Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Réunion du jeudi 9 mai 2019 à 10h15

Résumé de la réunion

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La réunion

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Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance

Jeudi 9 mai 2019

La séance est ouverte à dix heures trente.

Présidence de M. Alain Ramadier, président de la mission d'information de la Conférence des présidents

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Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui sous la forme d'une table ronde trois avocates spécialisées dans la protection de l'enfance : Me Josine Bitton, Me Isabelle Gerdet, Me Isabelle Corrales, et M. Jacques Édouard Briand.

Mesdames, Monsieur, la mission vous remercie d'avoir répondu favorablement à notre invitation pour nous faire part de votre expérience à la fois sur le plan juridique – quels enseignements tirez-vous de l'application de la loi de 2016 ? – et sur le plan humain. Comment êtes-vous sollicités directement par les enfants et si oui à quel âge ou par les intermédiaires qui les représentent ? L'assistance d'un avocat est-elle une facilité bien connue des enfants ? Quels sont les sujets qui vous sont plus fréquemment soumis ? Traitez-vous avec les familles ? Autant de questions sur lesquelles nous aimerions obtenir vos témoignages avant de poursuivre la discussion avec Mme la rapporteure et les membres de la mission, mes collègues députés, ici présents.

Sans tarder, je vous laisse la parole.

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Josine Bitton, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis

Je brosserai un panorama un peu général de la protection de l'enfance dans mon département et un peu au-delà, et des difficultés qui se posent avant d'en venir à la désignation des avocats qui sera peut-être développée par mes consoeurs.

Je suis avocate au barreau de la Seine-Saint-Denis, plus spécifiquement avocate d'enfants, formée à la justice des mineurs, civile et pénale. Les avocats d'enfants s'engagent par des chartes des barreaux à suivre régulièrement des formations pour rester dans les groupes d'avocats d'enfants. Par ailleurs, comme mes deux consoeurs, nous sommes membres d'un groupe de travail sur les mineurs au Conseil national des barreaux.

J'exerce au barreau de Seine-Saint-Denis qui est extraordinaire dans tous les sens du terme. Dans le message que vous nous avez adressé, vous nous avez demandé de préciser le contexte dans lequel nous exerçons.

Je vous livre quelques chiffres. Les familles monoparentales représentent en Seine-Saint-Denis 13,2 % des ménages contre 10 % en Île-de-France. Nous nous situons au-delà de la moyenne. Elles sont souvent en difficulté financière. Bien sûr, ce n'est pas parce qu'il s'agit de familles monoparentales que la prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance est une nécessité, mais c'est, parmi beaucoup d'autres, un facteur aggravant.

Situation spécifique à la Seine-Saint-Denis, 14 % des 15-25 ans sont parents. Dix-huit pour cent de cette tranche sont au chômage. Certaines communes atteignent même un taux de 40 %. Peut-être retrouve-t-on de tels taux dans les territoires d'outre-mer ou dans certaines communes de France, mais la Seine-Saint-Denis cumule les difficultés. C'est la raison pour laquelle j'ai souligné que ce département était extraordinaire. Le revenu moyen des ménages est de 30 % inférieur à la moyenne régionale.

L'âge de décrochage scolaire en Seine-Saint-Denis est de 9 ans alors qu'il est de 14 ans pour la moyenne nationale. Ces chiffres sont tirés du rapport Cornut-Gentille de juin 2018 et sont donc très actuels.

La protection de l'enfance, en Seine-Saint-Denis, mais pas uniquement, a vu ses clignotants passer à l'orange, puis au rouge. L'accueil des mineurs non accompagnés s'accroît au fil des années, mais ce n'est pas le seul facteur qui a poussé les juges des enfants de Bobigny, confrontés à la forte dégradation des dispositifs de la protection de l'enfance dans le département, de lancer, le 5 novembre dernier, un appel au secours, suivi par 180 juges.

Pour planter le décor, je souligne que le Conseil constitutionnel, dans une décision très récente du 21 mars 2019, rappelle que l'intérêt supérieur de l'enfant constitue un principe de valeur conventionnelle. À cet égard, de par l'application de la Convention internationale des droits de l'enfant, les enfants bénéficient de droits propres. Même si le cadre législatif par les lois de 1983, 1984, 2002, 2007 et 2016 a fixé un cadre relativement satisfaisant, il reste perfectible. En effet, si ce cadre pose des exigences fortes, il n'est malheureusement pas toujours efficient ni d'application stricte dans les territoires. En outre, l'application de la loi de 2016, comme d'autres textes ou conventions, est assez diverse d'un territoire à l'autre.

Dans le cadre de la protection de l'enfance, un certain nombre de droits sont régulièrement négligés. Il y a coresponsabilité des départements et de l'État, ce dernier intervenant en matière de justice, de santé et d'éducation nationale. Avant même de parler du rôle de l'avocat, il me semble important de relever les lacunes telles qu'elles apparaissent dans les dossiers que je traite. Par exemple, le droit à la santé, le service social scolaire, le service de promotion de la santé sont en grande défaillance. Depuis des années, on assiste à un nouveau recul, ce qui n'a pas ému grand monde. Ces services sont désormais quasiment exclus du primaire et des lycées.

J'ai participé récemment en Seine-Saint-Denis à un colloque organisé par le conseil départemental. Une assistante sociale scolaire de la ville de Montreuil expliquait que dans les établissements qui seront créés, il n'était prévu ni assistante sociale ni infirmière scolaire, et qu'à terme on pouvait craindre la suppression des personnels en fonction dans les établissements existants. C'est dramatique en termes de prévention tant il est vrai que la protection de l'enfance ne passe pas uniquement par l'aide sociale à l'enfance (ASE), il convient de prendre en compte ce qui peut intervenir en amont, ce qui peut éviter de basculer dans une prise en charge par les départements ; c'est à ce stade que l'on peut détecter un certain de nombre de difficultés, les traiter pour éviter que la situation ne s'aggrave.

La neuropsychiatrie infanto-juvénile est squelettique alors que les besoins sont de plus en plus pressants. Je vois des populations vulnérables, pour lesquelles les difficultés de la société sont ressenties très durement, où les problèmes de nature psychologique liées aux parents transparaissent de plus en plus fréquemment, lesquelles retentissent sur les enfants. Les pédiatres font défaut et je ne parle pas des réponses qui ne sont pas apportées aux enfants en situation de handicap. La protection maternelle et infantile (PMI) devient quasiment inexistante : en Seine-Saint-Denis, les délais de prise en charge sont supérieurs à un an. Si l'on prend rendez-vous dans les centres médicopsychologiques (CMP), c'est parce que l'on a besoin d'une réponse rapide, on ne peut se permettre d'obtenir un rendez-vous un an plus tard.

La prévention spécialisée a disparu dans 17 départements, c'est dramatique.

Des ruptures de parcours de soins interviennent à l'occasion de changement de statut. Lorsque les enfants changent de statut, des médecins refusent leur prise en charge. Par exemple, les enfants qui sont confiés dans le cadre du système de protection universelle maladie (PUMA) et qui souffrent d'affections psychiques ne sont pas pris en charge. La solution passe par l'intervention des médecins.

Sur le plan national, 70 000 enfants reconnus handicapés sont pris en charge par l'aide sociale en France. Cette vulnérabilité résulte parfois de maltraitances antérieures. Le cerveau ne s'est pas correctement développé en raison de violences subies ou de maladies résultant de violences subies après la naissance et de retards de soins.

Parce que le dispositif français n'est pas à la hauteur, des enfants partent le lundi matin en taxi de Lille ou parfois de Paris ou prennent le train jusqu'à Lille, pour gagner la Belgique où ils sont accueillis au centre de Cerfontaine ou dans des centres qui accueillent des personnes en situation de handicap. Je ne parle pas des difficultés que de telles situations engendrent pour des parents qui veulent maintenir le lien avec leur enfant et le coût que cela représente tant pour les parents que pour les départements qui financent parfois ces voyages.

Parallèlement, le droit à l'éducation n'est pas non plus toujours effectif alors qu'il faudrait le placer au centre du projet de l'enfant. Des ruptures de scolarité sont constatées au cours de la première année de placement. Des enfants sont placés dans une famille d'accueil ou un foyer distant de leur école ; arrivant en cours d'année, ils ne sont pas pris en charge par l'institution scolaire. Se pose également le problème des départements qui, pour des raisons budgétaires, incitent les enfants pris en charge à effectuer des formations courtes, alors même qu'ils seraient en mesure de suivre un cursus ordinaire, universitaire ou autres. Or on les dirige presque automatiquement vers des CAP, voire au mieux des bacs pro s'ils sont vraiment bons mais pour le reste, on leur demande d'être autonomes financièrement au plus vite.

