Tout d'abord, l'isolement des professionnels est une réalité. En ce qui concerne les maisons d'enfants à caractère social et les foyers de l'enfance, Didier Lesueur a très bien décrit, en 2016, dans un rapport de l'Observatoire national des actions sociales décentralisées (ODAS) – la manière dont la tension financière liée à l'application des 35 heures et à l'évolution des conventions collectives avait compliqué l'organisation du travail dans les institutions : difficultés à assumer des doublures sur des temps importants de prise en charge, notamment les soirées, et, du même coup, à organiser les temps de régulation nécessaires entre équipes. Nous avons, quant à nous, fait le choix – car c'est notre conception du partenaire prestataire – de signer avec l'ensemble du milieu associatif habilité un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM), qui sera renouvelé cette année et qui nous permet d'évoquer, à l'intérieur du périmètre quantitatif et financier, les questions qualitatives. Ainsi, nous sommes en train de réfléchir à la formation et à l'accompagnement des professionnels, et à la manière dont on peut soutenir le milieu associatif dans ce domaine.
En ce qui concerne les familles d'accueil, il est clair que le métier le plus dur de la protection de l'enfance est celui d'assistant familial, et de loin. Un éducateur d'internat quitte son service à vingt-deux heures, au coucher, rentre chez lui et bénéficie du temps de repos nécessaire – au moins onze heures – avant de reprendre son service le lendemain. L'assistante familiale, quant à elle, peut, une fois qu'elle a fermé la porte de la chambre des enfants, passer un petit moment avec son compagnon ou son mari mais, le lendemain matin, cela redémarre dès sept heures. Pour le département de la Moselle et le milieu associatif, il est difficile d'accompagner et de soutenir 290 assistants familiaux répartis sur autant de sites. C'est un véritable problème. Au mois de septembre, nous avons constitué des groupes d'analyse des pratiques de façon qu'au cours des trois ans, une assistante familiale puisse participer pendant au moins une année à un de ces groupes avec une ou un psychologue du service.
Quant au sentiment d'appartenance à l'équipe des assistants familiaux, c'est une question essentielle. Il arrive qu'une assistante familiale me dise : « Mon problème, c'est l'ASE ». Je lui réponds que c'est plutôt son employeur, car l'ASE, c'est elle comme moi. Cet exemple illustre bien le malaise lié au sentiment de ne pas être suffisamment reconnu. Il faut donc qu'on parvienne à organiser des temps collectifs institutionnels auxquels ils – parce que les hommes sont de plus en plus nombreux – participent. Cependant, nous avons réussi, depuis 2018, à embaucher de manière un peu plus importante – 30 postes – en développant, sous l'impulsion du président, un mode de communication extrêmement offensif sur l'attractivité de ce métier. Néanmoins, l'accompagnement des équipes est un enjeu réel.
Ensuite, vous avez abordé la question de l'évaluation par les CRIP. Oui, nous sommes favorables à l'élaboration d'un référentiel. Comme je l'ai dit, nous nous appuyons déjà sur le rapport Martin-Blachais de 2017, fruit de la démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l'enfant.
La difficulté à faire appliquer les jugements est effectivement une réalité. En arrive-t-on parfois au placement parce que d'autres mesures n'ont pas été mises en place ? C'est possible. Je pense que ce n'est pas tellement le cas chez nous, parce que nous avons beaucoup diversifié les solutions. En effet, je le répète, si on veut éviter d'emboliser le placement institutionnel, il ne faut pas placer des enfants qui n'ont pas à l'être. Pour cela, il faut proposer des solutions alternatives au placement. J'ai évoqué le SERAD, ou encore le dispositif « Mousqueton ». Nous allons également expérimenter un dispositif que nous avons dénommé « Caméléon », qui consiste en un placement pendant la journée. Quand on arrive à diversifier ainsi, à proposer des solutions alternatives au placement – quand c'est possible –, on permet de réserver celui-ci aux enfants qui en ont le plus besoin.
J'en profite pour rappeler que, dans les médias, on fait comme si la protection de l'enfance intervenait en majorité pour cause de maltraitance. Tel n'est pas le cas : les études montrent que, dans la grande majorité des cas, il s'agit de pallier des carences éducatives. La manière dont nous abordons la carence consiste à considérer qu'un travail est possible avec la famille. Pour les situations de maltraitance, il n'y a pas à déroger : il faut un placement long et durable, de même qu'un changement de statut. Protéger ces enfants est même plus simple ; pour ce qui est des carences, en revanche, il faut voir comment on réussit à travailler avec les familles, parfois alterner placement et temps en famille. Nous pensons – en tout cas c'est dans cet esprit que nous avons mis en place notre action – que cela nous permet d'exercer la totalité des missions qui nous sont confiées.