Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Réunion du jeudi 9 mai 2019 à 17h15

Résumé de la réunion

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  • enfance
  • moselle
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La réunion

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Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance

Jeudi 9 mai 2019

La séance est ouverte à dix-sept heures quarante.

Présidence de M. Alain Ramadier, président de la mission d'information de la Conférence des présidents

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Mes chers collègues, nous recevons à présent une délégation de l'Assemblée des départements de France, composée de Mme Marie-Louise Kuntz, vice-présidente du conseil départemental de la Moselle, M. Ludovic Maréchal, directeur de l'aide sociale à l'enfance (ASE) de Moselle, M. Jean Michel Rapinat, directeur délégué des politiques sociales, et Mme Anne-Gaëlle Werner-Bernard, conseillère chargée des relations avec le Parlement. Mesdames, messieurs, je vous souhaite la bienvenue.

Les départements sont la cheville ouvrière de la politique d'aide sociale à l'enfance. Nous écouterons donc avec attention l'analyse que vous ferez de la situation, sous ses aspects juridique, humain, budgétaire, culturel et fonctionnel. Sans plus tarder, car nous attendons beaucoup de cette table ronde, je vous laisse la parole.

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Marie-Louise Kuntz, vice-présidente du conseil départemental de la Moselle

C'est un plaisir pour moi de représenter devant vous l'Assemblée des départements de France.

Le 16 janvier dernier, l'émission « Pièces à conviction » provoquait l'émoi populaire et déclenchait un mouvement politique d'ampleur visant à remettre en question le mode d'organisation de la protection de l'enfance, dont la mission, autrefois confiée à la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS), relève des départements depuis les lois de décentralisation des années 1980. Au nom de l'Assemblée des départements de France, que nous représentons aujourd'hui, mais aussi de l'ensemble des associations habilitées concourant à cette grande mission, nous tenons à témoigner notre vif regret, non pas que les dysfonctionnements aient été soulignés, mais que l'on disqualifie l'ensemble d'une politique publique très importante en l'évaluant, à travers le prisme d'un reportage télévisé qui avait un parti pris dès le départ, sans le discernement, l'objectivité et la prise de distance avec l'émotionnel que nécessite le pilotage de cette politique.

En Moselle – où je vous invite à vous rendre, pour constater par vous-mêmes ce que nous y faisons –, le président du conseil départemental a fait, depuis 2011, de l'enfance une grande cause départementale. De la prévention – que nous avons entièrement réorganisée tout en conservant le même budget – aux enjeux de l'évaluation, notre action s'inscrit depuis plus de cinq ans dans une feuille de route claire. Nous vous dirons la manière dont nous travaillons au quotidien et pourquoi nous pouvons affirmer objectivement, sans occulter nos marges de progrès, que notre action produit des effets positifs sur les enfants et les familles mosellanes. Notre exemple, s'il est mis en lumière, est une illustration des forces, des failles et des questionnements qui subsistent, mais aussi de la pertinence du pilotage par l'échelon départemental, que nous estimons très important.

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Nous souhaitons bien nous rendre en Moselle, mais nous en discuterons plus tard.

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Jean-Michel Rapinat, directeur délégué des politiques sociales

Dans le prolongement des propos de Mme Kuntz, nous tenons à souligner, au nom de l'Assemblée des départements de France, l'implication très importante des présidents de conseils départementaux dans la politique d'aide sociale à l'enfance. Du reste, M. Dominique Bussereau, le président de l'Assemblée des départements de France, et le secrétaire d'État à la protection de l'enfance, M. Adrien Taquet, sont convenus, lors d'un rendez-vous, de mener des travaux en commun. L'ADF a ainsi récemment désigné dix-huit élus, dont six présidents de conseils départementaux, notamment le président Weiten, chargés de piloter des groupes de travail. Les départements témoignent ainsi de leur engagement et de leur souhait très sincère de voir l'État travailler à leurs côtés en faveur de l'enfance, dans l'intérêt général et dans l'intérêt particulier de chaque enfant. Nous menons également, dans le cadre d'une mission bipartite – voulue, et nous nous en sommes satisfaits, par le ministre –, une réflexion partenariale sur l'adoption, que nous considérons comme une mesure de protection de l'enfance.

L'ADF attache beaucoup d'importance au fait que la politique de protection de l'enfance soit pilotée par les départements, qui se sont vus attribuer cette compétence il y a plus de trente ans, par le monde associatif, qui ne démérite pas et qui est un partenaire très actif, et par l'État, dont les départements attendent beaucoup dans des domaines dans lesquels ils s'estiment parfois un peu seuls – mais peut-être est-il excessif de le dire ainsi. En tout cas, ils attendent davantage de l'État dans des domaines tels que la santé scolaire – même si, nous le savons, celui-ci est confronté aux mêmes difficultés que les départements en matière de recrutement et de démographie médicale –, notamment pour les enfants âgés de plus de six ans, la santé – nous l'avons rappelé à plusieurs reprises à Mme Buzyn, ministre des solidarités et de la santé –, notamment la pédopsychiatrie, et l'accompagnement des jeunes dits en situation particulièrement difficile et des adolescents. En effet, préparer des adolescents à la majorité, les accompagner vers l'autonomie – un sujet qui suscite le débat ces temps-ci – suppose de développer une approche extrêmement attentive des jeunes, adolescents et préadolescents, qui se présentent à nous.

L'ADF est soucieuse de rappeler que les départements sont extrêmement engagés dans cet accompagnement sur le long terme, notamment au plan financier. Ils consacrent en effet, chaque année, à cette politique centrale plus de 7 milliards d'euros, soit environ 25 % de leur budget d'action sociale. J'ajoute, pour être complet, que cet investissement financier et en personnel, qui est considérable, concerne également l'accompagnement, au titre de la protection de l'enfance, de nombre de jeunes venant de l'étranger, que l'on regroupe sous la dénomination de mineurs non accompagnés (MNA).

Enfin, je veux insister, à l'instar de Mme Kuntz, sur l'engagement des professionnels, qui, confrontés à des situations extrêmement difficiles, sont parfois désemparés. Leur mise en cause, qui a parfois trouvé des formes d'expression dans les médias, touche beaucoup ces équipes extrêmement impliquées qui donnent le maximum d'elles-mêmes dans l'intérêt de l'enfant. Nous le soulignons ici, car la formation et le recrutement nous semblent être des éléments d'amélioration de cette politique publique. En effet, et M. Maréchal y reviendra probablement, nous rencontrons parfois, localement, des difficultés pour recruter. En tout cas, tous ces personnels – associatifs, départementaux, familles d'accueil – font preuve d'un courage extraordinaire et d'une attention toute particulière. Soutenons-les et aidons-les.

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Ludovic Maréchal, directeur de l'ASE du département de la Moselle

Un mot, pour commencer, sur le cadre légal de la protection de l'enfance. Défini par la réforme du 5 mars 2007, confortée par la loi du 14 mars 2016, il nous paraît cohérent et équilibré. Sur le fondement de ce cadre légal, le département de la Moselle a mené, sous l'impulsion du président Patrick Weiten, une réforme en profondeur de la politique publique de protection de l'enfance. Lorsque nous avons présenté cette réforme, nous avons insisté, en premier lieu, sur les enjeux de la prévention. Car si l'on veut être ambitieux en matière de protection de l'enfance, on doit l'être d'abord en matière de prévention, en évitant que la situation des enfants pris en charge dans leur milieu familial d'origine ne se détériore. À cette fin, il nous fallait agir plus tôt, agir plus près et agir différemment.

Pour agir plus tôt, nous avons inscrit très clairement et pleinement la protection maternelle et infantile (PMI) dans le cadre de la prévention et de la protection de l'enfance. Peut-être devons-nous encore amplifier ce volet de notre action en insistant sur les étapes importantes du développement de l'enfant, notamment au cours de ses premiers mois et années de scolarisation. Nous avons également élaboré un vaste plan de formation de l'ensemble des professionnels concourant à la mission de prévention et de protection de l'enfance. Dans le cadre de ce plan, nous avons choisi de sortir de la posture du « sachant », car si nous voulons rencontrer et tendre la main à des familles, il ne faut pas qu'elles se sentent stigmatisées ou jugées par les travailleurs sociaux. Nous avons donc formé l'ensemble de nos acteurs à l'aide contrainte. Ce concept, inventé par un psychosociologue belge, consiste à assumer la dimension de contrôle social de la prévention et protection de l'enfance pour solliciter la collaboration des familles. Il implique non seulement que l'on fasse preuve de transparence et que l'on établisse le plus tôt possible avec celles-ci une relation de confiance, mais aussi que l'on développe une approche systémique, car l'enfant fait partie d'un système : familial, institutionnel – l'école – et associatif lorsqu'il pratique une activité sportive, par exemple. Nous avons, par ailleurs, réinscrit – conformément, il faut le rappeler, à la loi du 5 mars 2007 – la prévention spécialisée dans le cadre de la protection de l'enfance, en confiant à ces travailleurs médico-sociaux qui ont un savoir-faire, des horaires de travail, des modes d'intervention particuliers, une mission de sentinelle.

