Je suis avocate au barreau de Lille depuis l'année 2004. Je suis membre de la commission « Droits des mineurs » du barreau de Lille et je préside cette commission depuis janvier 2018.
Le tribunal pour enfants de Lille a la particularité d'être en tête en France pour l'assistance éducative. Nombre de situations sont gérées par les treize cabinets de juges des enfants.
Je ne reviens pas sur les difficultés déjà indiquées par mes consoeurs car nous nous rejoignons sur le manque de moyens et le nombre insuffisant de greffiers du tribunal pour enfants.
Je vous livre quelques chiffres sur l'activité du tribunal pour enfants de Lille : 9 032 décisions ont été rendues en 2018 en matière d'assistance éducative, soit 695 par cabinet. Cela représente 70 décisions par mois et par cabinet de juge des enfants. Concrètement et au quotidien pour le cabinet de juges des enfants, ce sont quatre à cinq dossiers à traiter par jour et quatre jours d'audience par semaine. N'oublions pas que le juge des enfants traite des dossiers au pénal, il peut aussi être amené à être assesseur au tribunal correctionnel et à la cour d'assises des mineurs.
J'évoquerai essentiellement la place de l'avocat d'enfants. En un mot, il y a encore beaucoup de travail ! La place accordée à l'avocat d'enfants en assistance éducative en matière de protection de l'enfance n'est pas à la hauteur des attentes des premiers concernés – vous les avez reçus et entendus le 11 avril dernier. Beaucoup ont indiqué soit qu'ils n'avaient pas été entendus par le juge, soit qu'ils n'avaient pas été assistés. Un seul avait indiqué avoir été assisté par un avocat ou un administrateur ad hoc.
Les avocats d'enfants sont encore confrontés à de nombreuses résistances de la part de l'ASE et du juge des enfants par des pratiques qui varient selon le tribunal, voire selon les cabinets de juge des enfants au sein du même tribunal, et ce malgré la création, il y a dix ans, de groupes de travail « Mineurs » du Conseil national des barreaux. De nombreux combats restent à mener pour les avocats d'enfants, notamment celui de la place de l'avocat d'enfants en assistance éducative dans la protection de l'enfance, place qui est parfois seulement tolérée et insuffisamment importante.
L'avocat d'enfants n'est pas un avocat comme les autres. C'est d'abord un juriste formé spécifiquement aux droits des mineurs mais également aux disciplines des sciences humaines relatives à la question de l'enfance et de l'adolescence. L'avocat d'enfants est un avocat soumis à une déontologie exigeante et spécifique au regard de la fragilité du public : les mineurs, les familles en difficulté, les mineurs non accompagnés, les jeunes majeurs désoeuvrés. C'est aussi un professionnel de la justice de la jeunesse, engagé et citoyen car intervenir auprès des jeunes en difficulté, c'est vouloir infléchir la société de demain.
Le Conseil national des barreaux, en signant la convention le 8 juillet 2011 avec la Chancellerie pour une justice personnalisée des mineurs, a pris la mesure de la nécessité d'une défense et d'une assistance de qualité et organisée en fonction des besoins spécifiques de chacune des juridictions pour les mineurs, enfants, adolescents et jeunes majeurs, et ce en instituant une règle fondamentale pour les avocats d'enfants « un mineur, un avocat ».
Les avocats d'enfants veulent que le droit à avoir un avocat d'enfants en assistance éducative soit un droit effectif et garanti par la loi. Pour ce faire, voici nos propositions :
Modifier l'article 1186 du code de procédure civile qui fait dépendre, pour l'essentiel, l'assistance de l'avocat d'enfants de la décision du juge des enfants, en particulier sur la question du discernement de l'enfant et sur l'information donnée aux parties, notamment à l'enfant, sur le droit à l'assistance d'un avocat. C'est le juge des enfants qui doit procéder à cette information lors de la première audition, ainsi que cela est prévu par le texte, car cette information est une obligation légale. Or ce n'est pas fait parce que les juges des enfants sont surchargés – c'est une réalité.
Écrire et insérer dans la loi le droit à l'assistance par un avocat spécialement formé de tout enfant, quel que soit son âge,
Écrire et insérer dans la loi la règle « un mineur, un avocat » pour sécuriser, encore une fois, la continuité du parcours du mineur.
Insérer dans la loi ces deux règles fondamentales revient à garantir l'uniformisation de l'intervention systématique de l'avocat d'enfants en assistance éducative dans tous les tribunaux de France. Dans la réalité, l'article 1186 est, selon nous, problématique dans sa rédaction, et crée de l'inégalité en fonction du tribunal pour enfants, qui peut l'interpréter d'une façon ou d'une autre. Il faut savoir que le défenseur des droits a également pointé cette difficulté inhérente à la rédaction de l'article 1186. En définitive, il faut instituer dans la loi l'avocat obligatoire en assistance éducative, au moins dès lors qu'un placement est envisagé, et s'assurer que l'information sur le droit à l'avocat est effective, car l'avocat n'interviendra que si l'enfant est informé de son droit à être assisté.
