Intervention de Pierrine Robin

Réunion du jeudi 9 mai 2019 à 14h00
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Pierrine Robin :

Je voudrais à mon tour réagir aux modifications apportées à la proposition de loi et appuyer les propos d'Isabelle Frechon, ayant mené, avec un groupe de jeunes chercheurs pairs, une étude plus qualitative sur la transition à l'âge adulte.

La nouvelle rédaction de ce texte me semble très problématique pour deux raisons. Elle repose sur la logique selon laquelle il faut renvoyer ces jeunes vers le droit commun afin de ne pas créer des assistés. Or ces jeunes présentent des problèmes spécifiques, notamment d'attachement ; demander de l'aide leur est compliqué, notamment lorsqu'il n'y a pas de continuité entre leurs interlocuteurs. Toutes nos enquêtes montrent que les jeunes qui ont été accompagnés dans le droit spécifique de manière longue et continue, jusqu'à l'âge de 21 ans, ont le sentiment de pouvoir se débrouiller par eux-mêmes, alors que ceux qui sont lâchés vers l'âge de 16 ans ont toujours besoin d'aide à l'âge de 24 ans et recourent à d'autres dispositifs pour la santé mentale ou le logement. C'est un leurre que de dire que le droit commun peut répondre aux problématiques de ces jeunes.

Par ailleurs, nous ne sommes pas dans un pays de l'Europe du Nord, comme le Danemark, où existe un droit commun fort et où l'ensemble des jeunes bénéficient d'une aide. La garantie jeune à laquelle sont renvoyés les jeunes Français en précarité est une voie de garage, puisqu'ils ne sont ni en formation ni en emploi.

Comme l'a expliqué Isabelle Frechon, l'image des jeunes qui arrivent dans le système après l'âge de 16 ans est erronée. Ils n'y entrent pas à cause d'un problème ponctuel dans la famille ou parce qu'ils traversent une crise d'adolescence plus grave : certains sont à l'issue d'un parcours migratoire qui leur a fait connaître de multiples situations de prise en charge – à une tante, une grand-mère, puis à un tiers en France – et subir diverses maltraitances ; d'autres ont connu des situations familiales très complexes. Ils apparaissent dans le dispositif lorsqu'ils trouvent eux-mêmes les moyens d'entrer en contact avec les services sociaux, une fugue par exemple. Ceux qui ont été le plus exposés, et le plus longtemps, à des violences familiales comme l'inceste, ont besoin d'un temps de maturation psychique pour sortir de cette situation – pour l'enfant, il est incompréhensible d'être éduqué et violenté par la même personne.

Ces jeunes arrivent donc tardivement dans le dispositif, parce qu'ils n'ont pas été repérés, parce qu'ils étaient dans des systèmes familiaux très enfermants, ou parce que le processus qui les a conduits à demander de l'aide s'est avéré plus long. Ce sont ceux qui ont été exposés aux situations les plus complexes, les plus lourdes, les plus traumatisantes et le plus longtemps. Ils ont davantage besoin d'aide que ceux qui sont entrés plus tôt dans le système, ont connu un parcours plus stable dans l'accueil et disposent finalement de plus de ressources pour se débrouiller. Or ce sont ceux que l'on veut exclure du dispositif. Il y a là une forme de double peine : ils sont moins repérés, et lorsqu'ils le sont, on leur explique qu'il est trop tard pour les aider.

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