Intervention de Gisèle Delcambre

Réunion du jeudi 9 mai 2019 à 16h15
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Gisèle Delcambre, secrétaire générale de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF) :

S'agissant de la présence des assistants familiaux et des éducateurs à l'audience, je vais devoir démentir vos propos. Lorsqu'il s'agit d'un placement, nous mandatons l'aide sociale à l'enfance. En effet, comme mon collègue vous l'a dit, c'est l'aide sociale à l'enfance qui, dans 90 % des cas, et peut-être davantage, assure désormais la prise en charge des enfants placés, et les placements directs sont très rares. Lorsque nous révisons la mesure à échéance, soit au bout de deux ans maximum, nous organisons ce que l'on appelle une audience, c'est-à-dire un débat contradictoire, auquel les titulaires de l'autorité parentale sont convoqués.

Nous déterminons si la présence du mineur est, ou non, nécessaire. Il est évident qu'on ne demandera pas à un nouveau-né d'assister à l'audience. On en dispensera également l'enfant dont les parents ont une relation extrêmement conflictuelle, afin de ne pas l'exposer à la violence de leurs échanges. L'aide sociale à l'enfance est évidemment appelée à être présente, puisqu'elle est mandatée judiciairement par le juge des enfants. Dans la mesure où les enfants sont pris en charge, non pas directement par les services de l'aide sociale à l'enfance, mais soit par les structures collectives qu'on appelle les foyers, soit par les assistants familiaux, les référents des foyers sont souvent présents à l'audience. Ils nous adressent également un rapport, dont nous tenons compte. Lorsque les enfants sont présents à l'audience, il est très fréquent que les éducateurs qui vivent auprès d'eux dans le foyer y assistent également.

Je me suis retrouvée, il y a quelques mois, dans une situation que je n'avais jamais connue auparavant, et au sujet de laquelle j'ai consulté mes collègues. Dans un dossier impliquant une fratrie qui comptait beaucoup d'enfants, trois assistantes familiales m'ont écrit pour me dire qu'elles avaient une vision de la situation de l'enfant différente de celle de l'éducateur référent et qu'elles voulaient être entendues au cours de l'audience. J'ai été un peu décontenancée, même si je disposais d'une réponse juridique, dans la mesure où un article du code de procédure civile nous autorise à auditionner toute personne détentrice d'informations sur la situation d'un mineur. Avec mes collègues, nous nous sommes dit que, puisque nous acceptions que les éducateurs du foyer soient présents à l'audience, il n'y avait aucune raison d'en exclure les assistantes familiales. Bien évidemment, je leur ai précisé le cadre dans lequel je les entendrais, afin de ne pas être instrumentalisée dans un conflit qui pourrait les opposer à leur employeur, à savoir l'aide sociale à l'enfance.

Vous le voyez, nous tenons compte de la parole des proches. Il est certes rarissime que l'on aille jusqu'à entendre les assistantes familiales – en treize ans d'exercice en tant que juge des enfants, cela ne m'est arrivé qu'une fois – mais je répète que nous recevons régulièrement les éducateurs des foyers. Cela va même plus loin : il peut arriver qu'un psychologue ou une autre personne intervenant d'une manière plus spécifique dans la prise en charge d'un enfant placé l'accompagne à l'audience et nous demande d'y prendre part. Si cette personne a des informations utiles à nous donner sur l'enfant, elle est la bienvenue.

S'agissant de la parole des parents, il faut savoir que lorsque des mesures sont décidées ou révisées, nous avons l'obligation d'auditionner les titulaires de l'autorité parentale, et parfois les mineurs eux-mêmes. Ce temps de l'audience et du débat contradictoire est très important, puisque les parties, notamment les titulaires de l'autorité parentale, peuvent s'y exprimer, seules ou accompagnées d'un avocat. Lorsque le juge des enfants rend sa décision, à l'issue de l'audience ou après un temps de réflexion, les parents peuvent encore se rendre, accompagnés ou non d'un avocat, devant la chambre des mineurs, à la cour d'appel, pour faire entendre leur parole, qui sera entendue par les magistrats.