Au cours de ces cinq années, nous avons également rétabli la connexion entre la prévention et les autres politiques publiques familiales. Nous avons ainsi concentré nos actions de soutien à la parentalité, élaborées en lien avec le schéma de service aux familles piloté par la caisse d'allocations familiales (CAF), sur les territoires et les familles les plus vulnérables. Nous avons également connecté – et nous avons reçu un prix pour cela – notre politique en faveur de la jeunesse et des sports avec le sport de haut niveau, au bénéfice des enfants confiés. L'opération « Belles rencontres » permet ainsi à des sportifs de haut niveau, accompagnés par le département de la Moselle, de parrainer des maisons d'enfants à caractère social (MECS) : le Football Club de Metz est parrain du foyer de l'enfance, et Bob Tahri, ancien coureur olympique de demi-fond, parrain d'une MECS, a emmené des enfants au Kenya…

Le deuxième enjeu, c'est l'évaluation. Si l'on veut mieux protéger, il faut mieux évaluer. La loi du 14 mars 2016 – et c'est sans doute un des rôles bénéfiques du pilotage que peut assumer l'État – nous a permis de réfléchir à l'objectivation des besoins fondamentaux de l'enfant à partir de grilles d'observation et d'évaluation. Nous avons également conçu notre cellule départementale des informations préoccupantes (CDIP), non pas comme une poste restante vers l'autorité judiciaire, mais comme une instance de collecte de l'ensemble des informations qui fait de l'information préoccupante une opportunité de travail avec les familles. Ainsi, actuellement, en Moselle, on constate une hausse des informations préoccupantes – ce qui signifie une amélioration du repérage –, mais une baisse du nombre de signalements, car ces informations servent, non pas à placer, mais à accompagner les familles et à soutenir la parentalité.

Troisièmement enjeu : placer les familles au coeur de nos modalités d'intervention. Il s'agit de passer d'un travail sur les familles à un travail avec et pour les familles, en les associant pleinement à notre dispositif. Nous avons donc créé un groupe de parents, « Paroles de familles », qui nous aide à faire évoluer ce dispositif, ainsi, du reste, qu'un groupe de jeunes, « Paroles de jeunes », qui va contribuer à notre réflexion sur les sorties ASE à la majorité et les violences institutionnelles – nous pourrons y revenir. Pour citer un exemple concret, vous savez que, lorsqu'il reçoit une information préoccupante, le département doit, via la CDIP ou la cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP), informer les parents par courrier qu'ils seront contactés par un travailleur médico-social dans les jours suivants. En 2015, lorsque nous avons créé « Paroles de familles », nous avions retravaillé notre courrier, et nous en étions assez fiers. Mais lorsque nous l'avons soumis au groupe de parents, ceux-ci nous ont fait comprendre qu'il ne convenait pas du tout : il était, à certains égards, trop violent, à d'autres égards, trop flou. Nous leur avons donc demandé de nous aider à le réécrire, pour qu'il permette que la porte s'ouvre et que nous puissions nous mettre au travail avec les familles concernées.

Quatrième enjeu : la diversification des modes d'accompagnement et de prise en charge. Il existe en effet une multitude de manières de protéger les enfants. Nous avons donc lancé un vaste mouvement de diversification. Nous avons tout d'abord fait le pari du placement à domicile, en créant un outil dont nous fêtons les dix ans cette année : le service éducatif renforcé d'accompagnement à domicile (SERAD) – 245 mesures ont été prises dans ce cadre. Il permet d'éviter un placement ou d'accompagner le retour d'un enfant à domicile à la sortie d'une institution. Ainsi 78 % des enfants qui sont passés par un SERAD sont toujours auprès de leur famille un an après leur sortie ; c'est un des gages de sécurisation du système. Mais nous souhaitons aller plus loin dans l'évaluation, puisque nous avons fait le choix de mener, avec une chercheuse rattachée à l'université de Nanterre et au cabinet Eneis, Julie Chapeau, une étude, la première en France, sur la pérennisation du retour à domicile, afin de vérifier que le retour de tous ces enfants dans leur famille est effectivement durable et sûr.

Nous avons également créé d'autres outils, notamment le dispositif « Mousqueton ». Il y a cinq ans, nous nous sommes aperçus, comme beaucoup de départements français, que 15 % à 20 % de nos adolescents confiés étaient en fugue quasi permanente. Le constat, à l'époque, était le suivant : ces adolescents émargent auprès d'un établissement, les fugues sont déclarées : légalement parlant, nous sommes dans les clous. Mais, concrètement, sont-ils protégés ? Certainement pas. Nous avons donc fait le choix de constituer un groupe de travail regroupant – conformément à la méthodologie que nous avons adoptée depuis notre schéma départemental – le milieu associatif, les acteurs du département, chargés du pilotage, et l'autorité judiciaire, afin d'élaborer un cahier des charges. « Mousqueton » a ainsi été déployé il y a trois et demi. Il est composé d'équipes mobiles rattachées à des établissements qui ont pour mission d'aller chercher les jeunes là où ils sont, dans leurs lieux d'errance. Au départ, nous croyions qu'ils se trouvaient dans des squats ou des endroits extrêmement dangereux. Or, il se trouve que près de 80 % des jeunes relevant du dispositif « Mousqueton » fuguent pour retrouver leur famille, leurs grands-parents, leur petit copain ou petite copine. Que nous disent-ils ? « La manière dont vous voulez me protéger ne me convient plus ». Dès lors qu'on n'attache pas les jeunes au radiateur, il nous fallait faire un pas de côté pour trouver une autre manière de les protéger et de les contenir, c'est-à-dire de leur apporter la sécurité nécessaire à leur développement.

Qu'en est-il du pilotage du dispositif ? Depuis 2007, le département a pour rôle clairement identifié, renforcé en 2016, d'être le chef de file de la protection de l'enfance dans son territoire. Il nous appartient donc, avons-nous estimé, de garantir la fluidité des parcours, l'efficience des dispositifs et, bien sûr, l'application de toutes les mesures que nous sommes chargés de prendre. Se pose aussi forcément la question des rôles respectifs de l'autorité administrative et de l'autorité judiciaire. Cette dernière prend les décisions relatives aux situations individuelles ; elle n'a pas à piloter les dispositifs de protection de l'enfance ou à intervenir dans l'opérationnalité des réponses. Nous sommes, en effet, le garant, et nous devons le rester, de la bonne marche de l'ensemble du dispositif. Concrètement, lorsqu'un enfant nous est confié, c'est à nous de décider de la structure dans laquelle il ira. Nous avons ainsi recentré notre centre départemental de l'enfance, notre foyer de l'enfance, sur sa mission originelle d'accueil d'urgence, d'évaluation et d'orientation. Résultat : nous avons réduit la durée moyenne de prise en charge de dix-huit mois en 2012 à six à huit mois aujourd'hui. Les enfants sont, en effet, orientés vers les autres établissements grâce à un partenariat entre des cadres de l'aide sociale à l'enfance et les chefs d'établissement. Ce travail de pilotage doit perdurer. Aujourd'hui, en Moselle, tous les enfants confiés sont placés, toutes les mesures d'Action éducative en milieu ouvert (AEMO) sont exécutées. Lorsque le pilotage et la gouvernance sont assumés, les engagements minimaux liés à la protection de l'enfance sont tenus, malgré parfois des difficultés réelles liées à une suractivité.

J'en viens à la fameuse préparation à la sortie. Je regrette les raccourcis qui sont faits à ce sujet : le fait que 40 % à 60 % des jeunes de 18 à 25 ans en situation d'errance ou sans domicile fixe soient issus de la protection de l'enfance – nous le savons depuis longtemps – ne signifie pas que 40 % à 60 % des jeunes sortis de l'aide sociale à l'enfance deviennent sans domicile fixe. En tout état de cause, il faut – et nous avons sans doute des marges de progression, en la matière – que nous disposions, à l'avenir, d'indicateurs qui nous permettent de savoir ce que deviennent les jeunes qui sortent de l'ASE – combien d'entre eux ont un emploi, combien sont diplômés... –, sachant que nous serons confrontés au droit à l'oubli, car la majorité des jeunes qui sortent de l'aide sociale à l'enfance ne souhaitent pas, et on peut les comprendre, garder cette étiquette. L'enjeu de l'accompagnement vers l'autonomie, c'est la connexion avec le droit commun. Les jeunes sortants de l'ASE seront-ils réellement, comme le prévoit l'article 16 de la loi du 14 mars 2016, favorisés pour rentrer dans le droit commun ? Le terme « favoriser » veut bien dire ce qu'il veut dire : ils doivent être en haut de la liste.

Prenons l'exemple d'un jeune qui relève du champ du handicap, qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance à 16 ans et qui est orienté par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) vers un Institut médico-professionnel. Aujourd'hui, pas un IMPro n'accepte un jeune de 16 ans relevant de l'ASE. Qui le prend en charge ? N'en déplaise aux partisans de l'« ASE bashing », ce sont bien les services de l'aide sociale à l'enfance et ses partenaires. Pourtant, ce jeune est handicapé. Mais si l'on arrête de s'en occuper à ses 18 ans, il sera dans la rue. C'est pourquoi, actuellement, en Moselle, vingt jeunes majeurs sont maintenus en maison d'enfants à caractère social, alors que la plupart d'entre eux sont très vulnérables et ont des problématiques extrêmement lourdes relevant soit du champ du handicap, soit du soin. Mais, encore une fois, si nous arrêtons de nous en occuper, ils seront à la rue. Or, personne ne vient nous soutenir et prendre le relais. Certes, le plan pauvreté comporte des mesures pour ces sorties dites sèches de l'aide sociale en France, à hauteur, en Moselle, de 65 000 euros. Mais quel est le coût d'un jeune maintenu en MECS ? 56 000 euros. Je n'ai pas besoin d'en dire plus sur l'adéquation entre l'offre et le besoin…