Puisque l'on parle de l'éducation et que l'on étudiera le rôle de l'avocat, j'évoquerai les conseils de discipline. J'ignore s'il en va ainsi partout, mais en Seine-Saint-Denis on exclut à tour de bras pour des faits qui, à mon époque, auraient simplement nécessité que le directeur d'école ou le proviseur convoque le jeune pour l'admonester sans aller au-delà. À l'heure actuelle, on s'oriente vers des exclusions temporaires ou définitives pour des faits qui devraient, certes, être analysés, mais ne pas conduire à une exclusion qui met en péril l'avenir du jeune. Il serait bon que ces conseils de discipline ne soient pas présidés par le proviseur ou le directeur d'école, mais plutôt par des inspecteurs d'académie, avec la possibilité pour l'enfant d'être assisté par un avocat pour le conseiller afin qu'on lui explique le parcours et la prise en charge qui conditionnent son avenir. C'est une piste que je lance qui pourrait être éventuellement retenue.

S'agissant des défaillances concernant la protection de l'enfance, dont le champ est beaucoup plus large que celui de l'aide sociale en France, elles concernent également les enfants dans le milieu ordinaire. La loi de 2016 insiste sur l'organisation d'un parcours stable sur le long terme et le décret du 28 octobre de la même année porte sur le maintien des liens d'attachement. Avant un placement en institution, peut-être serait-il possible d'envisager de mobiliser la famille et toutes les ressources autour de l'enfant, en la personne de tiers – des tantes, des marraines, des oncles proches – pour assurer un suivi. L'enfant pourrait être suivi régulièrement par un juge des enfants, un référent qui ferait un rapport.

Les conférences familiales de prévention, qui sont issues des pratiques des Maoris, ont été mises en place en Belgique et au Canada. Elles sont actuellement expérimentées en Gironde. Peut-être serait-ce une solution d'avenir qui résoudrait les difficultés avec l'aide d'un coordinateur, la décision étant validée par un juge des enfants. Cela éviterait de judiciariser en amont, d'aggraver les difficultés et de réduire les coûts des finances publiques dans la mesure où certaines solutions pourraient être trouvées dans le milieu proche de l'enfant. Je crois qu'il n'y aurait que des bénéfices à la mise en place de ces conférences familiales. Je crois qu'il en existe actuellement dix en Gironde, dont cinq ont été validés par des juges des enfants.

On s'oriente vers une administration de la prise en charge avant une judiciarisation. Il me semble qu'il faudrait plutôt saisir le juge des enfants, non pas obligatoirement pour judiciariser, mais pour que la phase administrative se déroule sous l'égide d'un juge des enfants afin de limiter sa saisine à des situations extrêmement dégradées et qu'il ne récupère pas une situation plus complexe. Le juge pourrait porter un regard sur les rapports et se saisir des dossiers avant que les enfants ne soient trop abîmés.

La question de meilleurs échanges entre les services est soulevée aussi par nombre d'enfants, les plus âgés que je reçois. Des échanges entre les services dans l'intérêt d'une continuité bien comprise de la mesure sont souhaitables. Par exemple, des enfants changent de service ou de prise en charge sans que les nouveaux services ne consultent le dossier. Peut-être ce point ne relève-t-il pas de la loi, mais il serait bon de le rappeler, c'est une question de bonnes pratiques car la continuité du parcours de l'enfant suppose une connaissance de son passé.

Un autre point est évoqué par les enfants dont j'ai la charge. Certains disent que la famille d'accueil les connaît au quotidien, bien davantage que l'inspectrice ou l'éducatrice qui établit le rapport. Aussi serait-il bon que les juges des enfants entendent les familles d'accueil qui sont au plus près de la situation de l'enfant. La loi le permet, le juge des enfants peut entendre qui il estime nécessaire, mais, en pratique, il n'entend jamais les familles d'accueil alors que ce serait parfois utile. En trente ans d'exercice, je ne l'ai jamais vu faire.

Par ailleurs, des difficultés se posent au recrutement des familles d'accueil et des assistantes familiales, et l'on se trouve parfois confronté à des familles mal formées ou qui ne conviennent pas. Des enfants vivent des maltraitances. Un jeune garçon m'en a parlé très récemment. La famille comptait la nourriture de l'enfant, les feuilles de papier toilette, il dormait sur une natte. De fait, la famille d'accueil a été exclue du dispositif. Cet enfant m'a dit qu'il avait eu du mal à en parler, qu'il avait eu peur de ne pas être cru. Certains jeunes demandent que soit instauré un système de médiation entre les enfants et les foyers ou les familles. C'est d'ailleurs à ce stade que l'avocat peut intervenir, l'avocat dont on aimerait qu'il soit plus souvent, voire systématiquement, auprès des enfants pris en charge.

La soeur du garçon dont je parlais à l'instant, aujourd'hui âgée de 15 ans, m'a dit qu'elle aurait aimé rencontrer un avocat bien avant et ne comprenait pas pourquoi on en désignait un seulement maintenant. J'étais assez satisfaite de l'entendre. Le petit frère a confié à son assistante familiale, qui me l'a répété, qu'il avait été apaisé de pouvoir s'exprimer auprès d'une personne qui avait été à l'écoute. C'est ce à quoi sert un avocat, en amont et en aval. Il est en mesure d'expliquer, d'écouter et de faire remonter au juge, le cas échéant, les difficultés. Dans le dossier que j'évoque, sans l'avocat, le juge n'aurait jamais été saisi d'une difficulté importante susceptible de faire basculer l'enfant dans des problèmes psychiatriques plus importants. Les enfants réclament donc souvent des lieux de parole.

Les délais de mise en oeuvre des décisions des juges des enfants se posent dans un certain nombre de juridictions, notamment dans celle où j'exerce. Pour l'assistance éducative en milieu ouvert (AEMO), à Bobigny, les délais atteignent un an, voire davantage. Une juge des enfants, hier, à qui j'évoquais l'audition d'aujourd'hui, m'a transmis une décision qu'elle venait de prendre. Elle a ordonné une AEMO voilà deux ans, restée sans effet. Le service demande une continuité de la prise en charge, parce que la situation risque de s'aggraver. L'avocat de la famille a demandé un non-lieu, puisque, de fait, il ne se passe rien. La juge est le seul interlocuteur de cette famille qui en demandait un. Elle a renouvelé la mesure pour un an en expliquant qu'une personne pourra ordonner un rendez-vous en cas de besoin, y compris en cours de mesure. Mais il est malheureux d'arriver à des risques de basculement. Si la mesure prise doit prendre effet trois ans plus tard, c'est qu'il n'y avait pas lieu de prendre de mesures, du moins, on pourrait le penser. En l'occurrence, le besoin est avéré. Les mesures judiciaires d'investigation éducatives sont pluri-professionnelles et associent l'ASE, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), des assistantes sociales, des psychologues, etc. Elles nécessitent un délai d'application compris entre neuf et dix-neuf mois.

On note également des refus fréquents, de la part de l'ASE, d'exécuter un certain nombre de mesures, notamment concernant les mineurs non accompagnés (MNA). Ce sont pourtant des enfants en danger au même titre que les autres. À partir du moment où ils sont pris en charge, ils doivent être considérés comme les autres. Or, force est de constater qu'un régime très particulier leur est appliqué, y compris dans leur accès à l'ASE. En Seine-Saint-Denis, comme dans d'autres départements, un service spécifique a été ouvert pour eux, mais les éducateurs sont très peu nombreux. Ils ont la charge d'une centaine de dossiers, ce qui est absolument ingérable, de sorte qu'ils étaient en grève jusqu'à il y a encore très peu de temps.

Les problèmes humains et de moyens engendrent des délais, empêchent la mise en place de mesures et aggravent les situations. Le manque de personnel est un très mauvais calcul budgétaire dans la mesure où leur présence aujourd'hui permettrait de faire des économies à long terme.

Je dirai un mot de la situation des jeunes majeurs. La France et le Luxembourg sont les deux seuls pays d'Europe à ne pas avoir de revenu vital pour les jeunes de 18-25 ans, ce qui engendre des situations compliquées. Quarante pour cent des 18-25 ans sont d'anciens enfants pris en charge par l'aide sociale ; ils se retrouvent à la rue en raison de sorties sèches et de difficultés multiples. Beaucoup d'enfants qui arrivent à l'aide sociale à l'enfance sont très abîmés. C'est une réalité. Ce qui ne veut pas dire qu'ils doivent se retrouver à la rue. D'autres dispositifs sont à mettre en oeuvre pour aider à leur prise en charge. Certains souffrent de stress post-traumatiques de handicaps divers qui méritent d'être traités.

La proposition de Mme Bourguignon semblait fort intéressante dans sa version initiale.

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Notre mission n'intervient pas sur les jeunes majeurs.

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Isabelle Gerdet, avocate au Barreau de Tours

Je suis avocate au barreau de Tours, dans un barreau et un tribunal de grande instance (TGI) un peu plus ordinaires que ceux de Bobigny. J'exerce depuis dix-neuf ans, j'ai été élue deux fois au Conseil de l'ordre et je fais partie de la commission Mineurs, c'est-à-dire le conseil formé d'avocats d'enfants du barreau de Tours qui se sont organisés et gèrent les questions relatives à l'enfance.

Dans ce cadre, j'ai participé à la rédaction de deux conventions : l'une avec le TGI et une avec la PJJ, de sorte à organiser nos contacts et à prôner la règle « un avocat-un enfant », ce qui avait été mis en avant par le Conseil national des barreaux (CNB). Dès lors qu'un enfant est amené à être présenté devant un juge, le même avocat intervient et joue le rôle de fil rouge, ce qui lui permet d'avoir un interlocuteur référencé et connu.