Cette parole a toute sa place. Elle l'a d'autant plus que nous devons travailler dans l'adhésion avec les parents. Il ne faut pas être schizophrène pour être juge des enfants… D'une certaine façon, nous sommes très violents, puisqu'on touche à la chair de leur chair : séparer des enfants de leurs parents, c'est toujours violent et douloureux. Nous devons néanmoins travailler dans l'adhésion, afin de convaincre les parents de la nécessité d'être présents auprès de leurs enfants, car la loi leur confère cette place. Souvent, les parents se plaignent auprès de nous d'être privés de leur autorité parentale. Ils se sentent exclus, dépossédés de leur autorité, mais c'est faux : juridiquement, ils la gardent. Lors du placement d'un enfant, il y a un tas de décisions relativement accessoires à prendre, pour lesquelles l'accord des parents, soit d'un seul, soit des deux, est nécessaire. La place des parents est donc préservée, parce que la loi nous y contraint – et c'est une bonne chose.

Par ailleurs, lorsqu'on place un enfant, il est bien évident que l'on travaille, dans la mesure du possible, à favoriser son retour. Or ce retour ne peut être envisagé qu'avec le soutien, la participation, la collaboration des parents. Il faut que les parents puissent comprendre le sens de la mesure d'aide qui est décidée par le juge des enfants, même si elle peut leur sembler contraignante.

Votre troisième question portait sur l'articulation entre le tribunal pour enfants et l'aide sociale à l'enfance, s'agissant de la prise en charge des mineurs non accompagnés. Les textes auxquels nous nous référons sont la loi du 14 mars 2016 et la circulaire Taubira : tout jeune étranger qui se prétend mineur, qui est repéré ou qui se signale sur un territoire, fait l'objet d'une évaluation, qui est généralement prise en charge par le département. Sont évalués sa minorité, son degré d'isolement et sa vulnérabilité, selon des critères que je ne détaillerai pas ici.

À l'issue de cette évaluation, si le jeune est déclaré mineur et non accompagné – dans la quasi-totalité des cas, il n'a pas de représentant de l'autorité parentale sur le territoire français –, le département saisit le parquet. Celui-ci rend une ordonnance de placement provisoire et saisit le juge des enfants, qui révise la mesure d'ordonnance de placement provisoire dans les délais prévus par la loi. La mesure de placement suit ensuite son cours, suivant des dispositifs qui sont variables d'un département à un autre. Dans le département du Nord, il existe par exemple un dispositif dédié, appelé « Trajets », qui a fait l'objet d'une offre de marché public. Lorsqu'un jeune migrant n'est pas considéré comme mineur, il peut saisir directement le juge des enfants, et cette saisine est assez fréquente. Le juge n'évalue pas sa minorité mais, conformément à l'article 47 du code civil, l'authenticité des actes d'état civil que le jeune peut présenter – dans la plupart des cas, il en a.

Nous avons en France, avec la loi du 5 mars 2007 et celle du 14 mars 2016, un dispositif qui fait toute leur place aux titulaires de l'autorité parentale. Le problème, c'est qu'il n'est pas appliqué de la même façon partout. Le sort d'un enfant confié à l'aide sociale à l'enfance ne sera pas le même dans un petit arrondissement et dans un grand arrondissement comme celui dans lequel je travaille – puisque nous sommes treize au tribunal pour enfants de Lille. Nous demandons aux personnes qui sont dans nos cabinets de respecter la loi, nous demandons à nos partenaires – parce que les tribunaux pour enfants ont des partenariats – de respecter la loi, nous demandons aux familles et aux titulaires de l'autorité parentale de respecter la loi, mais le système est tellement saturé, que nous sommes nous-mêmes hors-la-loi.

Nous avons déjà évoqué les cellules départementales de recueil des informations préoccupantes, les CRIP. Dans le département du Nord, il n'y a pas eu de CRIP pendant dix ans, les deux premières ont été créées à titre expérimental en 2017 et on prévoit tout juste d'en créer une troisième. Les signalements, pour l'instant, sont évalués par ce que l'on appelle les unités territoriales, qui sont au nombre de 44 dans le département du Nord, ce qui fait 44 façons différentes d'aborder une situation donnée. Cela crée des inégalités devant la loi. On a parlé évoqué aussi les PPE : on commence à en voir mais, pour ma part, je les compte sur les doigts d'une main. Ils doivent être déposés dans les trois mois du placement et être révisés une fois par an, ce qui multiplie les contraintes.

On a tendance à aborder la question des mineurs sous l'angle de la délinquance. Or, quand on creuse un peu le parcours des mineurs délinquants, on s'aperçoit généralement que ce sont des jeunes qui sont passés entre les mailles du filet de la protection de l'enfance. À ce niveau-là, les moyens ne suivent pas et les dispositifs sont totalement saturés.

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