La qualité de la prise en charge est également un enjeu, qui a été souligné dans le reportage évoqué. Il y va de notre mission de contrôle des lieux d'accueil et de prise en charge. On semble dire que les départements n'exerceraient pas cette mission correctement. Sans doute pouvons-nous faire des progrès en la matière, mais ce n'est pas, j'en suis convaincu, en transférant cette mission de Pierre à Paul qu'on améliorera la situation. Pourquoi ? D'abord, parce que l'attractivité du métier de la prise en charge est en crise. Les internats ne parviennent plus à recruter des éducateurs spécialisés, car c'est un métier qui impose des contraintes extrêmement lourdes. Si, en plus, comme l'a dit Jean-Michel Rapinat, ils sont pointés du doigt et considérés comme des maltraitants, il sera difficile de donner envie à des jeunes de choisir ce métier. Les personnes qui travaillent dans ce domaine sont très engagées et croient en leur mission depuis toujours. Mais ils sont confrontés à une jeunesse, à une enfance, qui ne sont plus les mêmes qu'il y a trente ans. Il faut donc repenser collectivement le métier de la prise en charge. Dans le reportage, on voit un veilleur ou un éducateur qui dérape. On ne peut pas le tolérer ou le cautionner, mais peut-être avait-il été asticoté pendant les sept heures précédentes…

Quoi qu'il en soit, nous avons fait le choix de prendre à bras-le-corps la question des violences institutionnelles – qui, de fait, existent –, en créant un groupe de travail. Ces violences sont de trois types : les plus nombreuses sont, de loin, les violences entre pairs, c'est-à-dire entre enfants ; viennent ensuite les violences des enfants envers les adultes, de sorte que ceux-ci ont, de plus en plus souvent, peur d'aller travailler parce qu'ils se font insulter, agresser, comme cela arrive également dans l'éducation nationale – or, s'ils se sentent eux-mêmes en insécurité, ils ne peuvent pas remplir leur mission qui est de protéger ces enfants ; viennent enfin, et il ne faut pas les édulcorer, les violences qui sont le fait d'adultes qui dérapent – et non, dans la grande majorité des cas, d'adultes maltraitants – parce qu'ils ne parviennent plus à apporter la bonne réponse protectrice. La solution miracle n'existe pas. Nous avons donc décidé de réfléchir à cette question collectivement, avec le milieu associatif et les jeunes, notamment dans le cadre de « Paroles de jeunes », pour tenter de repenser la prise en charge.

L'innovation est un de nos credo essentiels : pour que la protection de l'enfance continue à évoluer, il faut sans cesse repenser son action. C'est pourquoi nous avons réalisé, avec l'université de Lorraine et l'Institut régional du travail social (IRTS) de Metz, une étude portant sur une cohorte de 50 jeunes majeurs que nous avons suivis pendant trois ans. Les résultats de cette étude, qui ont fait l'objet d'un article dans les Actualités sociales hebdomadaires (ASH) la semaine dernière, seront présentés aux Assises nationales de la protection de l'enfance, qui se tiendront à Marseille. Cette étude nous a permis d'identifier ce qui permet à un jeune de s'inscrire dans un parcours vers l'autonomie. À cet égard, le lien avec un éducateur, une famille d'accueil, parfois une maîtresse de maison, ou un professeur, en tout cas une personne qui représente quelque chose, joue un rôle essentiel. Encore faut-il définir le concept d'autonomie – si l'on nous posait la question, nos réponses seraient très différentes. Mais, pour autant que l'on y associe le travail, l'autonomie financière ou l'autonomie de vie, cette étude a permis d'identifier quelques indicateurs.

Notre nouveau schéma, pour la période 2019-2023, a pour ambition d'aller encore plus loin dans ces différents domaines. En matière de prévention, nous voulons agir plus tôt et associer à notre action davantage de partenaires, notamment les centres sociaux et les clubs sportifs. Par ailleurs, la Moselle est l'un des premiers départements à avoir mis en place le projet pour l'enfant (PPE), prévu par la loi de 2007, si bien qu'actuellement, 70 % de nos enfants confiés bénéficient d'un tel projet, ce qui représente 2 000 à 2 500 projets. Pour nous, bien plus qu'un outil, le PPE est une méthode de travail, car il permet de définir qui fait quoi auprès d'un enfant. Une telle méthode est d'autant plus importante que des études ont montré qu'il y avait parfois jusqu'à treize travailleurs médico-sociaux auprès d'une famille. S'ils ne travaillent pas dans le même sens, il y a peu de chance que cela fonctionne.

J'ajoute, à propos du handicap et du soin, qu'il conviendrait de systématiser, pour les jeunes que j'ai évoqués tout à l'heure, le versement de l'allocation adulte handicapé dès 18 ans, qui n'est actuellement possible que par dérogation. C'est en effet un moyen de favoriser leur autonomie. Par ailleurs, nous rencontrons, en matière de suivi des soins, des problèmes considérables – cela a été suffisamment évoqué dans les médias. Prenons l'exemple de jeunes qui, par exemple, mangent les oreillers ou se mettent la tête dans la cuvette des toilettes – ce sont des situations réelles. D'un côté, les éducateurs ou les établissements estiment qu'ils ne peuvent pas s'occuper d'eux parce qu'ils ne sont pas formés pour cela ; de l'autre, les unités pédopsychiatriques, lorsqu'elles existent encore, concluent qu'ils ne présentent pas de troubles profonds et relèvent de mesures éducatives. Il faudra bien que cesse ce jeu de ping-pong. Si l'on pense, et c'est notre cas, qu'il ne faut pas psychiatriser trop tôt les enfants ou les adolescents, il faut aider les équipes éducatives à prendre en charge ce type de troubles. Nous sommes ainsi parvenus à créer, avec l'agence régionale de santé (ARS) et les unités pédopsychiatriques, une maison éducative et thérapeutique, cofinancée à 80 % par le département et à 20 % par l'ARS, pour prendre en charge sept adolescents présentant ce type de troubles.

Quant aux mineurs non accompagnés, leur nombre a augmenté de 400 % au niveau national. Depuis maintenant plus de sept ans, nous tentons, chaque année, de trouver le moyen de répondre à cette augmentation qu'on ne maîtrise pas : à peine a-t-on créé des places qu'il en faut de nouvelles. Il s'agit d'un nouveau métier, durable, on le sait. Nous avons donc créé un groupe de travail afin d'identifier les besoins de ces mineurs qui nous viennent d'ailleurs, besoins qui n'ont rien à voir avec ceux des mineurs qui nous sont confiés pour des raisons de carence ou de maltraitance. Ainsi, nous devons réussir le pari de l'autonomie dans un délai très court, qui est de deux ans en Moselle puisque leur moyenne d'âge est de 16 ans. Dans ce laps de temps, il nous faut les aider à acquérir la maîtrise de la langue française, à accéder à l'emploi… Mais ils sont assez remarquables car, en Moselle, 98 % des mineurs non accompagnés sont, à 18 ans, titulaires d'un contrat d'apprentissage. Leur volonté de s'insérer professionnellement est donc manifeste.

Je laisse maintenant à Mme Kuntz le soin d'évoquer les enjeux financiers.

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Marie-Louise Kuntz, vice-présidente du conseil départemental de la Moselle

Sur le plan financier, nous avons entrepris une démarche auprès de la région Grand-Est pour offrir une formation supplémentaire à ceux de ces mineurs qui bénéficient de la « garantie jeunes », car leur principal problème est moins lié à l'apprentissage ou au métier qu'à la langue française, qu'ils maîtrisent parfois insuffisamment pour passer leur diplôme. En tout cas, ce type de travail collectif est important. « Il faut tout un village pour éduquer un enfant », dit un proverbe que j'aime beaucoup. De fait, c'est tous ensemble, collectivités et État, que nous progresserons, qu'il s'agisse des mineurs ou même des majeurs. Car ces derniers ne sont pas laissés dehors : en Moselle, ils peuvent bénéficier notamment de contrats « jeunes majeurs ». Mais toutes ces mesures ont un coût. La loi de 2007 prévoyait une enveloppe de la CAF, qui n'a jamais été versée. Nous faisons donc ce qu'il faut, avec les mêmes moyens, mais nous commençons à saturer, compte tenu de l'augmentation du nombre de MNA, que nous nous efforçons de protéger également. Certes, il arrive que nous n'ayons que des matelas par terre à leur proposer, mais, au moins, ils sont mis à l'abri et protégés : ils ne sont pas à la rue. Beaucoup de départements font de même, mais d'autres ne le peuvent plus – je pense notamment à la Seine-Saint-Denis. Au plan budgétaire, la loi sur les 35 heures ne nous a pas facilité les choses, mais nous assumons comme nous pouvons. Cependant, il me semble – mais d'autres ont peut-être déjà formulé cette requête – que l'on pourrait exclure les dépenses consacrées à la protection de l'enfance de celles qui sont prises en compte dans le calcul de l'augmentation des dépenses de fonctionnement, limitée à 1,2 %. Ce pourrait être une solution. En tout cas, cela permettrait aux départements – qui ne sont pas parfaits, mais qui font leur travail – de faire davantage en faveur de l'enfance. Nous avons beaucoup d'idées, mais nos budgets sont très serrés.

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Merci à tous pour vos témoignages. Cela fait un an et demi que je travaille sur ce sujet – je ne m'y suis pas intéressée seulement après l'émission de « Pièces à conviction » –, et j'aimerais que tous les départements mènent la même politique que la Moselle. Or, force est de constater que tel n'est pas ; sinon, nous ne serions pas là aujourd'hui. Mais peut-être votre témoignage montrera-t-il à certains d'entre eux que c'est possible. En tout cas, nous souhaitons les aider à soutenir ce qui marche, car les chiffres de la politique de l'enfance montrent que nous proposons bien moins à ces enfants qu'aux enfants « normaux ».