Mon activité porte principalement sur des dossiers judiciaires qui passent devant le juge des enfants. L'aspect administratif et d'assistance éducative intervient à la marge. Lorsque des dossiers passent d'abord devant le juge des affaires familiales, des difficultés sont pointées ; à ce stade, j'accompagne les enfants. La difficulté est de prendre sa place, d'être reconnu en tant que référent et intervenant pour l'enfant et d'être entendu par les différents acteurs.

J'interviens principalement auprès des enfants, mais également des parents, ce qui me donne une vision un peu plus large de leurs difficultés. J'interviens également au pénal. Souvent, les enfants présentés devant le juge des enfants au pénal sont des enfants en danger. Un lien fort est à construire pour assurer les suivis et l'assistance éducative.

Lorsque vous nous avez sollicités, vous nous avez demandé d'aborder les difficultés que nous rencontrions au quotidien dans nos juridictions. J'en ai recensé quelques-unes. Au TGI de Tours, cela ne fonctionne pas trop mal, grâce aux moyens humains qui permettent de temporiser et d'avancer. Bien sûr, des moyens supplémentaires seraient nécessaires. Pour citer un exemple, le TGI compte trois juges des enfants. Une des juges est en disponibilité pendant un an. Son absence a donc été préparée, actée, prévue ; il n'en reste pas moins qu'elle n'a pas été remplacée, impactant de fait l'ensemble du dispositif et les audiences.

Pour tout ce qui relève des mesures d'assistance éducative et du renouvellement de l'assistance éducative « simple », nous avons la possibilité de faire un rapport écrit et d'indiquer la façon dont nous concevons les choses pour les enfants que nous accompagnons. Pour autant, il n'y a plus d'audiences alors qu'elles sont primordiales. De nature contradictoire, elles permettent à chacun de s'exprimer et d'entendre les avis des différents acteurs concernés. Le conseil départemental se retrouve, de fait, juge et partie. En effet, il rend un rapport demandant un renouvellement d'assistance éducative ; à la fois il est chargé de l'enfant et de l'intérêt de l'enfant. Il est compliqué pour lui d'assumer ces deux casquettes. Il prend indirectement une décision, le juge des enfants la valide, mais les enfants ne verront pas le juge des enfants et ne comprendront pas toujours qui prend la décision et qui est responsable.

Autre impact, tout ce qui relève des audiences pénales est actuellement pris en charge par d'autres magistrats du TGI qui, certes, sont sensibles au sujet et cela se passe bien, mais qui ne sont pas juges des enfants. Les juges des enfants traitent en priorité les dossiers d'assistance éducative compliqués pour faire face aux difficultés.

S'agissant des délais de prise en charge, le TGI de Tours connaît également des délais importants, contradictoires avec les besoins qui sont signifiés aux audiences. Les mesures d'AEMO réclament environ huit mois avant d'être mises en place ; pour un placement à domicile, selon les places disponibles et selon le secteur du département, l'attente peut atteindre neuf à dix mois. Les enfants sont alors laissés en difficulté, sans intervenant.

Actuellement, le conseil départemental remet à plat les lots de prise en charge de la protection de l'enfance, l'assistance éducative à domicile, mais aussi l'action éducative en milieu ouvert, renforcée et autres, et le placement éducatif à domicile. Tous les lots ont été revus et sont réorientés auprès des différentes associations qui sont sur le secteur. C'est ainsi que des associations en place ont perdu certains lots. Cela crée une incertitude, des difficultés, tout le monde est un peu inquiet du suivi, de la façon dont cela va se passer. En tout cas, pour l'heure, cela ne facilite pas les suivis.

Concrètement, les difficultés que je peux rencontrer avec les enfants varient avec leur âge, notamment en termes de communication. Les mesures éducatives, en général, sont ordonnées pour une période d'un an. Si nous ne faisons rien au cours de cette période, nous perdons définitivement le contact avec l'enfant. Si les enfants sont petits, ils n'ont pas la possibilité de nous contacter, d'appeler au téléphone, de prendre rendez-vous et de venir à la fin des cours. Lorsque nous arrivons à connaître le domicile des enfants, je leur écris, je les invite à un rendez-vous. Ils y sont sensibles, parce qu'ils trouvent là un espace de parole qui est souvent mis de côté, quelqu'un qui n'est là que pour eux, qui n'est pas là pour rendre compte, ils bénéficient du secret professionnel. Il est important dans l'esprit des enfants de savoir que le secret leur est garanti ; ils peuvent ainsi se livrer plus facilement et cela leur redonne de l'importance. L'enfant que vous recevez deux ou trois fois pendant l'année se dit « Je suis quelqu'un, je ne suis pas juste là balancé à droite et à gauche ». Ils y sont sensibles. Quand ils sont petits et placés, j'ai du mal à suivre le chemin si par hasard ils sont amenés à déménager. J'écris à l'ASE, au conseil départemental. Mais avant que mon courrier arrive à l'ASE, soit retransmis à l'enfant ou que la personne qui l'a en charge ou que le foyer me l'amène, c'est extrêmement difficile.

Lorsqu'ils sont plus grands, qu'ils disposent de moyens de communication, mes contacts sont plus nombreux, car il est plus simple de les joindre. Cela dit, encore la semaine dernière, une enfant m'a confié qu'elle n'avait pas dit qu'elle venait voir l'avocate parce que les éducateurs n'y semblaient pas favorables. Alors que l'avocat pourrait être un référent utile et neutre et accompagner l'enfant, il est perçu comme un grain de sable dans le système. Il me semble donc primordial de développer la communication, de l'appuyer et de l'introduire dans la loi, afin que nous soyons identifiés en tant qu'avocats d'enfants comme pouvant servir l'enfant et l'aider, et ce dans différents domaines.

On a parlé des jeunes majeurs. J'entends bien que tel ne soit pas l'objet de votre commission, mais en tant qu'avocats, nous pouvons accompagner ces jeunes dans diverses démarches, soit pour obtenir une pension alimentaire lorsque les parents en ont la possibilité, soit pour mettre en place d'autres modalités qui permettent à l'enfant d'avoir un petit pécule. L'article 19 de la loi de 2016 donne la possibilité aux enfants de récupérer un pécule mais lorsque nous évoquons le sujet, les gens nous regardent avec des yeux ronds comme des ballons. C'est ainsi que de nombreux enfants ne récupèrent jamais ces sommes qui pourraient les aider.

Les démarches éducatives, pour répondre au pragmatisme, poussent les enfants placés à s'inscrire dans des cursus courts, des cursus professionnels, afin qu'à 18 ans ils ne soient pas complètement démunis et largués dans la nature comme on peut le voir souvent.

S'agissant des préconisations, je propose la désignation systématique d'un avocat pour les enfants mineurs. Dans toutes les situations, ce serait l'idéal. À défaut, au moins quand le placement est envisagé, il est impérieux que l'enfant soit assisté.

Par ailleurs, nous sommes confrontés à une difficulté concrète de communication des rapports éducatifs. Le rapport éducatif est fait par l'ASE, envoyé au tribunal, reçu par le greffe. Même lorsque l'avocat participe du dossier, il doit en formuler la demande pour en obtenir la copie. Mais les greffes sont surchargés, n'ont pas toujours le temps de nous le transmettre, il faut que nous passions au tribunal faire la copie, c'est compliqué, alors que la formule d'un document contradictoire serait simple. Nous sommes des intervenants de justice, nous n'allons pas le diffuser, nous sommes tenus par des règles. Dès lors que nous serions identifiés, il serait aisé de nous transmettre ce rapport, nous gagnerions un temps considérable. Mais la loi en disposant autrement, nous sommes, pour l'heure, coincés par ce texte qui nous empêche d'avoir facilement accès à des informations essentielles.

Je me suis reportée aux travaux des auditions précédentes. Il a notamment été évoqué la question de l'évaluation des difficultés, des moyens Étatconseils départementaux et de la nécessité d'alléger les finances de ces derniers. Les mesures d'investigation dont il a été question sont rarement confiées à la PJJ qui est pourtant un service d'État, elles le sont davantage à l'ASE. Dans l'Indre-et-Loire, il serait plus simple de décharger les finances des conseils départementaux pour s'orienter vers celles de l'État. Une telle formule permettrait un regard complet dans la mesure où les rapports de la PJJ sur les mesures d'investigation sont particulièrement bien fournis et bien faites ; or, nous n'en disposons pas.

Vous avez demandé selon quelles modalités les enfants sont informés de leurs droits. À Tours, nous travaillons étroitement avec la maison des droits de l'enfant (MDE) de Touraine et nous avons mis en place des tribunaux fictifs pour enfants. La commission des avocats d'enfants se déplace sur le territoire pour organiser une audience du tribunal au pénal. Cela nous donne l'occasion de toucher nombre de scolaires, de répondre à leurs questions, parfois amusantes. Un enfant m'a expliqué qu'il était arrivé quelque chose à un ami. Je lui ai répondu de venir me voir ensuite pour régler la question. Nous sensibilisons ainsi nombre d'enfants sur le territoire, sur leurs droits, sur la possibilité d'être assisté par un avocat, d'être entendus, que ce soit devant le juge des affaires familiales (JAF), le juge pénal ou autres. C'est une action positive.

