importance. L'enfant que vous recevez deux ou trois fois pendant l'année se dit « Je suis quelqu'un, je ne suis pas juste là balancé à droite et à gauche ». Ils y sont sensibles. Quand ils sont petits et placés, j'ai du mal à suivre le chemin si par hasard ils sont amenés à déménager. J'écris à l'ASE, au conseil départemental. Mais avant que mon courrier arrive à l'ASE, soit retransmis à l'enfant ou que la personne qui l'a en charge ou que le foyer me l'amène, c'est extrêmement difficile.

Lorsqu'ils sont plus grands, qu'ils disposent de moyens de communication, mes contacts sont plus nombreux, car il est plus simple de les joindre. Cela dit, encore la semaine dernière, une enfant m'a confié qu'elle n'avait pas dit qu'elle venait voir l'avocate parce que les éducateurs n'y semblaient pas favorables. Alors que l'avocat pourrait être un référent utile et neutre et accompagner l'enfant, il est perçu comme un grain de sable dans le système. Il me semble donc primordial de développer la communication, de l'appuyer et de l'introduire dans la loi, afin que nous soyons identifiés en tant qu'avocats d'enfants comme pouvant servir l'enfant et l'aider, et ce dans différents domaines.

On a parlé des jeunes majeurs. J'entends bien que tel ne soit pas l'objet de votre commission, mais en tant qu'avocats, nous pouvons accompagner ces jeunes dans diverses démarches, soit pour obtenir une pension alimentaire lorsque les parents en ont la possibilité, soit pour mettre en place d'autres modalités qui permettent à l'enfant d'avoir un petit pécule. L'article 19 de la loi de 2016 donne la possibilité aux enfants de récupérer un pécule mais lorsque nous évoquons le sujet, les gens nous regardent avec des yeux ronds comme des ballons. C'est ainsi que de nombreux enfants ne récupèrent jamais ces sommes qui pourraient les aider.

Les démarches éducatives, pour répondre au pragmatisme, poussent les enfants placés à s'inscrire dans des cursus courts, des cursus professionnels, afin qu'à 18 ans ils ne soient pas complètement démunis et largués dans la nature comme on peut le voir souvent.

S'agissant des préconisations, je propose la désignation systématique d'un avocat pour les enfants mineurs. Dans toutes les situations, ce serait l'idéal. À défaut, au moins quand le placement est envisagé, il est impérieux que l'enfant soit assisté.

Par ailleurs, nous sommes confrontés à une difficulté concrète de communication des rapports éducatifs. Le rapport éducatif est fait par l'ASE, envoyé au tribunal, reçu par le greffe. Même lorsque l'avocat participe du dossier, il doit en formuler la demande pour en obtenir la copie. Mais les greffes sont surchargés, n'ont pas toujours le temps de nous le transmettre, il faut que nous passions au tribunal faire la copie, c'est compliqué, alors que la formule d'un document contradictoire serait simple. Nous sommes des intervenants de justice, nous n'allons pas le diffuser, nous sommes tenus par des règles. Dès lors que nous serions identifiés, il serait aisé de nous transmettre ce rapport, nous gagnerions un temps considérable. Mais la loi en disposant autrement, nous sommes, pour l'heure, coincés par ce texte qui nous empêche d'avoir facilement accès à des informations essentielles.

Je me suis reportée aux travaux des auditions précédentes. Il a notamment été évoqué la question de l'évaluation des difficultés, des moyens Étatconseils départementaux et de la nécessité d'alléger les finances de ces derniers. Les mesures d'investigation dont il a été question sont rarement confiées à la PJJ qui est pourtant un service d'État, elles le sont davantage à l'ASE. Dans l'Indre-et-Loire, il serait plus simple de décharger les finances des conseils départementaux pour s'orienter vers celles de l'État. Une telle formule permettrait un regard complet dans la mesure où les rapports de la PJJ sur les mesures d'investigation sont particulièrement bien fournis et bien faites ; or, nous n'en disposons pas.

Vous avez demandé selon quelles modalités les enfants sont informés de leurs droits. À Tours, nous travaillons étroitement avec la maison des droits de l'enfant (MDE) de Touraine et nous avons mis en place des tribunaux fictifs pour enfants. La commission des avocats d'enfants se déplace sur le territoire pour organiser une audience du tribunal au pénal. Cela nous donne l'occasion de toucher nombre de scolaires, de répondre à leurs questions, parfois amusantes. Un enfant m'a expliqué qu'il était arrivé quelque chose à un ami. Je lui ai répondu de venir me voir ensuite pour régler la question. Nous sensibilisons ainsi nombre d'enfants sur le territoire, sur leurs droits, sur la possibilité d'être assisté par un avocat, d'être entendus, que ce soit devant le juge des affaires familiales (JAF), le juge pénal ou autres. C'est une action positive.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.