J'en viens à mes questions. Après une année et demie de travail et les quelques auditions que nous avons réalisées, je constate que les professionnels se sentent souvent seuls, sans appui psychologique, lorsqu'ils sont en difficulté face à un enfant – qui les frappe, par exemple. Certains d'entre eux m'ont dit regretter de ne pas bénéficier, en tant que professionnel, d'un suivi psychologique ou de ne pas pouvoir participer à un groupe de parole. Cette question a-t-elle fait l'objet d'une réflexion de votre part ? Quant aux assistants familiaux, ils disent ne pas se sentir reconnus comme des professionnels de l'aide sociale à l'enfance dans les départements. Il serait intéressant de vous entendre également sur ce point.

Par ailleurs, on nous a fait part d'évaluations différentes par les CRIP. Or, on sait que le Centre national de protection de l'enfance (CNPE) promeut un formulaire commun d'évaluation des situations préoccupantes. Seriez d'accord pour qu'il soit généralisé ?

Des juges nous ont indiqué que, dans certains territoires, il leur était difficile de faire appliquer leurs jugements. Des avocats nous ont même dit que le placement était parfois décidé parce que les délais ne permettaient pas une prise en charge correcte en milieu ouvert. Il faut que nous étudiions la manière dont nous pouvons améliorer cette situation.

D'aucuns estiment qu'une agence nationale regroupant tous les services de l'État concernés devrait être créée pour appuyer les départements et assurer une protection de l'enfance égale dans l'ensemble des territoires. Qu'en pensez-vous ?

Enfin, pouvez-vous nous fournir quelques éléments sur le taux de déploiement des CRIP dans les départements ? Combien d'entre eux ont mis en place le PPE et quel est le nombre des observatoires départementaux réellement actifs ? La Moselle apparaît comme le fer de lance de la politique de l'enfance, mais il ne faut pas se leurrer : certains départements ne sont pas du tout au même niveau que le vôtre, et il nous faut trouver les moyens de les hisser à ce niveau-là.

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Ludovic Maréchal, directeur de l'ASE du département de la Moselle

Tout d'abord, l'isolement des professionnels est une réalité. En ce qui concerne les maisons d'enfants à caractère social et les foyers de l'enfance, Didier Lesueur a très bien décrit, en 2016, dans un rapport de l'Observatoire national des actions sociales décentralisées (ODAS) – la manière dont la tension financière liée à l'application des 35 heures et à l'évolution des conventions collectives avait compliqué l'organisation du travail dans les institutions : difficultés à assumer des doublures sur des temps importants de prise en charge, notamment les soirées, et, du même coup, à organiser les temps de régulation nécessaires entre équipes. Nous avons, quant à nous, fait le choix – car c'est notre conception du partenaire prestataire – de signer avec l'ensemble du milieu associatif habilité un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM), qui sera renouvelé cette année et qui nous permet d'évoquer, à l'intérieur du périmètre quantitatif et financier, les questions qualitatives. Ainsi, nous sommes en train de réfléchir à la formation et à l'accompagnement des professionnels, et à la manière dont on peut soutenir le milieu associatif dans ce domaine.

En ce qui concerne les familles d'accueil, il est clair que le métier le plus dur de la protection de l'enfance est celui d'assistant familial, et de loin. Un éducateur d'internat quitte son service à vingt-deux heures, au coucher, rentre chez lui et bénéficie du temps de repos nécessaire – au moins onze heures – avant de reprendre son service le lendemain. L'assistante familiale, quant à elle, peut, une fois qu'elle a fermé la porte de la chambre des enfants, passer un petit moment avec son compagnon ou son mari mais, le lendemain matin, cela redémarre dès sept heures. Pour le département de la Moselle et le milieu associatif, il est difficile d'accompagner et de soutenir 290 assistants familiaux répartis sur autant de sites. C'est un véritable problème. Au mois de septembre, nous avons constitué des groupes d'analyse des pratiques de façon qu'au cours des trois ans, une assistante familiale puisse participer pendant au moins une année à un de ces groupes avec une ou un psychologue du service.

Quant au sentiment d'appartenance à l'équipe des assistants familiaux, c'est une question essentielle. Il arrive qu'une assistante familiale me dise : « Mon problème, c'est l'ASE ». Je lui réponds que c'est plutôt son employeur, car l'ASE, c'est elle comme moi. Cet exemple illustre bien le malaise lié au sentiment de ne pas être suffisamment reconnu. Il faut donc qu'on parvienne à organiser des temps collectifs institutionnels auxquels ils – parce que les hommes sont de plus en plus nombreux – participent. Cependant, nous avons réussi, depuis 2018, à embaucher de manière un peu plus importante – 30 postes – en développant, sous l'impulsion du président, un mode de communication extrêmement offensif sur l'attractivité de ce métier. Néanmoins, l'accompagnement des équipes est un enjeu réel.

Ensuite, vous avez abordé la question de l'évaluation par les CRIP. Oui, nous sommes favorables à l'élaboration d'un référentiel. Comme je l'ai dit, nous nous appuyons déjà sur le rapport Martin-Blachais de 2017, fruit de la démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l'enfant.

La difficulté à faire appliquer les jugements est effectivement une réalité. En arrive-t-on parfois au placement parce que d'autres mesures n'ont pas été mises en place ? C'est possible. Je pense que ce n'est pas tellement le cas chez nous, parce que nous avons beaucoup diversifié les solutions. En effet, je le répète, si on veut éviter d'emboliser le placement institutionnel, il ne faut pas placer des enfants qui n'ont pas à l'être. Pour cela, il faut proposer des solutions alternatives au placement. J'ai évoqué le SERAD, ou encore le dispositif « Mousqueton ». Nous allons également expérimenter un dispositif que nous avons dénommé « Caméléon », qui consiste en un placement pendant la journée. Quand on arrive à diversifier ainsi, à proposer des solutions alternatives au placement – quand c'est possible –, on permet de réserver celui-ci aux enfants qui en ont le plus besoin.

J'en profite pour rappeler que, dans les médias, on fait comme si la protection de l'enfance intervenait en majorité pour cause de maltraitance. Tel n'est pas le cas : les études montrent que, dans la grande majorité des cas, il s'agit de pallier des carences éducatives. La manière dont nous abordons la carence consiste à considérer qu'un travail est possible avec la famille. Pour les situations de maltraitance, il n'y a pas à déroger : il faut un placement long et durable, de même qu'un changement de statut. Protéger ces enfants est même plus simple ; pour ce qui est des carences, en revanche, il faut voir comment on réussit à travailler avec les familles, parfois alterner placement et temps en famille. Nous pensons – en tout cas c'est dans cet esprit que nous avons mis en place notre action – que cela nous permet d'exercer la totalité des missions qui nous sont confiées.

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Jean-Michel Rapinat, directeur délégué des politiques sociales

Madame la rapporteure, nous vous remercions pour les questions que vous nous avez adressées, car l'échange de bonnes pratiques est également notre première priorité ; c'est ce que nous promouvons à l'Assemblée des départements de France. De là à espérer qu'il y aura les mêmes pratiques dans tous les départements… Ce ne sera certainement pas le cas. Quoi qu'il en soit, comme l'a fort bien dit Ludovic Maréchal, il faut tenir compte de la réalité de la situation de ces jeunes et de leur famille – et tout en sachant que les choses ont beaucoup changé –, mais l'émulation est également importante, résultat d'un échange des pratiques entre les départements : c'est ce que nous faisons au sein de la commission des affaires sociales de l'Assemblée des départements de France et des groupes de travail que nous pilotons.

Ainsi, la démarche qui a été évoquée par Ludovic Maréchal à propos de l'opération « Mousqueton », dans le département de la Moselle, trouve des formes un peu différentes dans d'autres territoires. C'est en effet une action tout à fait intéressante, qui peut être reprise par les départements qui le souhaitent. Nous favorisons cet échange de bonnes pratiques. Il existe d'ailleurs un lieu dans lequel cet échange de pratiques doit probablement être renforcé : l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE). Cela répond peut-être à votre question, madame la rapporteure, au sujet de l'idée, qui circule actuellement, d'une instance nationale de pilotage, respectant les compétences des uns et des autres, mettant côte à côte les départements – en réaffirmant leurs compétences découlant de la loi de 2016 –, l'État et les associations. Ce lieu existe déjà : c'est le groupement d'intérêt public Enfance en danger. Comme vous le savez, l'organisme est cofinancé par l'État et par les départements. Ses instances sont ouvertes à la diversité car les associations y sont représentées. Qui plus est, la gouvernance de la structure est bien organisée. Or, l'an dernier, il a fallu que les dirigeants se battent pour obtenir simplement le maintien du financement. Au regard de l'engagement respectif des uns et des autres et de la plus-value qu'apporte le GIP, son budget est relativement mince. L'épisode a beaucoup ému nos présidents de département.

Quoi qu'il en soit, le cadre existe donc. Peut-être faudrait-il réaffirmer son rôle, voire l'élargir – à cet égard, je me tourne vers les parlementaires que vous êtes. Un rapprochement était d'ailleurs prévu avec le groupement d'intérêt public de l'Agence française de l'adoption. Or cela n'a pas abouti, malgré quatre ou cinq années de travail dans ce sens. Beaucoup d'élus m'ont dit qu'ils considéraient que c'était du gâchis de ne pas avoir réussi à opérer le rapprochement des deux organismes. Qui plus est, cela aurait pu donner lieu également, comme le souhaitent à la fois l'ADF et le secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, à un travail sur l'adoption simple et sur de nouvelles formes d'adoption, mais aussi sur l'accompagnement des familles adoptantes, ou encore sur les pupilles de l'État – autant de questions que nous suivons depuis plusieurs années.