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Josine Bitton, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis

La loi prévoit que le juge des enfants a l'obligation d'informer les enfants quand ils sont en âge de discernement de la possibilité pour eux de solliciter l'assistance d'un avocat. En pratique, c'est très rarement le cas. Les magistrats en conviennent parfaitement.

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Isabelle Corrales, avocate au barreau de Lille

Je suis avocate au barreau de Lille depuis l'année 2004. Je suis membre de la commission « Droits des mineurs » du barreau de Lille et je préside cette commission depuis janvier 2018.

Le tribunal pour enfants de Lille a la particularité d'être en tête en France pour l'assistance éducative. Nombre de situations sont gérées par les treize cabinets de juges des enfants.

Je ne reviens pas sur les difficultés déjà indiquées par mes consoeurs car nous nous rejoignons sur le manque de moyens et le nombre insuffisant de greffiers du tribunal pour enfants.

Je vous livre quelques chiffres sur l'activité du tribunal pour enfants de Lille : 9 032 décisions ont été rendues en 2018 en matière d'assistance éducative, soit 695 par cabinet. Cela représente 70 décisions par mois et par cabinet de juge des enfants. Concrètement et au quotidien pour le cabinet de juges des enfants, ce sont quatre à cinq dossiers à traiter par jour et quatre jours d'audience par semaine. N'oublions pas que le juge des enfants traite des dossiers au pénal, il peut aussi être amené à être assesseur au tribunal correctionnel et à la cour d'assises des mineurs.

J'évoquerai essentiellement la place de l'avocat d'enfants. En un mot, il y a encore beaucoup de travail ! La place accordée à l'avocat d'enfants en assistance éducative en matière de protection de l'enfance n'est pas à la hauteur des attentes des premiers concernés – vous les avez reçus et entendus le 11 avril dernier. Beaucoup ont indiqué soit qu'ils n'avaient pas été entendus par le juge, soit qu'ils n'avaient pas été assistés. Un seul avait indiqué avoir été assisté par un avocat ou un administrateur ad hoc.

Les avocats d'enfants sont encore confrontés à de nombreuses résistances de la part de l'ASE et du juge des enfants par des pratiques qui varient selon le tribunal, voire selon les cabinets de juge des enfants au sein du même tribunal, et ce malgré la création, il y a dix ans, de groupes de travail « Mineurs » du Conseil national des barreaux. De nombreux combats restent à mener pour les avocats d'enfants, notamment celui de la place de l'avocat d'enfants en assistance éducative dans la protection de l'enfance, place qui est parfois seulement tolérée et insuffisamment importante.

L'avocat d'enfants n'est pas un avocat comme les autres. C'est d'abord un juriste formé spécifiquement aux droits des mineurs mais également aux disciplines des sciences humaines relatives à la question de l'enfance et de l'adolescence. L'avocat d'enfants est un avocat soumis à une déontologie exigeante et spécifique au regard de la fragilité du public : les mineurs, les familles en difficulté, les mineurs non accompagnés, les jeunes majeurs désoeuvrés. C'est aussi un professionnel de la justice de la jeunesse, engagé et citoyen car intervenir auprès des jeunes en difficulté, c'est vouloir infléchir la société de demain.

Le Conseil national des barreaux, en signant la convention le 8 juillet 2011 avec la Chancellerie pour une justice personnalisée des mineurs, a pris la mesure de la nécessité d'une défense et d'une assistance de qualité et organisée en fonction des besoins spécifiques de chacune des juridictions pour les mineurs, enfants, adolescents et jeunes majeurs, et ce en instituant une règle fondamentale pour les avocats d'enfants « un mineur, un avocat ».

Les avocats d'enfants veulent que le droit à avoir un avocat d'enfants en assistance éducative soit un droit effectif et garanti par la loi. Pour ce faire, voici nos propositions :

Modifier l'article 1186 du code de procédure civile qui fait dépendre, pour l'essentiel, l'assistance de l'avocat d'enfants de la décision du juge des enfants, en particulier sur la question du discernement de l'enfant et sur l'information donnée aux parties, notamment à l'enfant, sur le droit à l'assistance d'un avocat. C'est le juge des enfants qui doit procéder à cette information lors de la première audition, ainsi que cela est prévu par le texte, car cette information est une obligation légale. Or ce n'est pas fait parce que les juges des enfants sont surchargés – c'est une réalité.

Écrire et insérer dans la loi le droit à l'assistance par un avocat spécialement formé de tout enfant, quel que soit son âge,

Écrire et insérer dans la loi la règle « un mineur, un avocat » pour sécuriser, encore une fois, la continuité du parcours du mineur.

Insérer dans la loi ces deux règles fondamentales revient à garantir l'uniformisation de l'intervention systématique de l'avocat d'enfants en assistance éducative dans tous les tribunaux de France. Dans la réalité, l'article 1186 est, selon nous, problématique dans sa rédaction, et crée de l'inégalité en fonction du tribunal pour enfants, qui peut l'interpréter d'une façon ou d'une autre. Il faut savoir que le défenseur des droits a également pointé cette difficulté inhérente à la rédaction de l'article 1186. En définitive, il faut instituer dans la loi l'avocat obligatoire en assistance éducative, au moins dès lors qu'un placement est envisagé, et s'assurer que l'information sur le droit à l'avocat est effective, car l'avocat n'interviendra que si l'enfant est informé de son droit à être assisté.

Au barreau de Lille, qui a créé une commission d'avocats volontaires et formés en droit des mineurs, l'organisation est quasi professionnelle. Nous travaillons sur la base de deux textes : d'une part, le protocole 91 qui lie les chefs de juridiction et le barreau de Lille pour organiser les permanences. On y trouve tout aussi bien uniquement des permanents en droit des mineurs que des permanents en droit pénal, souvent pour gérer les audiences en urgence. Au titre du droit pénal, il s'agit des comparutions immédiates ; en droit des mineurs, des défèrements, afin de s'assurer de la présence d'un avocat puisque, au pénal, l'avocat est obligatoire pour le mineur.

Le protocole 91 permet aussi le financement de ces permanences et des permanents et des systèmes de coordination pour organiser la défense au sein de chaque barreau.

D'autre part, une convention lie le barreau de Lille avec chaque confrère du barreau qui souhaite intégrer la commission des droits des mineurs. Cette convention lie le confrère qui intègre la commission et l'astreint à des obligations : une obligation de formation spécifique, une obligation de disponibilité pour assurer les permanences mais également une règle fondamentale liée à cette disponibilité « un mineur, un avocat », car suivre le parcours d'un mineur au pénal comme au civil prend du temps. En situation de crise, le suivi d'un mineur peut être assez intense. S'ajoute la participation aux travaux des commissions.

Aussi des barreaux se sont-ils organisés pour assurer une défense de qualité et professionnelle qui prend en compte les fragilités et l'aspect humain, ce qui est essentiel dans la prise en charge des mineurs, que ce soit au pénal ou en assistance éducative.

Au sein du barreau de Lille, le premier contact intervient souvent en lien avec une procédure pénale, l'avocat étant alors obligatoire. Suite à une permanence où l'avocat a rencontré un mineur poursuivi au pénal qui n'est pas connu et pour lequel la famille ou le mineur lui-même n'a pas fait le choix d'un avocat, l'avocat signale son obligation de suivi dans le cadre de la commission d'office et devient alors l'avocat référent du mineur.

L'avocat référent du mineur au barreau de Lille suit la situation du mineur au titre de la procédure qui a conduit à cette assistance dans le cadre de la permanence mais également au titre de toutes les autres procédures, au pénal mais également au civil. La difficulté tient en ce que certains juges des enfants considèrent que si l'avocat est obligatoire au pénal, il ne l'est pas au civil. Peut-être estiment-ils que l'intervention de l'avocat n'est pas si pertinente, puisqu'elle n'est pas obligatoire. C'est oublier que le travail de l'avocat en assistance éducative ne se limite pas au jour de l'audience : il intervient avant et après l'audience, il réside dans le travail réalisé en amont d'explication, d'accompagnement, de préparation. C'est en amont que les choses les plus importantes se jouent parfois. Il est utile d'expliquer à l'enfant le rôle du juge des enfants, de le rassurer tout simplement.

Lorsque l'on arrive à une audience d'assistance éducative, il est utile de suggérer au juge des enfants, même si effectivement son agenda est très lourd, de rencontrer l'enfant qui souhaiterait évoquer certains points en tête-à-tête. Parfois, les juges des enfants le font spontanément, parfois, ils n'y pensent pas ou estiment connaître la situation, mais les choses peuvent aussi évoluer pour l'enfant. On doit pouvoir signaler que tel enfant souhaite, même si l'audience est déjà passée, revoir le juge en cas de difficulté au foyer ou avec les parents. L'avocat peut être cet interlocuteur. C'est la raison pour laquelle notre présence, dans le cadre de l'assistance éducative, est d'autant plus pertinente, voire plus qu'au pénal, même si la loi a restreint l'obligation en matière pénale. Les avocats d'enfants souhaitent pouvoir intervenir au plus tôt dans la situation de ces enfants. La phase administrative de prévention est essentielle. Je pense que l'avocat d'enfants a toute sa place.

