Intervention de Laurent Gebler

Réunion du jeudi 9 mai 2019 à 16h15
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Laurent Gebler, président de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF) :

S'agissant des mineurs non accompagnés, soit le juge des enfants est saisi pour entériner une ordonnance de placement provisoire prise par le procureur, soit il est saisi par le mineur, après que le département lui a notifié un refus de prise en charge. Le plus souvent, quand les jeunes arrivent devant la cellule d'évaluation du département, ils n'ont pas de document d'identité. Des associations les aident alors à faire venir des papiers de leur pays d'origine. Le juge des enfants, au cours de cette audience, doit déterminer s'il se juge compétent pour prendre des mesures de protection de l'enfance.

Il peut se fonder sur trois éléments.

Le premier, c'est le rapport établi par la cellule d'évaluation : il s'agit d'une évaluation plutôt psychosociale, qui contient une description du parcours du jeune, une analyse de la cohérence entre ce qu'il peut dire de sa scolarité et l'âge qu'il prétend avoir, un résumé de sa vie familiale, de son parcours, de ses projets. C'est sur la base de cette évaluation que le département se prononce pour ou contre la prise en charge du jeune.

Le deuxième élément, ce sont les documents d'identité que le jeune peut produire, et dont le juge évalue la validité. Pour cela, il recourt aux services de lutte contre la fraude documentaire. Il se peut que les documents soient formellement valables, mais qu'on ne puisse rien dire des conditions dans lesquelles ils ont été obtenus, puisqu'il est possible, dans certains pays, d'obtenir des jugements supplétifs d'état civil du jour au lendemain. Pas plus tard que ce matin, un tribunal guinéen a été saisi par le père d'un jeune homme en vue de l'obtention d'un jugement supplétif, alors que le garçon avait expliqué, lors de l'évaluation initiale, que son père était décédé quand il était petit. L'acte en question était formellement valable, d'après le rapport de la police aux frontières…

Le troisième outil auquel le juge des enfants peut recourir, et qui a été validé par la décision du Conseil constitutionnel, c'est l'expertise osseuse, avec toutes ses limites et ses imprécisions.

Le juge des enfants a trois outils à sa disposition, dont aucun ne permet, à lui seul, d'apporter une réponse fiable : dans le doute, il valide généralement la prise en charge. Cela dit, nous voyons parfois arriver des jeunes dont les documents sont irréprochables, mais qui ont manifestement vingt-cinq ans et qui se sont fait rejeter par les services de l'aide sociale à l'enfance. À l'inverse, il m'est arrivé de recevoir des jeunes dont les documents étaient falsifiés, mais qui étaient manifestement mineurs. Rien n'est fiable : ce n'est pas parce qu'un jeune a de vrais documents qu'il est vraiment mineur et ce n'est pas parce qu'il a de faux documents qu'il ne l'est pas. Le juge doit néanmoins se faire une opinion et motiver sa décision à partir de ces différents éléments. On peut dire que les expertises osseuses ne valent rien, mais si l'on ne dispose que des deux autres éléments, il ne reste parfois plus grand-chose. Le recours aux expertises osseuses reste très limité et on n'y a pas recours lorsqu'on dispose, par ailleurs, de documents valables.

J'en viens à la question du fichier. On peut comprendre la nécessité de créer un fichier centralisé pour repérer un jeune qui a déjà été évalué ailleurs – certains d'entre eux, et on peut les comprendre, tentent effectivement leur chance dans des villes différentes. Mais le vrai problème, c'est le croisement de ce fichier avec les fichiers adultes. Le vrai problème, c'est de savoir ce que l'on va faire de ceux qui n'auront pas été reconnus mineurs. Vont-ils immédiatement figurer dans des fichiers destinés à des procédures d'expulsion ? Si tel est le cas, alors ce fichier est un piège. Du reste, alors que ce fichier avait été conçu pour aider les départements à réaliser l'évaluation, nombre d'entre eux refusent d'envoyer ces jeunes vers les préfectures. C'est tout le paradoxe… S'il n'y avait pas de connexion entre les fichiers, ce fichier-là, en lui-même, ne poserait pas de problème.

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