Le cadre existe donc, même s'il faudrait probablement le renforcer. L'intention existe elle aussi. L'échange de pratiques doit être renforcé, et l'Assemblée des départements de France souhaite le mener à bien. J'ajoute – Ludovic Maréchal y a fait allusion – que l'ADF a signé une convention avec l'ODAS, qui a produit des travaux remarquables sur la protection de l'enfance et est l'un des co-organisateurs des Assises nationales de la protection de l'enfance, qui vont se réunir dans quelques semaines et rassembleront environ 2 000 professionnels. Ce sera sans doute, là aussi, l'occasion de partir de l'expérience des professionnels, de les soutenir et d'organiser les conditions d'un débat nous permettant de progresser. C'est en tout cas ce que souhaite l'Assemblée des départements de France.

En ce qui concerne les PPE, une majorité d'enfants en bénéficient. Peut-être l'ONPE pourrait-il vous donner des chiffres plus précis. Pour notre part, nous ne les recensons pas. En tout état de cause, il existe une véritable volonté de construire ces projets en évitant les ruptures – cela a été dit tout à l'heure par Ludovic Maréchal s'agissant des enfants en situation de handicap. Tentons d'améliorer les dispositifs pour éviter ce que l'on constate collectivement, c'est-à-dire des ruptures dans la prise en charge, des ruptures par rapport à notre système de protection sociale. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si nous avons à l'heure actuelle un grand débat sur les jeunes âgés de plus de 18 ans. On nous parle de prolonger leur prise en charge jusqu'à 21 ans. Pourquoi pas mais, selon le droit commun, c'est à partir de 25 ans qu'ils entrent dans les dispositifs généraux. Que fait donc notre société pour ces jeunes ? Le problème se pose de manière encore plus vive pour ceux qui rencontrent le plus de difficultés mais, en tout état de cause, la question est de savoir quel système de protection sociale on souhaite mettre en oeuvre collectivement pour ces jeunes dont on entend favoriser l'autonomie.

Oui à un pilotage national, donc : il existe déjà, mais il faut probablement le renforcer. Oui à un État plus présent aux côtés des départements, notamment en ce qui concerne les MNA – pardon d'y revenir un instant, mais les départements l'ont beaucoup demandé. Tout à l'heure, je souriais quand on parlait du département de Seine-Saint-Denis. Comme vous le savez, le président du conseil départemental a organisé des états généraux de la protection de l'enfance. Le département nous déclare avoir évalué 3 102 jeunes demandant le statut de MNA et en avoir accueilli, au titre de l'aide sociale à l'enfance, 1 140 à la fin de l'année 2018 – sur les 40 000 jeunes qui ont été reconnus comme MNA par l'ensemble des départements. Il a fallu trouver une place à ces 40 000 jeunes, créer les conditions d'une insertion favorable, alors qu'on ne les connaît pas, qu'ils arrivent du jour au lendemain. Il est vrai que ce sont des jeunes qui s'insèrent bien – Ludovic Maréchal l'a très bien dit. Cela étant, il importe de souligner le caractère d'imprévisibilité que revêt cette politique, qui nous met parfois, collectivement, dans une situation difficile.

L'Observatoire national de la protection de l'enfance lui-même – il vous le dira probablement mieux que nous – peine à avoir des chiffres très précis sur le nombre de jeunes majeurs qui sortent des services chaque année – quels sont ceux qui réussissent à trouver une voie d'insertion professionnelle rapide, ceux qui sont inscrits dans une formation : autrement dit, il est difficile de mesurer les résultats positifs de notre action. Or c'est un objectif majeur pour les départements de faire en sorte que l'investissement en faveur de ces jeunes, quoique perfectible, se traduise rapidement par une orientation réussie, débouchant sur leur autonomie. Nous attendons beaucoup des travaux qui sont menés conjointement avec les services de l'État et les associations pour perfectionner encore notre dispositif. Toutefois, nous pensons qu'il doit s'agir d'une politique transversale, dans laquelle, comme M. Maréchal l'a rappelé, le département serait chef de file et articulerait les efforts des uns et des autres. Ce serait préférable à un système plus descendant.

Personne n'est opposé à l'évaluation ; encore faut-il qu'elle soit collective et que chacun apporte des moyens nouveaux permettant d'améliorer la prise en charge. J'en prendrai un exemple très concret. Nous avons évidemment salué l'effort qui a été consenti dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté, à savoir 12 millions d'euros consacrés, en 2019, à l'accompagnement de jeunes majeurs. Toutefois, 12 millions d'euros, cela représente 2 000 euros par an pour 6 000 jeunes, alors que, de notre côté, nous constatons qu'il faut plutôt 2 000 euros par mois pour l'accompagnement de chacun d'entre eux. Là encore, il importe donc d'examiner le rapport existant entre certaines annonces, même si elles vont dans le bon sens, et la réalité concrète des besoins de nos équipes et des départements, lesquels, vous le savez aussi bien que moi, voient leurs dépenses sociales progresser chaque année de manière mécanique.

Qui plus est, par un étrange paradoxe, tout en leur demandant de faire davantage, on leur impose de ne pas dépasser une augmentation de 1,2 % de leurs dépenses de fonctionnement. Il faudra absolument sortir de ce paradoxe, comme l'a rappelé le président Bussereau : on ne peut pas vouloir faire davantage et mieux, et en même temps être pénalisé parce qu'on le fait. Il en va de même, d'ailleurs, pour les équipes de la protection de l'enfance : on ne peut pas vouloir mieux accompagner les jeunes tout en instaurant un climat dans lequel nos équipes se sentent maltraitées – disons, en tout cas, que l'opprobre a jeté sur elles d'une manière insuffisamment nuancée.

Cela dit, nous sommes tout à fait prêts à évaluer ensemble la qualité de cette politique publique et à l'améliorer ; mais, je le répète, cela doit se faire collectivement, dans un échange entre le niveau national et le niveau local. En disant cela, je donne aussi mon avis sur cette idée d'un grand dispositif qui, une fois pour toutes, améliorerait l'ensemble de la conduite de la politique : ce n'est certainement pas vers cela qu'il faut aller. Il faut plutôt chercher une articulation permettant un travail équilibré, comme on a su le mener pendant plus de trente ans, entre un monde associatif très présent, des collectivités plus déterminées que jamais à conduire cette action, et l'État, qui veut être plus présent s'agissant de ces compétences, ce que nous appelons de nos voeux ; nous ne demandons même que cela. Nous avions demandé également un investissement plus fort de l'État concernant les MNA, par exemple pour le contrôle documentaire et la stabilisation de la situation administrative du jeune, car on ne peut aider celui-ci à s'insérer que s'il a des papiers en règle. Là aussi, nous accueillons plutôt positivement les annonces qui ont été faites récemment au sujet de l'investissement plus important de l'État dans ce domaine : nous l'appelons même de nos voeux.

Je n'ai pas répondu à votre question concernant les CRIP. Leur action est bien spécifique. L'évolution, depuis 2007, s'est heurtée parfois – c'est une remarque qui nous a été faite et qui est parfaitement justifiée – à la difficulté de faire remonter des données du niveau local vers le niveau national. Cela suppose évidemment des procédures précises, mais aussi des référentiels. Il faut également rassurer les professionnels, car on ne livre pas si facilement des informations confidentielles sur le suivi d'un jeune : encore faut-il savoir comment elles vont être traitées.

S'agissant des projets pour l'enfant, un travail considérable est mené. Le taux est en train d'évoluer. Ce n'est pas parfait, on n'est pas à 100 %, mais je pense qu'une émulation très importante aura lieu à la faveur de la concertation avec l'État sur le sujet, dès lors que les départements auront vraiment la conviction qu'il s'agit d'un travail coordonné avec l'État et les associations, et que la démarche les respecte dans leurs compétences. En tout cas, c'est ce que préconise en permanence l'ADF. Je l'ai dit tout à l'heure : nous constatons une implication très forte, ne serait-ce que dans les groupes de travail qui ont été créés récemment et qui doivent commencer à travailler lundi prochain. S'agissant de la protection de l'enfance, il faut sans cesse remettre notre ouvrage sur le métier, car c'est un très bel ouvrage.

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Ludovic Maréchal, directeur de l'ASE du département de la Moselle

En ce qui concerne les PPE, la simplification est un enjeu important. En effet, il faut prendre garde à l'« hypernorme » : les lois successives n'ont pas arrêté de créer des outils visant à associer l'usager. Depuis les lois de 2002, ont ainsi vu le jour le document individuel de prise en charge, le livret d'accueil, le projet personnalisé, individualisé ou d'accompagnement, le projet pour l'enfant et la réponse accompagnée pour tous. Comment voulez-vous qu'une famille à qui on fait signer ces cinq documents s'y retrouve ?

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Marie-Louise Kuntz, vice-présidente du conseil départemental de la Moselle

Sans parler du fait qu'elle doit raconter cinq fois son histoire !

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Ludovic Maréchal, directeur de l'ASE du département de la Moselle

Il faut donc simplifier.

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Je rebondis sur vos propos, car j'allais justement vous interroger sur la simplification : selon vous, que peut-on alléger dans votre structure départementale ? Il y a forcément des choses à faire.