Certains barreaux mettent en place des partenariats ou des conventions pour travailler avec des acteurs institutionnels qui ne sont pas forcément judiciaires, avec la protection judiciaire de la jeunesse, mais aussi avec des associations habilitées. Dans le Nord, nous avons signé une convention avec la Sauvegarde du Nord. Nous travaillons sur un projet avec la prévention spécialisée. Nous allons peut-être aussi engager un travail important avec le conseil départemental pour intervenir, pourquoi pas avant même que la situation ne soit signalée, au niveau des centres sociaux ou scolaires, par exemple. Notre place ne se limite pas au niveau judiciaire.

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Jacques édouard Briand, directeur des affaires législatives du Conseil national des barreaux

Je n'ai rien à ajouter.

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Merci pour cette entrée en matière. À titre personnel, je ne sais pas si la mission en retiendra l'idée, mais je suis assez convaincue de la nécessité d'un accompagnement tout au long de la procédure.

On parle d'avocats ; on parle aussi d'administrateurs ad hoc. Selon vous, comment leurs rôles peuvent-ils s'interfacer ? Je voudrais avoir votre avis sur ce représentant ad hoc de l'enfant.

Vous représentez également les parents. Nombre de parents contestent les placements. Selon votre expérience, y a-t-il réellement des placements abusifs ? Il serait intéressant d'avoir votre vision des choses et que vous nous fassiez part de votre expérience de la relation avec les services départementaux de l'aide sociale à l'enfance. Comment cela se passe-t-il ? Que faudrait-il améliorer ?

Qu'est-ce qui ne fonctionne pas dans la loi de 2016 et qu'il conviendrait d'améliorer ?

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Josine Bitton, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis

L'administrateur ad hoc est désigné plus particulièrement en cas de conflit d'intérêts entre les parents et l'enfant. Il intervient lorsqu'il y a des situations d'agressions sexuelles intrafamiliales, des incestes ou des suspicions d'inceste ; ce peuvent être des incestes entre frère et soeur, ou entre frères. Le parent peut être en difficulté pour protéger un de ses enfants contre l'autre. Un administrateur ad hoc sera désigné qui sera un tiers et qui désignera un avocat pour assister à l'audience et assister l'enfant dans le cadre de demandes éventuelles de dommages et intérêts. Dans les autres cas de figure, l'administrateur ad hoc n'a pas forcément lieu d'être. Multiplier les intervenants risque d'engendrer une certaine confusion chez l'enfant qui ne sait plus très bien qui sert à quoi et à qui s'adresser. En l'absence de conflit, l'administrateur ad hoc se justifie également, qui joue le rôle de barrière par rapport à la famille. Dans les autres cas de figure, me semble-t-il, l'avocat est largement suffisant.

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Isabelle Gerdet, avocate au Barreau de Tours

L'administrateur ad hoc est désigné par une décision de justice et sa mission particulière est fixée par un magistrat. L'administrateur ad hoc répond à une « commande ». Entre le souhait de l'enfant et la commande, il peut y avoir des divergences et des différences qui ne sont pas prises en compte.

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Josine Bitton, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis

On constate une amélioration apportée par la loi de 2016 qui retire au département la possibilité d'être l'administrateur ad hoc dans la mesure où il est juge et partie, engendrant des conflits d'intérêts. Nous avons évoqué les difficultés de la loi de 2016, mais des améliorations en résultent également. À mon sens, c'en est une.

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Isabelle Corrales, avocate au barreau de Lille

L'administrateur ad hoc n'interviendra spécifiquement que dans le cas d'une procédure, alors que l'avocat d'enfants peut intervenir tout au long du parcours du mineur, que ce soit au pénal, au civil, voire devant le juge des tutelles. L'avocat a pour avantage d'avoir une vision globale de la situation du mineur et d'intervenir à tous les stades de son parcours.

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Josine Bitton, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis

Les relations avec l'ASE ont été souvent très tendues parce que l'avocat était complètement méconnu, c'était une espèce d'OVNI, au point que si les éducateurs PJJ viennent toujours nous saluer et discuter avec nous, c'est rarement le cas des éducateurs ASE. Cela peut paraître anodin, mais une telle situation témoigne d'une certaine crispation. À force d'intervenir progressivement dans les dossiers, de les appeler pour obtenir des informations, et parce que des formations communes sont organisées dans les barreaux, on arrive progressivement à une amélioration des relations, mais cela reste parfois encore difficile, notamment pour avoir connaissance des rapports, qui sont souvent rédigés tardivement et qui arrivent tardivement dans les juridictions. Nous avons le droit d'en avoir une copie, mais dans la réalité les avocats, voire le juge, les reçoivent souvent le jour de l'audience ou encore le lendemain.

Je dirai un mot de la désignation de l'avocat selon que les enfants sont discernants ou non discernants. D'aucuns me demanderont quel est l'intérêt pour un enfant encore très jeune d'être assisté d'un avocat. Le conseil départemental a tendance à dire que le département est le garant de l'intérêt de l'enfant, le juge aura également cette position.

J'ai à l'esprit le cas d'un enfant dont le dossier est très récemment passé devant la cour d'appel. Je préconisais, le parquet également – c'est la décision qui avait été prise par le juge – le maintien dans une famille d'accueil d'urgence où il devait rester plus d'un an. L'enfant s'y épanouissait après avoir été extrêmement abîmé par une situation sur laquelle je ne m'étendrai pas. Il commençait à se stabiliser, à aller un peu mieux, il était scolarisé. Or on voulait le changer de famille d'accueil et l'envoyer fort loin, au détriment de sa situation générale, au motif que la famille était une famille d'urgence.

Le juge des enfants a considéré qu'il devait rester dans cette famille d'accueil, le conseil départemental a interjeté appel et l'avocat de l'enfant a pu intervenir. L'enfant était considéré comme non discernant mais il s'exprimait malgré tout avec ses mots. J'ai pu porter devant le juge la situation et l'intérêt qui me semblait être celui de l'enfant point de vue qui n'était pas celui défendu par le conseil départemental. Par conséquent, il me semble que l'avocat peut jouer un rôle intéressant, y compris pour des enfants parfois très jeunes, ce qui, en l'occurrence, était le cas de cet enfant qui avait trois ans.

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Isabelle Corrales, avocate au barreau de Lille

Le discernement n'est ni une notion juridique ni une notion psychologique.

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Isabelle Gerdet, avocate au Barreau de Tours

En ce qui concerne les désignations systématiques, j'ai souvenir d'une situation où l'enfant est resté chez sa mère. J'intervenais pour l'enfant, les services éducatifs ne pouvant pas travailler avec la famille. Le juge des enfants a mis fin à la mesure d'assistance éducative, ce qui, en soi, n'était jamais satisfaisant parce que l'enfant reste en danger. Le fait que la présence de l'avocat d'enfants ne soit pas une obligation systématique, inscrite dans le marbre de la loi, a fait que j'ai perdu le contact avec une enfant que je suivais, la mère faisant barrière à mon intervention. Je ne sais pas ce que cette enfant est devenue, je n'ai aucun retour. Si le rôle de l'avocat était écrit noir sur blanc comme cela l'est au pénal, les gens ne se poseraient plus la question et cela éviterait bien des discussions ; cela éviterait que des enfants se retrouvent sans rien.

À Tours, je n'ai pas eu connaissance, dans le cadre de mes dossiers, de situations de placements abusifs. En revanche, je pense à une situation récente où des enfants avaient été placés à domicile. La situation s'étant améliorée, on était revenu à une mesure moins forte, avec une assistance éducative à moyens renforcés. La situation s'est à nouveau dégradée faute d'un étayage suffisant et d'aides des parents pour lesquels j'interviens dans ce dossier.

Le magistrat s'est posé la question du placement ou du placement à domicile. Le fait est que le placement à domicile avait montré que cela permettait aux parents de s'occuper des enfants. S'ils avaient de grosses difficultés, ils étaient toutefois suffisamment étayés pour un placement domicile, si ce n'est que les délais du placement à domicile étaient très longs. Le magistrat a bien pris la peine de vérifier auprès du conseil départemental ce qui était possible mais cela emmenait la décision à dix mois et il n'était pas possible d'attendre tout ce temps pour mettre en place la mesure. Les enfants ont donc été placés. La mesure de l'ordonnance de placement a été prise, j'ai fait appel mais la décision sera effective. Encore une fois, la question des moyens est prégnante dans toutes les situations que nous rencontrons.

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Josine Bitton, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis

Plus que de placements abusifs, il s'agit de déplacements qui interviennent parce que la durée de mise en oeuvre des mesures traîne au point que la situation se dégrade, ce que l'on aurait pu éviter. L'avocat devrait intervenir.

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Isabelle Gerdet, avocate au Barreau de Tours

Il m'est parfois arrivé d'être choquée. Les familles d'accueil arrivent ; on attend tous dans la salle d'attente du juge des enfants et les assistantes maternelles se font appeler « maman ». J'éprouve une difficulté quand j'entends un enfant appeler une personne autre que sa mère « maman ». Je l'ai entendu à plusieurs reprises.