Au barreau de Lille, qui a créé une commission d'avocats volontaires et formés en droit des mineurs, l'organisation est quasi professionnelle. Nous travaillons sur la base de deux textes : d'une part, le protocole 91 qui lie les chefs de juridiction et le barreau de Lille pour organiser les permanences. On y trouve tout aussi bien uniquement des permanents en droit des mineurs que des permanents en droit pénal, souvent pour gérer les audiences en urgence. Au titre du droit pénal, il s'agit des comparutions immédiates ; en droit des mineurs, des défèrements, afin de s'assurer de la présence d'un avocat puisque, au pénal, l'avocat est obligatoire pour le mineur.
Le protocole 91 permet aussi le financement de ces permanences et des permanents et des systèmes de coordination pour organiser la défense au sein de chaque barreau.
D'autre part, une convention lie le barreau de Lille avec chaque confrère du barreau qui souhaite intégrer la commission des droits des mineurs. Cette convention lie le confrère qui intègre la commission et l'astreint à des obligations : une obligation de formation spécifique, une obligation de disponibilité pour assurer les permanences mais également une règle fondamentale liée à cette disponibilité « un mineur, un avocat », car suivre le parcours d'un mineur au pénal comme au civil prend du temps. En situation de crise, le suivi d'un mineur peut être assez intense. S'ajoute la participation aux travaux des commissions.
Aussi des barreaux se sont-ils organisés pour assurer une défense de qualité et professionnelle qui prend en compte les fragilités et l'aspect humain, ce qui est essentiel dans la prise en charge des mineurs, que ce soit au pénal ou en assistance éducative.
Au sein du barreau de Lille, le premier contact intervient souvent en lien avec une procédure pénale, l'avocat étant alors obligatoire. Suite à une permanence où l'avocat a rencontré un mineur poursuivi au pénal qui n'est pas connu et pour lequel la famille ou le mineur lui-même n'a pas fait le choix d'un avocat, l'avocat signale son obligation de suivi dans le cadre de la commission d'office et devient alors l'avocat référent du mineur.
L'avocat référent du mineur au barreau de Lille suit la situation du mineur au titre de la procédure qui a conduit à cette assistance dans le cadre de la permanence mais également au titre de toutes les autres procédures, au pénal mais également au civil. La difficulté tient en ce que certains juges des enfants considèrent que si l'avocat est obligatoire au pénal, il ne l'est pas au civil. Peut-être estiment-ils que l'intervention de l'avocat n'est pas si pertinente, puisqu'elle n'est pas obligatoire. C'est oublier que le travail de l'avocat en assistance éducative ne se limite pas au jour de l'audience : il intervient avant et après l'audience, il réside dans le travail réalisé en amont d'explication, d'accompagnement, de préparation. C'est en amont que les choses les plus importantes se jouent parfois. Il est utile d'expliquer à l'enfant le rôle du juge des enfants, de le rassurer tout simplement.
Lorsque l'on arrive à une audience d'assistance éducative, il est utile de suggérer au juge des enfants, même si effectivement son agenda est très lourd, de rencontrer l'enfant qui souhaiterait évoquer certains points en tête-à-tête. Parfois, les juges des enfants le font spontanément, parfois, ils n'y pensent pas ou estiment connaître la situation, mais les choses peuvent aussi évoluer pour l'enfant. On doit pouvoir signaler que tel enfant souhaite, même si l'audience est déjà passée, revoir le juge en cas de difficulté au foyer ou avec les parents. L'avocat peut être cet interlocuteur. C'est la raison pour laquelle notre présence, dans le cadre de l'assistance éducative, est d'autant plus pertinente, voire plus qu'au pénal, même si la loi a restreint l'obligation en matière pénale. Les avocats d'enfants souhaitent pouvoir intervenir au plus tôt dans la situation de ces enfants. La phase administrative de prévention est essentielle. Je pense que l'avocat d'enfants a toute sa place.
Certains barreaux mettent en place des partenariats ou des conventions pour travailler avec des acteurs institutionnels qui ne sont pas forcément judiciaires, avec la protection judiciaire de la jeunesse, mais aussi avec des associations habilitées. Dans le Nord, nous avons signé une convention avec la Sauvegarde du Nord. Nous travaillons sur un projet avec la prévention spécialisée. Nous allons peut-être aussi engager un travail important avec le conseil départemental pour intervenir, pourquoi pas avant même que la situation ne soit signalée, au niveau des centres sociaux ou scolaires, par exemple. Notre place ne se limite pas au niveau judiciaire.