J'ai été très intéressée par le dispositif « Mousqueton » : c'est clair et mobile. Toutefois, j'ai plusieurs questions à vous poser. D'abord, comment cette équipe mobile va-t-elle chercher les jeunes fugueurs ? Ensuite, quelle porte faut-il pousser en premier ? Je veux parler des aidants, de l'adulte qui se retrouve confronté à un fugueur, soit parce qu'il a atterri chez lui, soit parce que cet adulte a réussi à le capter par internet, notamment grâce à Facebook, soit encore parce qu'un jeune dont l'adulte s'occupe a réussi à en rattraper un autre – force est en effet de constater que nous, adultes, sommes relativement démunis : ce sont plutôt les jeunes qui en rattrapent d'autres. À qui peuvent s'adresser ces gens qui ne connaissent rien à la protection de l'enfance ? S'ils vont à la police, celle-ci les renvoie vers la psychiatrie, laquelle les renvoie à son tour vers la maison des adolescents, où on leur dit : « Il faut que l'adolescent vienne de lui-même » – à ceci près qu'il ne veut pas. Bref, que peut-on faire ? Pourquoi n'y a-t-il pas des dispositifs plus accessibles quand le temps presse, quand il y a le feu ? Dernière question, liée à la précédente : comment éviter de perdre du temps ? Comment faire pour ne pas perdre des heures, des mois, voire des années qui sont extrêmement précieuses ? Il s'agit de l'enfance : il faut aller beaucoup plus vite et faire beaucoup plus simple.

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Ludovic Maréchal, directeur de l'ASE du département de la Moselle

Je vais commencer par vous répondre au sujet des personnes qui sont témoins des difficultés rencontrées par certains jeunes. C'est tout l'objet de notre nouveau schéma 2019-2023, qui fait le pari du préventif : il faut faire remonter les informations le plus en amont possible. Vous avez raison : un éducateur sportif, par exemple dans un club de football, qui accompagne des enfants tous les mercredis, voire deux fois par semaine, plus le week-end, est parfois témoin de choses qui le dérangent. La question est de savoir ce qu'il peut faire de ces informations. Je ne crois pas qu'il faille que ces gens-là deviennent des travailleurs sociaux. En revanche, ils doivent savoir vers qui se tourner. C'est le pari du préventif ; il faut aller au contact du milieu associatif et dire : « Donnez-nous cette information, nous allons en faire quelque chose, dans le respect de la famille. Ne vous inquiétez pas, notre ambition n'est pas de placer l'enfant et qu'il n'en ressorte qu'à 18 ans : elle est de tendre la main à cette famille, pour essayer d'abord de comprendre ce qui se passe, de mesurer les difficultés qu'elle rencontre et ensuite de lui proposer un accompagnement. ». C'est un travail de proximité, en amont, que nous essayons de tisser dans notre réalité territoriale, en Moselle. C'est aussi le sens du travail de collecte effectué par les CRIP : l'information préoccupante doit ensuite devenir, sur le terrain, une occasion de travailler avec les familles.

Vous nous avez demandé comment on pourrait simplifier. Nous avons établi un cahier des charges décrivant l'articulation entre l'ASE et le milieu associatif habilité, pour bien définir qui fait quoi. À cet égard, on note une évolution de la « ligne métier » de l'aide sociale à l'enfance : nous sommes désormais des coordinateurs du projet pour l'enfant. C'est ce que je dis aux référents ASE de Moselle : « Vous êtes des coordinateurs du projet pour l'enfant. Votre rôle est d'associer tous les acteurs qui sont autour de cet enfant, y compris la famille, et de faire en sorte que tout le monde travaille dans le sens de ce projet. Dans la temporalité du projet, il y a des moments où vous devez être présents, d'autres où c'est le partenaire qui prend en charge l'enfant qui doit agir, d'autres encore où c'est le juge qui décide. Parfois aussi, c'est l'ASE qui peut trancher. » Nous avons ainsi essayé de clarifier le rôle de chacun.

« Mousqueton » est une équipe mobile, rattachée à un établissement de protection de l'enfance, donc à une maison d'enfants à caractère social. Un éducateur « Mousqueton » a, en moyenne, quatre dossiers dans son escarcelle. Il prend contact avec le jeune, là où celui-ci se trouve. Quand on fait entrer un jeune dans le dispositif, on lui dit : « Demain, à telle heure, ce dispositif démarre pour toi, que tu le veuilles ou non. ». L'idée est de lui signifier que ce n'est pas lui qui choisit s'il a besoin d'être protégé ou pas. « Tu as la date et l'heure : si tu veux être présent, nous souhaitons évidemment travailler avec toi. »

Quand nous avons construit le dispositif, et dans la mesure où il s'adresse à des jeunes fugueurs, nous nous sommes demandés avec la brigade des mineurs s'il fallait lever la déclaration de fugue faite auprès du commissariat de police ou de la gendarmerie. Lever la déclaration, ce serait donner un blanc-seing ; donc nous ne le faisons pas. C'est une manière de dire au jeune : « Ce n'est pas parce qu'on t'a fait entrer dans “Mousqueton” que tu as le droit de traîner à vingt-deux heures place de la République à Metz : tu n'as rien à y faire à cette heure-là. Tu seras ramené auprès du dispositif, qui doit pouvoir t'accueillir au moins deux fois cinq nuits par mois. » Pourquoi avons-nous fixé cette règle de dix nuits par mois ? Nous avons estimé que, si un jeune était prêt à revenir plus de dix nuits, il pouvait sortir de « Mousqueton » et retourner dans un autre type de dispositif.

Dire à un enfant qu'on fait un pas de côté, qu'on accepte, d'une certaine façon, la situation dans laquelle il s'est mis, cela ne signifie pas qu'on ne lui impose plus la moindre exigence. En l'occurrence, nous exigeons de lui qu'il entre en contact au moins une fois par jour avec l'équipe mobile grâce aux nouveaux modes de communication, soit par téléphone – tous les éducateurs « Mousqueton » ont un portable –, soit via le compte Facebook de l'équipe. Cela fonctionne : quand on fait ce pas de côté, les jeunes reviennent et cela nous permet, après, de retisser le lien, de retravailler leur projet autrement. Même si une adolescente de 16 ans a un petit copain âgé de 30 ans et que cela choque – c'est un exemple concret du type de situation que nous avons rencontré dans le cadre de « Mousqueton » –, plutôt que de lui dire : « Ce n'est pas bien », on essaye d'appréhender cette réalité qui est la sienne et de voir comment on peut la réinscrire dans un parcours, au lieu de la rendre dépendante de cette relation amoureuse.

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Un grand merci, tout d'abord, pour vos messages pleins d'optimisme, en dépit des difficultés que vous rencontrez. J'ai été sensible à votre discours concernant les MNA car j'ai enseigné à des enfants non francophones. Je voulais savoir quel était votre contact avec les unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UPE2A) et, plus largement, avec l'éducation nationale.

Vous avez beaucoup parlé des parents, expliquant que vous ne vous considériez pas comme des « sachants », que vous les intégriez dans vos courriers, ce que je trouve très intéressant. Comment intégrez-vous les enfants ?

Enfin, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre communication, visiblement très positive, puisque vous arrivez à recruter des assistants familiaux ?

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Marie-Louise Kuntz, vice-présidente du conseil départemental de la Moselle

En ce qui concerne la communication pour le recrutement d'assistants familiaux, nous avons effectivement expliqué ce qu'est le métier, en insistant d'abord sur le fait qu'il s'agit bien d'un métier – bien entendu, s'il était encore plus reconnu, ce serait mieux –, que cette activité est rémunérée, que l'assistant familial n'est pas seul puisqu'il est adossé à une maison d'enfants à caractère social, donc à une équipe, et que les assistants familiaux ne sont donc pas lâchés dans la nature.

Nous sommes au côté des assistants familiaux et de leur famille, car il faut évidemment que celle-ci soit d'accord, faute de quoi cela ne peut pas fonctionner. Nous travaillons aussi – et surtout – sur la formation et sur la question de l'attachement à l'enfant. À cet égard, nous préférons mettre deux enfants dans une même famille plutôt qu'un seul : ainsi, l'attachement est moins fort. La famille d'accueil doit se préparer à l'idée que les enfants qui lui sont confiés ne vont pas rester éternellement : le but est qu'ils réintègrent leur famille.

Nous avons communiqué sur les ondes radio, sur Facebook et dans la presse écrite – j'en ai là un exemple que je pourrais vous montrer. L'essentiel est de bien expliquer en quoi consiste le métier. Ce n'est pas parce qu'on est une bonne mère de famille qu'on peut devenir assistant familial et accueillir un enfant : il faut savoir séparer les choses. Comme le disait Ludovic Maréchal, quand un enfant est placé dans une MECS, le soir, l'éducateur ferme la porte et d'autres personnes prennent le relais ; quand des enfants vous sont confiés, c'est vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, même si, bien entendu, il y a des pauses. Il faut aussi avoir conscience du fait qu'à sa majorité, l'enfant va peut-être partir. Certes, le contact pourra perdurer, mais l'assistant familial doit se dire que ces enfants ne sont pas ses propres enfants, qu'ils lui sont simplement confiés. Il importe donc de prodiguer une formation pour expliquer le métier.

Ayant souvent l'occasion de rencontrer les mineurs qui nous sont confiés, je puis vous dire qu'il y a beaucoup de très beaux témoignages : il est très rare que les familles laissent partir les enfants sans autre forme de procès une fois qu'ils ont atteint la majorité : il y a un suivi, les enfants continuent à venir les voir. J'occupe mes fonctions actuelles depuis 2015, soit presque quatre ans ; je n'ai pas encore vu d'exemple de « mauvaise » sortie, avec des familles qui auraient arrêté du jour au lendemain d'être en contact avec l'enfant. Pour parvenir à ce résultat, il faut, justement, préparer les familles à cette sortie, à l'autonomisation de l'enfant – ce qui est difficile même pour nous, quand nos propres enfants partent de la maison : certains ne veulent plus entendre parler de nous et, à 18 ans, n'ont qu'une envie, celle de partir, quand d'autres préfèrent rester. Eh bien, des Tanguy, il y en a aussi dans les familles d'accueil.