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Qu'entendez-vous par phase administrative de prévention ? Que préconisez-vous ? Intervenir avant que la situation de l'enfant soit signalée, au niveau des centres sociaux, au niveau des centres scolaires ?

Que pourriez-vous proposer à la ministre de la Justice puisque nous travaillons sur l'ordonnance de 1945 ? Comme vous le dites, au pénal, l'enfant est tout aussi en danger.

Comment pourriez-vous avoir mieux accès aux éducateurs, aux familles d'accueil, aux principaux acteurs concernés qui, finalement, on s'en rend compte au fil des auditions, sont presque les moins entendus, les enfants exceptés.

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Isabelle Gerdet, avocate au Barreau de Tours

Le principe du secret partagé a été étendu. Les intervenants sociaux au sens large discutent facilement entre eux alors que les avocats sont tenus au secret professionnel. Nous pourrions échanger avec eux ; or, nous ressentons de leur part une réticence à partager des informations avec nous parce que nous avons l'obligation de passer devant le juge, selon les modalités de la procédure contradictoire. Ils ont impression qu'on nous livrant des informations qui pourtant sont utiles à la défense de l'enfant et à l'accompagnement, ils livreraient un secret. S'agissant du secret partagé, il faudrait préciser que l'avocat peut en être aussi. Je ne sais pas comment ce serait possible.

Par ailleurs, il conviendrait d'intervenir en amont. Des commissions se rencontrent, qui évaluent les situations. Dans ce cadre, les avocats pourraient participer et être plus souvent invités à donner leur avis sur la situation des enfants.

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Josine Bitton, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis

Je ne sais comment on pourrait améliorer les contacts avec les services sociaux. Dans les faits, nous les appelons. Je tombe souvent sur des répondeurs ou sur des personnes qui me disent que l'inspectrice ou l'éducatrice n'est pas là, qu'elle est en vacances. Longtemps j'ai cru que l'on me racontait n'importe quoi, jusqu'au jour où j'ai compris qu'il y avait effectivement beaucoup de congés, et par conséquent pas suffisamment d'éducateurs et aucun interlocuteur. Parfois, on arrive à obtenir les numéros de téléphone des assistants familiaux ou des foyers. Passer par l'aide sociale est très compliqué parce que nous avons du mal à avoir un interlocuteur, mais c'est tout.

Pour le reste, on progresse lentement mais sûrement, certes à tâtons. C'est par la connaissance mutuelle que nous arriverons à travailler ensemble.

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Josine Bitton, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis

C'est certain. J'ai parfois assuré des consultations gratuites pour des groupes de parole de parents d'enfants accueillis en protection de l'enfance. Ils sont tous très revendicatifs et parfois ressentent très mal la mesure qui a été prise. On comprend parfois d'ailleurs très rapidement pourquoi elle a été prise. Il n'en reste pas moins qu'ils ont des droits, lesquels sont régulièrement bafoués, sans doute en raison du manque de temps des uns et des autres ou parce que les inspecteurs de l'aide sociale estiment qu'ils iront plus vite s'ils évitent d'être confrontés à des parents revendicatifs. Les audiences se passeraient sans doute mieux s'ils étaient informés de ce que devient l'enfant, de sa scolarité, de sa santé, etc., ce qui n'est pas souvent le cas. Au-delà du placement même de l'enfant, ces difficultés reviennent de façon constante.

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Isabelle Corrales, avocate au barreau de Lille

Les rapports avec les travailleurs sociaux de l'ASE sont teintés d'une grande méfiance et défiance de leur part, notamment en raison de la méconnaissance de la fonction d'avocat d'enfants. L'avocat est perçu comme un professionnel susceptible d'entretenir un conflit. Or telle n'est pas du tout la vocation de l'avocat d'enfants. Il faut essayer d'établir des passerelles, par exemple, en organisant des formations communes. C'est ce que nous tentons de faire, à notre niveau, au barreau de Lille comme dans d'autres. C'est essayer aussi d'établir des conventions avec l'aide sociale à l'enfance sur le fonctionnement de permanences pour rencontrer plus facilement les enfants et avoir accès aux enfants. Lorsqu'une famille est convoquée en audience d'assistance éducative devant le juge des enfants, la lettre est envoyée par le greffe lillois qui informe les parents de leur droit à être assistés par un avocat et de la possibilité qui leur est offerte de s'adresser à l'Ordre des avocats. L'enfant ne la lira pas. Les parents ne la remettront pas à l'enfant. Comment l'enfant saura-t-il qu'il a le droit à un avocat, comment saura-t-il à qui s'adresser s'il ne souhaite pas parler à son parent ou à un travailleur social ? Telle est notre difficulté. Pour l'heure, nous sommes liés par le texte qui indique : « Le droit d'être assisté d'un avocat en assistance éducative est rappelé aux intéressés dès leur première audition. » Ce n'est pas le cas actuellement.

J'en parle parce que je pense que les travailleurs sociaux qui sont en contact avec les familles lors de la phase d'évaluation, avant même un signalement, pourraient être l'un des premiers relais ; nous pourrions également intervenir à ce stade, notamment à travers les conférences familiales ou d'autres types d'interventions. C'est pourquoi ce travail en lien avec les travailleurs sociaux de l'aide sociale à l'enfance est essentiel, mais la culture judiciaire et la culture du travail social sont deux cultures totalement différentes. Beaucoup de choses sont à mettre en place.

Des avocats d'enfants quasi spécialisés ou en tout cas formés spécifiquement et organisés sont un outil intéressant parce que, à travers nos commissions, nous tentons d'établir des passerelles, des partenariats et de nous ouvrir à l'extérieur. Il s'agit d'une piste intéressante, à laquelle nous travaillons, mais qui n'est pas menée de façon égalitaire sur tous les territoires. Chaque ordre d'avocats n'a pas constitué de commissions ou de groupes de défense « Mineurs ». C'est ce à quoi travaille le groupe de travail « Mineurs » du Conseil national des barreaux (CNB).

Chaque tribunal pour enfants et chaque TGI avec un barreau organisé peut mettre en place de telles commissions et mener ce travail de partenariat ; cela pourra effectivement aider à établir des passerelles et nous permettre d'intervenir au plus tôt. En phase administrative, il peut s'agir d'actions collectives d'information sur le rôle de l'avocat et la façon d'y accéder. Le besoin fondamental d'un enfant et d'une famille, c'est aussi l'accès au droit et le respect du droit. Délivrer l'information est primordial. Elle peut être mise en place au niveau scolaire, par des actions spécifiques, des commissions, mais également par les centres sociaux, des lieux où se rendent les familles, par les PMI.

S'agissant de l'ordonnance de 1945, il faut savoir que le groupe de travail « Mineurs » du CNB travaille sur la question. Les états généraux des professionnels de la justice se sont tenus le 16 avril dernier au CNB. Un rapport est en cours d'écriture qui sera transmis à la chancellerie, mais nous travaillons bien évidemment à la question.

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Josine Bitton, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis

Les enfants en conflit avec la loi et ceux qui sont pris en charge par la protection de l'enfance sont souvent les mêmes. Ce n'est pas systématique, mais ce sont des enfants en danger dans tous les cas, avec la possibilité d'un basculement quand ils ne sont pas pris en charge. Les premiers actes délinquants des enfants sont souvent des appels au secours. Il faut prendre vraiment le problème à la racine, en détectant ce qui ne va pas dans la vie de cet enfant, dans sa famille, pour essayer de résoudre au mieux les problèmes et éviter des réitérations. Lorsqu'on les détecte, on arrive à remettre les enfants sur les rails. Les enfants ne deviennent pas délinquants par hasard, même s'il peut y avoir de petits caïds.

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Madame Bitton, vous avez rappelé la décision du Conseil constitutionnel sur l'intérêt supérieur de l'enfant. Je voudrais vous interroger sur l'autorité parentale. Après plusieurs auditions, nous avons recueilli un certain nombre de témoignages faisant état de parcours discontinus. Vous avez évoqué notamment les parcours scolaires. Par ailleurs, des parcours de placement dans différentes structures nous ont été rapportés. Alors que la stabilité est nécessaire, les enfants se retrouvent dans des trajectoires discontinues en raison de parents déclarés incapables, sous tutelle ou sous curatelle, mais qui conservent néanmoins l'autorité parentale. J'aurais aimé vous entendre sur ce premier point.

Ma seconde question porte sur la capacité d'écoute et la prise en compte de la parole de l'enfant. Nombre de personnes passées par les dispositifs de l'ASE nous disent qu'on ne leur donne la parole ou qu'on ne leur accorde une écoute que relativement tardivement. Quels sont les rapports d'un enfant et de son avocat qui recueille sa parole ? Je pense particulièrement au témoignage de Sonya Nour, que nous avons auditionnée, et qui est passée par le dispositif ASE. Le juge lui posait la question de savoir si elle désirait rester avec sa mère. Face à cette question, elle ne pouvait répondre autre chose que le fait qu'elle voulait rester avec sa mère, alors que tel n'était pas forcément son intérêt. Je m'interroge sur la capacité de l'écosystème, singulièrement des avocats, à déterminer l'intérêt de l'enfant.

