Intervention de Isabelle Frechon

Réunion du jeudi 9 mai 2019 à 14h00
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Isabelle Frechon :

Nos questionnaires n'ont pas posé la question des violences institutionnelles, pas plus que celle des motifs de placement, car cela n'est pas faisable.

En revanche, les travaux que j'ai présentés comportent plusieurs étapes, et plus d'une centaine entretiens avec les jeunes a été réalisée. À cette occasion, nous avons repéré des violences au sein des institutions dans un entretien sur cinq ; ce qui est beaucoup.

Dans la première étude, réalisée sur des dossiers archivés, nous avons aussi tenté de repérer ces violences, mais seulement 1,7 % d'entre elles ont été mises en évidence, dont à peine 1 % avaient été commises entre pairs, 0,6 % mettant en cause les éducateurs ou les assistants familiaux. Seuls les dossiers provenant de départements ayant mis en place un protocole portant sur les violences au sein des institutions, afin que les choses soient dites et consignées quelque part, notifiaient ces actes.

Avec l'ensemble des chercheurs ayant travaillé au projet ELAP, nous nous sommes regroupés afin de repérer les entretiens révélant des violences. Il ne s'agit que de remarques survenant au fil des conversations, mentionnant des violences et des agressions.

Il peut être observé que les violences sexuelles dont nous avons pu être mis au fait concernent des jeunes qui affirment que ces actes ont été commis non sur eux-mêmes, mais sur d'autres. Ainsi, encore ici, et nous le constatons sur l'ensemble du parcours en protection de l'enfance, les violences sexuelles demeurent extrêmement difficiles à dévoiler, et sont évoquées de façon décalée.

Par ailleurs, nous nous sommes heurtés, dans notre travail de chercheurs, à la difficulté de définir ce qu'était la violence institutionnelle : les agressions physiques, psychologiques ou racistes participent certes de la violence institutionnelle, mais ne faut-il pas aller plus loin ? Dans l'enquête ELAP, nous avons demandé aux jeunes s'il leur était arrivé de devoir quitter un lieu d'accueil où ils souhaitaient rester ou, à l'inverse, de devoir rester dans un lieu d'accueil qu'ils désiraient quitter : 36 % des jeunes ont répondu oui aux deux questions et 53 % à au moins l'une d'entre elles, ce qui nous ramène à la difficulté que j'évoquais tout à l'heure de préparer un placement et de retirer l'enfant à sa famille. Il y a là une forme de violence institutionnelle qui s'ajoute aux autres et qui fait que ces parcours sont toujours, d'une manière ou d'une autre, des périodes très lourdes en agressivité pour ceux qui les subissent.

Quant aux liens parents-enfants, je confirme qu'ils dépendent des parcours, sachant que les jeunes de 17 à 20 ans que cible notre enquête dépendent encore, par définition, de la protection de l'enfance, et que ceux qui sont retournés chez leurs parents ont disparu de nos radars. Cela explique que nous ayons le plus souvent affaire à des cas de délitement de ces liens. Toutes nos enquêtes confirment d'ailleurs que, plus le placement dure longtemps, plus il est difficile pour un parent de pouvoir récupérer son enfant, faute d'un accompagnement suffisant par la famille en parallèle du placement.

Beaucoup de jeunes ne demandent pas de contrat jeune majeur car ils attendent avec impatience d'avoir dix-huit ans pour pouvoir retourner dans leur famille. Pour certains, la désillusion est très forte, à cause du décalage social qui s'est créé entre ce qu'ils ont vécu tout au long de leurs années de placement et la famille qui a été laissée pour compte. En revanche, il y a aussi de belles histoires de jeunes pour qui le retour auprès des parents s'est bien déroulé. Pour ces derniers s'ouvre alors une période où ils vont pouvoir en quelque sorte prendre le temps de vivre leur adolescence. Cependant, il faut veiller dans ces cas-là à maintenir un accompagnement adapté car, souvent, lorsqu'on réinterroge ces jeunes réinstallés en famille plusieurs années après, ils sont toujours sans travail et n'ont pas entrepris grand-chose. Par ailleurs, ils ont tendance à ne plus demander d'aide. Il est donc important de les suivre et de retourner vers eux, non pas dans les six mois qui suivent leur sortie mais un ou deux ans plus tard.

Je voudrais ajouter un dernier mot sur les fratries. L'enquête sur la reconstitution des parcours de placement fait apparaître que seules 34 % des fratries n'ont pas été séparées. 42 % ont été séparées partiellement, ce qui signifie, par exemple que, dans une fratrie très nombreuse, deux des enfants au moins ont été placés ensemble ou bien que la fratrie a temporairement été réunie, avant d'être séparée. Ces séparations sont souvent mal préparées et très douloureuses, sachant que 24 % des fratries ont été séparées tout au long du parcours de protection de l'enfance. En gros, plus les parcours sont longs, plus le risque de séparation est grand.

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