En ce qui concerne les MNA, nous travaillons autant que possible avec la région et l'éducation nationale. Cette dernière est également en rapport avec la région dans le cadre de la garantie jeunes. Nous mettons en oeuvre conjointement des formations d'alphabétisation, qui nous permettent d'avancer. On dit qu'il y a beaucoup de MNA. C'est vrai, mais ce sont des jeunes qui, pour certains, ont traversé des continents, et qui ne sont pas venus pour être dépendants et vivre des allocations : ils veulent apporter quelque chose, quitte ensuite à retourner dans leur pays pour partager leur expérience. Je vous le dis franchement : je ne connais pas de mauvais exemples.

Nous avons instauré une commission, que je préside une fois par mois, chargée d'examiner le cas des jeunes ayant atteint la majorité. Dans ce cadre, nous rencontrons beaucoup d'anciens MNA, mais aussi des majeurs purement mosellans. Nous réfléchissons avec eux à la suite de leur parcours. Nous avons vraiment peu de sorties sèches.

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Ludovic Maréchal, directeur de l'ASE du département de la Moselle

En ce qui concerne la manière d'intégrer les enfants, de la même façon que l'on croit dans les compétences des familles, il faut croire dans celles des enfants. Cela suppose d'apprendre à se mettre à leur hauteur, quel que soit leur âge.

Au début de ma carrière dans le domaine de la protection de l'enfance, qui commence à être longue, j'ai été très marqué par le geste d'une substitut chargée des affaires des mineurs. C'est la seule fois que j'ai vu faire cela, mais je trouve le geste si remarquable que, pour moi, il illustre la manière dont on doit associer les enfants. Cette femme est venue expliquer à une enfant de huit mois, à l'hôpital, la décision de placement en urgence qu'elle venait de prendre pour elle. Elle m'a demandé de la laisser seule avec l'enfant ; je l'ai observée à travers la porte vitrée. Elle s'est accroupie près de l'enfant et lui a expliqué ce qu'elle venait de décider dans son intérêt. Il n'y a pas meilleure illustration de la manière dont il est possible d'associer les enfants, d'une manière qui varie, bien sûr, en fonction de leur âge, de leurs compétences et de leurs capacités.

Il faut en effet s'appuyer sur les compétences des enfants. Quand un adolescent nous dit : « Moi, je veux rentrer à la maison », à un moment donné, il faut arrêter de lutter. Nous avons parfois des échanges à ce propos avec l'équipe : si on ne lui fait pas confiance, on prend le risque que cet adolescent de 13, 14 ou 15 ans construise sa lutte contre nous et nourrisse son développement, dans les années qui lui restent au sein de l'ASE, contre l'objet néfaste que deviennent pour lui l'aide sociale à l'enfance et le juge. Nous faisons le pari d'accepter un pas de côté, en disant à l'adolescent : « Nous ne sommes pas convaincus que papa et maman aient suffisamment changé, mais nous comprenons bien que ce qui a été décidé quand tu avais 4 ans ne te parle plus et que tu te sens prêt à rentrer à la maison. Nous allons prendre le risque de ce retour avec toi, et si ça ne marche pas – tout en sachant que nous allons tout faire pour que ça marche –, nous serons là. ».

On décrit un certain nombre de logiques de rupture, mais il faut aller un peu plus loin et les analyser, car il y a rupture et rupture. Par exemple, chez nous, la réorientation est interdite. Nous n'acceptons pas que les responsables d'une maison d'enfants à caractère social viennent nous dire : « Avec celui-là, nous ne savons plus comment faire ; il faut qu'il aille ailleurs. ». Notre réponse est la suivante : « Non : ailleurs, ils ont les mêmes compétences que vous, donc vous le gardez. ». C'est une manière de dire qu'il faut arrêter de considérer que les enfants sont inadaptés : ce sont les adultes qui le sont. C'est aux adultes, et d'abord à l'école, qu'il revient de s'adapter à ce que sont les enfants – les enfants d'aujourd'hui, comme ils sont, dans le monde que nous avons créé pour eux, et non pas comme on a conçu l'éducation il y a cinquante ans.

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Mathilde Panot, qui ne pouvait être présente, m'a chargée de vous poser une question à propos des cas de maltraitance dans les institutions. Quand des cas vous sont signalés, quelles procédures mettez-vous en place ? Quels sont les contrôles et les mesures pour prévenir et contrôler la maltraitance ?

Je vous ai demandé tout à l'heure si vous aviez des chiffres parce que l'ONPE nous a indiqué que moins de la moitié des départements avaient fait remonter leurs informations au moins une fois. J'espérais donc que l'ADF disposait des chiffres concernant les PPE, mais je constate qu'il y a encore du travail pour avoir ces données…

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Jean-Michel Rapinat, directeur délégué des politiques sociales

Je vous confirme que c'est le rôle de l'ONPE.

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Je voulais ensuite évoquer avec vous la question du contrôle des organismes et associations, que vous avez effleurée tout à l'heure : quelles procédures mettez-vous en place ? On se rend compte, avec cette mission d'information – en ce qui me concerne, je m'en rends même compte depuis un an et demi – qu'il est très compliqué d'entrer dans les institutions. Je voulais donc savoir si vous seriez opposés au fait que nous ayons accès à ces institutions, un peu à l'image de ce qui existe pour les prisons : un député se présente et peut y entrer.

Vous évoquiez diverses solutions : avez-vous expérimenté l'internat scolaire ? Pour des enfants qui ne peuvent pas rester toute la semaine chez leurs parents, l'idée serait, plutôt que de les admettre dans des institutions dépendant de la protection de l'enfance, de les héberger dans des internats scolaires, quitte à ce que, le week-end, ils retournent dans une institution ou chez leurs parents.

Pensez-vous que l'évaluation de minorité doit rester de la compétence des départements ou bien devrait-elle revenir à l'État ?

Une question plus ouverte, pour finir : comment interagissez-vous avec la justice et les parents pour traiter le cas des enfants ? On nous dit souvent que les parents n'ont pas accès aux rapports rendus par l'ASE, et que ces derniers sont d'ailleurs remis tardivement au juge.

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Ludovic Maréchal, directeur de l'ASE du département de la Moselle

Je vais commencer par votre dernière question, parce qu'il s'agit d'une véritable Arlésienne. Depuis que je suis à l'ASE, on nous dit que nos rapports n'arrivent pas en temps et en heure. Pour avoir beaucoup réfléchi à cette question, je crois que cela s'explique par un problème de concordance des temps. En effet, le temps de la justice et de l'organisation de l'agenda d'un juge n'est pas forcément le temps de l'enfant, et donc du projet pour l'enfant.

Nous disons à nos équipes qu'elles doivent faire un PPE à partir du moment où l'enfant est placé. Au bout de six à huit semaines après le placement, on réalise une synthèse dite « initiale » par laquelle, avec l'ensemble des acteurs, et en associant la famille, on construit un projet pour l'enfant. De l'autre côté, il y a la temporalité du juge. Dans la grande majorité des cas, les décisions sont prises pour un an. Si vous voulez faire en sorte que la temporalité du projet pour l'enfant coïncide avec celle du juge, vous devez prévoir une synthèse d'échéance. Dans notre feuille de route, nous prévoyons de la rendre au bout de dix mois et demi, de manière à nous laisser un peu de temps pour l'évaluer et ensuite écrire le rapport. Toutefois, le juge a lui aussi son calendrier. Il est parfois appelé aux assises. Il lui arrive aussi de prendre des congés. Bref, il peut décider d'organiser une audience au bout de neuf mois et demi, ce qui fait tomber à l'eau le calendrier que nous avions élaboré. Et après, on nous dit : « Vous ne rendez pas vos rapports ! ». Nous ne pouvons pas organiser le suivi de 1 850 enfants en fonction des calendriers de huit magistrats différents. Il est impossible de piloter une institution de cette manière. Je n'ai pas de solution à ce problème. Je puis seulement dire que cette situation pose la question de l'inadéquation entre les temporalités d'institutions différentes.

S'agissant du contrôle, comment organisons-nous les choses ? D'abord, nous partons de la notion de partenaire prestataire. Nous rencontrons très souvent le milieu associatif, dans le cadre du suivi des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens. Par ailleurs, nous avons nommé, dans chaque institution de l'aide sociale à l'enfance, ce que nous appelons un « correspondant d'établissement ». Ces correspondants participent notamment aux commissions d'admission, qui se prononcent sur l'entrée des enfants. Ils constituent ce que j'ai appelé une « courroie de transmission » entre le département et l'association. Ils s'intéressent à tout ce qui fait la prise en charge quotidienne d'un enfant. Ils doivent faire remonter les difficultés. Quand nous ne sommes pas bons et que l'association le dit, il leur incombe aussi de nous le faire savoir. C'est une première manière pour nous de sécuriser le système.

Ensuite, nous demandons très clairement que la direction de l'aide sociale à l'enfance soit informée dès que survient un événement dit « grave », y compris le soir et le week-end. Mon smartphone est allumé tout le temps – c'est un peu embêtant parfois, mais c'est aussi cela, la protection de l'enfance. Nous devons être informés en permanence, de manière à pouvoir entrer en contact immédiatement avec l'établissement en cas d'événement, qu'il s'agisse d'un passage à l'acte ou d'un dérapage – y compris de la part d'un veilleur de nuit ou d'un éducateur. À cet égard, lorsqu'un événement de cet ordre se produit, nous demandons la mise à pied à titre conservatoire de la personne concernée – c'est un des avantages du statut privé –, dans l'attente de l'enquête administrative interne à l'établissement, tout en sachant que le département interviendra lui aussi. Ensuite, en fonction des faits relatés, une enquête pénale pourra également avoir lieu.