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Isabelle Gerdet, avocate au Barreau de Tours

Les avocats d'enfants sont spécialement formés à libérer la parole de l'enfant. Il lui rappelle le secret professionnel, le contexte de notre intervention afin qu'il soit en confiance avec nous. Quand ils arrivent dans mon bureau, ils sont assis, crispés au bord de la chaise. Quand ils s'adossent au dossier, je me dis que j'ai gagné, ils se détendent et la parole se libère. À nous ensuite de travailler avec lui. Nous lui disons que nous comprenons qu'il ne veut pas faire de la peine à sa mère. À nous de lui apporter des solutions pour l'aider à s'exprimer entièrement et à faire valoir ce qu'il souhaite.

S'agissant de l'autorité parentale, le rôle de l'avocat d'enfants est plein et entier. Si nous pouvons rencontrer l'enfant régulièrement, s'il peut nous faire part des difficultés auxquelles il est confronté au cours de sa scolarisation, nous sommes alors en capacité d'interpeller le juge des enfants en mettant les formes juridiques qu'il faut. En cas de difficulté, nous demandons au juge de confier l'autorité parentale à tel ou tel en mettant les parents à l'écart. La décision doit être prise dans l'intérêt de l'enfant. Nous pouvons le faire facilement mais pour cela il faut que nous soyons en contact avec l'enfant et que nous disposions des informations.

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Isabelle Gerdet, avocate au Barreau de Tours

Si la demande est justifiée et s'inscrit dans la logique du cursus de l'enfant, oui, bien sûr.

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Josine Bitton, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis

Oui, c'est une force de proposition auprès du juge. Certains en tout cas n'en disconviennent pas.

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Isabelle Gerdet, avocate au Barreau de Tours

Ils sont en attente de cela.

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Josine Bitton, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis

La capacité d'écoute dépend aussi de la possibilité pour les avocats d'avoir accès aux enfants – la difficulté est réelle, les services sociaux faisant parfois barrage. Les petits que j'évoquais sont au nombre de quatre ; ils sont répartis au fin fond de l'Oise et de l'Eure, et le service de placement est à Saint-Ouen-l'Aumône. J'ai du mal à les rencontrer. J'étais même prête à me rendre à Saint-Ouen-l'Aumône et pourtant la visite n'a pas pu être mise en place. J'ai pu obtenir leur numéro de téléphone, mais sinon je les vois une demi-heure avant l'audience, ce qui n'est pas admissible.

Nous avons du mal à les faire venir au cabinet et même si nous sommes prêts à nous déplacer, la visite n'est pas toujours possible. Je souligne que nous ne sommes pas indemnisés. Les indemnisations des avocats sont très faibles et ne couvrent pas les frais. Cela dit, même si nous sommes prêts à nous déplacer, c'est difficile en raison d'une certaine défiance, voire de l'insuffisance de personnel sur place nécessaire pour organiser les visites. Souvent, nous sommes confrontés à un barrage qui nous empêche d'avoir accès dans la durée aux enfants en dehors de l'audience. Nous les voyons avant l'audience, ce qui n'est pas très satisfaisant.

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Je suis député du Nord, et j'entends encore Jean-René Lecerf, président du conseil départemental du Nord, me dire que le président du tribunal lui avait reproché de demander systématiquement le placement des enfants. Il ne demandait rien, c'étaient ses services qui en faisaient la demande.

Au regard des grandes compétences qui sont les vôtres et des formations que vous avez suivies, ne pensez-vous pas qu'il serait opportun avant que vous ne soyez désignés auprès d'un enfant ou des parents qu'un travail collaboratif soit réalisé avec les services de l'ASE afin d'évaluer la situation avant transmission du dossier au tribunal et donc avant d'enclencher une quelconque procédure ?

On parle souvent de tiers de confiance. Ne pourrait-on imaginer la notion de tiers de conseils ? Un avocat serait désigné tout au long du parcours de l'enfant pour procéder aux évaluations qui sont aussi l'apanage de l'ASE dans le cadre du parcours qui aurait été validé soit en foyer, soit auprès d'une famille d'accueil, de telle façon à s'assurer que la présence et le contact avec l'avocat perdurent tout au long du besoin tel qu'il s'exprime ?

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Isabelle Corrales, avocate au barreau de Lille

Je vous rejoins tout à fait. C'est que nous disions sur l'intervention de l'avocat d'enfants dans la phase administrative de prévention, voire, de la « pré-prévention » que l'on évoque désormais au niveau des départements.

Oui, un référent tiers, au cours de la phase de déjudiciarisation et administrative, permettrait : l'évaluation, je ne sais pas, en tout cas d'être repéré par les familles et les enfants et d'être une personne ressources. Si jamais on devait basculer sur une prise en charge judiciaire, l'avocat serait présent et établirait un lien de confiance avec les parents ou avec l'enfant, car le travail de l'avocat passe par ce lien de confiance. Il joue ce rôle de fil rouge en faisant le lien et en intervenant de façon encore plus pertinente, tout simplement. L'idée consiste à travailler la prévention par des actions collectives.

Dans le Nord, le procureur de la République de Lille, en lien avec la Sauvegarde du Nord qui est la première association du Nord, a mis en place des stages d'aide à la parentalité au cours desquels les avocats de la commission des droits des mineurs interviennent. C'est une alternative aux poursuites, cela peut être aussi une peine infligée aux parents maltraitants. Si les violences ne sont pas gravissimes et qu'ils n'ont pas d'antécédents, ils peuvent bénéficier d'une alternative. Nous intervenons dans le cadre d'un module sur l'autorité parentale en expliquant les droits et les devoirs qui s'attachent. Les retours sur l'intervention de l'avocat d'enfants lors de cette session sont extrêmement positifs, que ce soit par l'association La Sauvegarde du Nord ou par nos confrères, membres de la commission des droits des mineurs. Il s'agit d'un groupe de parole reposant sur de vrais échanges. Les parents se sentent moins jugés. L'avocat intervient, les rassure en quelque sorte. Même si cela concerne les parents, notre place est importante parce que les victimes sont des enfants et que notre intervention peut éviter une réitération, voire une récidive. C'est cela la prévention. En outre, des familles qui ne sont pas connues des services sociaux ou du juge des enfants peuvent être repérées dans le cadre de ce stage, par exemple, d'aide à la parentalité. Nous pouvons demander un entretien au cabinet afin d'évoquer plus précisément la situation. De telles actions permettront, progressivement, d'éviter des situations de mise en danger, voire d'être un vecteur de l'accès au droit qui est susceptible de permettre la prévention.

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Isabelle Gerdet, avocate au Barreau de Tours

Ces stages de parentalité existent également à Tours.

S'agissant du rapport à l'accès au droit, lorsque sont évoquées les violences sur les enfants, je fais, par provocation, la comparaison entre les violences faites aux animaux et celles faites aux enfants : un coup de pied à l'animal, un coup de pied à l'enfant. Les gens sont plus choqués par le coup de pied à l'animal. Je ne dis pas que c'est bien, je conteste de tels actes contre les animaux, mais le réflexe des parents est de rétorquer que battre un animal est anormal alors que battre son enfant relève d'un acte éducatif. Il y a là une forte méconnaissance du droit. Cela ne relève pas de notre compétence, mais on constate des lacunes.

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Je voudrais revenir sur les enfants étrangers isolés et notamment sur la décision récente du Conseil constitutionnel. Dans la pratique, avez-vous constaté des contournements du caractère subsidiaire du recours aux tests osseux ? Pensez-vous que cette décision du Conseil constitutionnel aura des conséquences dans certains départements qui abusent d'une saisine automatique du juge pour avoir recours à ces tests ?

Ma seconde question porte sur la condamnation des mineurs isolés. Ont-ils droit, comme les autres, à un suivi éducatif en sortie de prison s'ils sont incarcérés ou les différencie-t-on pour certains ? Y a-t-il des sorties sèches de prison de ces enfants ?

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Josine Bitton, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis

Mon département est très concerné par les mineurs isolés. Ils forment un volet important des enfants pris en charge par la société. Dans notre département, l'évaluation revêt la forme d'une délégation de service public auprès de la Croix-Rouge. Elle réalise l'évaluation et, sous forme d'avis, propose de rejeter les dossiers d'un certain nombre de jeunes, pour toutes sortes de motifs. Les enfants saisissent alors le juge des enfants qui fait évaluer les documents administratifs. Actes d'état civil, acte de naissance, jugement supplétif, le cas échéant, ou passeports etc. seront examinés par les services du ministère de l'Intérieur qui déterminent s'il s'agit ou non de faux documents. Des juges ordonnent des tests osseux de cette évaluation, en contravention avec les dispositions du code civil. La saisine du Conseil constitutionnel avait réitéré le caractère subsidiaire de ces tests osseux. Pour l'heure, il y est moins systématiquement fait recours, mais je ne suis pas sûre que l'on ne revienne pas aux « bonnes habitudes ».

Le test osseux avait pour objet d'évaluer l'âge des enfants isolés, avec une marge d'erreur extrêmement large – telle est bien là difficulté – mais, faute d'autres éléments, on l'utilisait en dernier recours. On peut imaginer un jeune qui ne possède absolument aucun document ; il ne reste rien d'autre que ce test. Mais le test n'est pas toujours un élément subsidiaire.

Quant aux mineurs non accompagnés qui auraient commis des délits, nous assistons à des sorties sèches de détention sans que personne ne soit avisé de leur sortie de Villepinte ou de Fleury-Mérogis et sans qu'une personne ne soit là pour les attendre à la sortie. Il existe une différenciation tout aussi bien dans l'accès au service public de l'aide sociale à l'enfance – désormais, il existe une entrée pour les mineurs étrangers, une autre pour les autres enfants – que dans le traitement au titre de la protection de l'enfance de ces enfants.

La cellule pour les mineurs isolés qui a pris ses fonctions à Bobigny en septembre ne compte plus que cinq éducateurs pour environ 750 dossiers. C'est donc ingérable.

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Merci pour l'ensemble de ces témoignages.

Maître Bitton, vous nous avez rappelé l'intérêt supérieur de l'enfant, notamment les deux piliers que sont l'éducation et la santé.

Dans les faits, quel rôle jouent les professionnels de l'éducation nationale et de la santé en tant que lanceurs d'alerte face à des situations liées à l'enfance en danger ? Une fois que l'alerte est donnée, comment faire pour protéger les enfants ? Peut-être serait-il préférable d'avancer des propositions plutôt que de flécher ce qui ne fonctionne pas.

Vous l'avez souligné, entre le moment où un problème est détecté et le rendu du jugement, il s'écoule parfois des années. On assiste à l'extrême à des infanticides. Que pourrait-on faire pour mieux protéger ces enfants ?

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Josine Bitton, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis

Dans un premier temps, il faut remettre dans les établissements des infirmières scolaires et des assistantes sociales scolaires, alors que l'on fait exactement l'inverse depuis des décennies. Il convient de former les enseignants, les personnels sociaux ou médicaux dans les établissements.

Dans bien des établissements, les visites médicales scolaires ont disparu alors qu'elles étaient assurées au moins une fois par an. À cette occasion, il arrivait que l'on détecte les coups reçus par les enfants ou que l'on recueille leur parole. L'enfant, parfois, parle au médecin ou à l'infirmière scolaire que les élèves voient régulièrement quand elle est dans l'établissement. Et puis il convient de former à l'écoute et à la détection des signes de maltraitance et de penser à saisir la cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP). Il est préférable de la saisir et de réaliser une évaluation que de ne rien faire. En discuter en réunion collégiale est prévu par les textes, mais ce n'est pas toujours le cas à l'heure actuelle. On réfléchit mieux à plusieurs, on procède à un échange de pratiques et de bons procédés. Entre le moment où la CRIP est saisie et le moment où le juge des enfants est saisi dans le cas d'un signalement qui est fondé, neuf mois s'écoulent en Seine-Saint-Denis – c'est beaucoup trop long. Les jugements interviennent très tardivement, parfois trop tardivement.

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Au cours de précédentes auditions, des professionnels ont pointé les difficultés liées à l'autorité parentale qui reste accordée aux parents alors que l'enfant est placé. J'aurais aimé avoir votre vision sur cette thématique. A priori, certains parents usent et abusent de leur autorité pour bloquer des actes qui aideraient au quotidien au développement de l'enfant. Ils interdisent des sorties, le passage chez le coiffeur...

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Josine Bitton, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis

Sur un plan général, il est bon que les parents restent titulaires de l'autorité parentale, dans un premier temps tout au moins, avec la possibilité pour le juge, en cas de blocage des parents, d'accorder une délégation d'autorité parentale au département sur un point donné. Lorsque le blocage est général, on peut étendre plus largement la délégation, voire, ainsi que cela s'est produit au titre de l'un de mes dossiers, confier une mesure de tutelle à l'ASE parce que la mère s'opposait systématiquement et finalement disparaissait du paysage, empêchant toute mesure concernant l'enfant, ce qui entraîne un danger pour celui-ci.

Pour des familles qui ne sont pas totalement dysfonctionnantes – les cas de figure sont divers, bien sûr –, des parents jouent le jeu et estiment qu'ils ne sont pas en mesure, à un moment donné, de prendre en charge leur enfant en raison de problèmes de santé, physiques ou psychiques. Pour autant, ils ne sont pas forcément maltraitants, même s'ils ont besoin d'une aide. Ils sont ainsi à même de suivre l'enfant au quotidien et donnent leur autorisation sans difficulté. De manière générale, il ne faudrait pas suspendre l'autorité parentale, mais uniquement en cas de difficulté ou élargir la délégation d'autorité parentale au département pour éviter tout blocage.

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Isabelle Corrales, avocate au barreau de Lille

De mon expérience, c'est plutôt l'inverse, c'est-à-dire que les familles ne sont pas toujours informées d'événements importants lorsque leur enfant est placé. Cet état de fait met en avant des difficultés de communication avec la référente ASE. La mère d'une enfant m'a appelée, désespérée. Elle avait appris a posteriori que son fils, placé très jeune, avait été victime d'une agression sexuelle sur le lieu de placement par un autre jeune. La mère n'a été informée que plusieurs jours après.

Je repère des difficultés qui se posent davantage en ce sens plutôt qu'une famille qui ferait opposition en refusant de signer des documents. Peut-être était-ce parce que l'ASE est surchargée, mais, en l'occurrence, les événements qui se sont déroulés étaient importants et la famille n'a pas été informée immédiatement. Il est nécessaire de travailler en confiance avec les services éducatifs, ce qui suppose la collaboration des parents. En l'occurrence, la mère de l'enfant a très mal vécu la situation. Il sera difficile pour elle de coopérer en toute sérénité et en confiance avec les services éducatifs.

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Je voulais savoir si le travail sur la prévention et la parentalité pourrait faire partie d'un déplacement, je n'en sais rien. Comment fonctionne le stage d'aide à la parentalité ? Les parents sont-ils volontaires ou font-ils l'objet d'incitations ? Et si cela fonctionne, peut-on y avoir accès ou serait-ce trop compliqué ?

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Josine Bitton, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis

Lorsqu'il s'agit d'une alternative aux poursuites, l'incitation est forte : la famille n'a pas le choix !

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Hormis l'alternative aux poursuites, cela pourrait-il être une obligation ?

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Josine Bitton, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis

On peut l'imaginer. Des associations organisent des réunions de quartier auxquelles il m'est arrivé d'assister. Certaines étaient organisées par une personne de bonne volonté, une personne dont les enfants avaient été placés. Elle avait rencontré des difficultés dans sa vie qui étaient résolues et organisait des réunions d'information d'accès au droit, comprenant une formation à la parentalité, à l'autorité parentale, et à une information sur les droits et les devoirs.

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Ces réunions présentent un caractère artisanal.

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Josine Bitton, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis

En effet.

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Isabelle Corrales, avocate au barreau de Lille

Les personnes concernées ne viendront pas forcément à ces réunions informelles organisées dans le quartier. À l'inverse, le stage de parentalité est organisé une fois ciblée l'infraction. Le parquet, afin que les parents ne recommencent pas, leur demande d'assister à ces stages afin de ne pas reproduire leurs erreurs.

Par ailleurs, nous organisons des informations et des formations dans des centres sociaux sur différents thèmes mais les personnes qui viennent y assister sont, pour l'essentiel, les travailleurs sociaux eux-mêmes, il y a très très peu de public du quartier.

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Ma question porte sur l'accès au dossier. Je sais que se pose le problème de la protection numérique, mais ne pourrait-on imaginer le partage des données numériques ?

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Isabelle Corrales, avocate au barreau de Lille

Au tribunal de grande instance de Lille, la commission des droits des mineurs travaille avec les directeurs de greffe et le tribunal pour enfants de Lille pour mettre en place la communication électronique entre le barreau, les avocats et le tribunal pour enfants de Lille. Cela suppose beaucoup de réunions. Cette mise en place ne va pas de soi du point de vue technique entre autres. Mais nous espérons aboutir à un protocole et à la mise en place de cette communication pour transmettre par voie électronique, donc par internet, via le RPV – la communication sécurisée des avocats – les rapports éducatifs directement dans une boîte mail sécurisée au confrère constitué dans le dossier, ce qui faciliterait, en effet, les choses.

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Isabelle Gerdet, avocate au Barreau de Tours

Sous réserve, bien sûr, que le dossier qui arrive au palais de justice soit numérisé et nous soit ensuite envoyé. Le cadre existe, la réalisation effectivement est plus compliquée.

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Je vous remercie beaucoup de vos interventions et du temps que vous nous avez consacré. Bon retour !

La réunion s'achève à douze heures cinq.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance

Réunion du jeudi 9 mai 2019 à 10 h 15

Présents. - Mme Delphine Bagarry, M. Guillaume Chiche, M. Paul Christophe, Mme Perrine Goulet, Mme Sandrine Mörch, Mme Bénédicte Pételle, Mme Florence Provendier, M. Alain Ramadier.

Excusés. - Mme Jeanine Dubié, Mme Françoise Dumas.