Nous effectuons aussi des contrôles, notamment sur la base des informations qui nous sont remontées, des faits qui nous sont signalés et de leur éventuelle réitération. J'ai ainsi participé à un contrôle il y a trois semaines dans une maison d'enfants à caractère social. Nous avons rencontré les professionnels, la direction et certains mineurs. Nous avons examiné les procédures suivies dans l'établissement. La loi de 2002 nous a donné un certain nombre d'outils. Un soir de la semaine dernière, nous avons organisé un contrôle inopiné : avec ma cheffe de service responsable d'un territoire, nous nous sommes rendus sur le lieu de vie en question. Nous rédigeons actuellement un rapport. Nous avons été rassurés par ce qui a été mis en place depuis les événements qui nous avaient été signalés.

En ce qui concerne l'internat scolaire, la réponse est oui : nous y avons recours, de manière épisodique. La question est évidemment de savoir ce qui est fait autour, quand le jeune est à la maison, le week-end. Parfois, nous associons l'internat scolaire et le SERAD, autrement dit le placement à domicile, ce qui constitue une double mesure. Nous avons aussi créé le placement modulable, avec une alternance entre les temps en famille et les temps en institution, sachant que, parfois, les parents ont des problèmes psychiatriques. Quand ils ne sont pas en phase de décompensation, ils sont tout à fait en mesure d'être parents, mais le reste du temps, il vaut mieux que l'enfant ne soit pas là.

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Jean-Michel Rapinat, directeur délégué des politiques sociales

Madame la rapporteure, s'agissant de l'évaluation des jeunes migrants qui arrivent sur le territoire français, les départements – et donc l'Assemblée des départements de France – ont demandé de longue date à l'État de reprendre cette compétence, puisqu'il s'agit d'une mission régalienne. Très précisément, et pour être, là aussi, extrêmement concret, nous pensons que le travail de contrôle documentaire – en particulier celui des papiers d'identité – n'entre pas dans le champ d'action des travailleurs sociaux. L'État nous avait promis qu'il reprendrait cette tâche, pour que les départements puissent se concentrer sur l'accueil des mineurs non accompagnés au titre de la protection de l'enfance. Or il n'en est rien : ce sont toujours les départements qui mènent le travail d'évaluation, tout en sachant qu'ils assurent également l'hébergement pendant la période d'évaluation – laquelle a d'ailleurs tendance à s'allonger, du fait de l'augmentation constante du nombre de demandeurs. La seule concession faite par l'État a été une prise en charge partielle du coût supporté par les départements, à hauteur de 143 millions d'euros cette année, alors que la dépense réelle est dix fois supérieure. Les départements appellent donc évidemment de leurs voeux un engagement de l'État s'agissant de l'exercice de cette mission régalienne.

Nous avons noué un partenariat excellent avec la cellule de protection judiciaire de la jeunesse, pour la répartition des jeunes, une fois que la décision judiciaire a été prise. À cet égard, nous travaillons à une révision de la clé de répartition entre les départements, car le mode de calcul actuel nous paraît injuste. Nous ferons des propositions concrètes sur le sujet. Quand bien même nous réussirions à être plus justes dans la répartition de ces jeunes admis dans le système de l'aide sociale à l'enfance, resterait toujours le problème de leur accompagnement, car les arrivées sont toujours plus nombreuses – 40 000 en fin d'année dernière.

Ce travail doit clairement relever de l'État. Nous avions apprécié que celui-ci le confirme, mais cela ne s'est pas traduit dans les faits. Un seul dossier a avancé, mais il fait encore l'objet d'une polémique : il s'agit de l'aide à l'évaluation de la minorité. Un décret est paru fin janvier. Il correspond grosso modo à la demande que les départements avaient formulée, à savoir que les jeunes soient répertoriés dès lors qu'ils ont été évalués majeurs dans un département. En effet, comme vous le savez, les demandeurs, évidemment influencés par les filières, qui y voient leur intérêt, se présentent successivement dans plusieurs départements. Nous souhaitions simplement ne pas avoir à mener de nouveau le travail d'évaluation, qui prend du temps et est totalement inutile, de façon à pouvoir nous consacrer davantage aux MNA, qui nous sont confiés au titre de la protection de l'enfance et que nous suivons dans les conditions qui ont été rappelées tout à l'heure, c'est-à-dire souvent excellentes, puisque ces jeunes s'intègrent très rapidement et souvent fort bien. La plupart d'entre eux sont venus pour cela : trouver une solution en France. La demande des départements est donc forte, mais elle n'a pas reçu de réponse, en tout cas concrète, alors même que l'État s'était engagé à en apporter une.

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Qu'en est-il de l'accès des parlementaires aux institutions ?

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Ludovic Maréchal, directeur de l'ASE du département de la Moselle

Cela ne pose aucun problème. Lorsque nous avons préparé l'audition d'aujourd'hui avec la plus grosse association du département, le directeur général de cette dernière a déclaré qu'il ouvrait ses portes – et c'est aussi le cas des autres structures.

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Quand vous parlez d'agir plus tôt, plus près et différemment, cela veut dire que vous faites du sur-mesure, ce que tout le monde appelle de ses voeux pour chaque enfant, mais cela suppose aussi d'y consacrer du temps. Or le problème majeur que rencontrent les éducateurs tient à une surcharge absolue, en termes de nombre de cas qu'ils ont à traiter. Combien d'heures consacrent-ils à chaque enfant ? Tout ne tient-il pas, justement, au temps consacré à l'enfant, alors que ce temps, au fil des années, n'a cessé de se réduire ? On en arrive, y compris pour des questions aussi importantes – pour les enfants plus âgés – que celle de l'orientation, notamment professionnelle, à un temps disponible qui est extrêmement limité. Beaucoup de professionnels sont épuisés, en burn-out, souffrant parfois de dépression. Nous en avons rencontré beaucoup – pas forcément ici, mais sur le terrain – qui vraiment épuisés.

Je voudrais aborder un autre aspect : la mutation du monde des enfants. Vous devez désormais composer avec internet. Qu'en est-il des réseaux de prostitution sur internet ? Par ailleurs, les proxénètes – s'agissant, surtout, des mineures ayant fugué – sont devenus aussi des protecteurs. Arrivez-vous à vous adapter assez rapidement, tout en sachant, bien entendu, que c'est très difficile ?

Enfin, les forces de l'ordre nous disent qu'il leur revient de traiter toutes les urgences car les services sociaux sont fermés entre le vendredi dix-sept heures et le lundi matin. Je sais que votre département est vertueux et que vous n'êtes donc pas nécessairement concernés, mais cela fait partie des problèmes qu'il faut absolument résoudre. J'ai conscience de présenter les choses de manière un peu caricaturale, mais il n'en reste pas moins que la manière de réagir face à l'urgence pose problème pour des gens qui ne font pas partie du sérail de la protection de l'enfance et qui se retrouvent confrontés aux enfants.

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Ludovic Maréchal, directeur de l'ASE du département de la Moselle

L'urgence, qu'est-ce que c'est ? Tout est urgent, dans notre monde. Je suis sûr que j'ai reçu, depuis que je suis ici, au moins dix mails dans lesquels on me parle de problèmes urgents.

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Une fugue, par exemple, c'est une urgence ! Un adolescent en crise aussi.

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Ludovic Maréchal, directeur de l'ASE du département de la Moselle

Vous avez raison, mais cela reste difficile à évaluer. Quand nous avons créé « Mousqueton », le chef de la brigade des mineurs nous a dit : « Vous savez, moi, les cas de fugue, j'en ai une pile haute comme ça ! Je distingue la fugue qui est en fait un retour un peu tardif de l'école et la vraie fugue, celle qui est inquiétante. »

J'ai oublié de dire que, dans le cadre de « Mousqueton », nous avons mis en place un code couleurs – vert, orange et rouge – qui nous aide à hiérarchiser. Cela dit, nous avons un travail à faire concernant la hiérarchisation de l'urgence. Nous essayons de le mener avec nos équipes. S'il y a une souffrance au travail – c'est vrai pour les secrétaires, pour les éducateurs de l'ASE, les assistants sociaux, mais également dans les internats –, c'est aussi parce que tout paraît urgent. Or, quand tout est prioritaire, rien ne l'est.

Je sais bien que vos différents interlocuteurs vont vous dire qu'en définitive il faut exclure des 1,2 % toutes les missions des départements. Je vous dirai pour ma part qu'il faut faire des choix – en l'occurrence, il faut choisir notre mission. Si l'enfance est vraiment une grande cause, un « méta-besoin », comme le disait la rapporteure de la mission de consensus sur les besoins fondamentaux de l'enfant, cela veut dire, en termes de politiques publiques, que la protection de l'enfance est elle aussi un « méta-besoin ». C'est en raisonnant à partir de cette mission fondamentale qu'on organisera le travail des personnels. Cela dit, bien entendu, plus on consacrera de temps à chaque enfant, mieux ce sera. Si nous pouvions également embaucher beaucoup, peut-être serait-ce une bonne chose. En attendant, et sans croire au Père Noël, je pense que si nous commencions par arrêter de perdre du temps en travaillant mal les uns avec les autres, cela aiderait à mieux vivre le travail, en lui redonnant du sens. C'est ce que nous essayons de faire, mais il est vrai que cette réalité de la souffrance au travail est difficile à traiter.

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Nous n'avons plus qu'à vous remercier : vos témoignages, fruit de votre expérience, ont rendu cette table ronde particulièrement intéressante. Nous sommes demandeurs d'une visite dans votre département.

Nous vous serions également reconnaissants de bien vouloir faire passer un message à l'ensemble des départements : ils doivent accepter de nous recevoir. Comme vous l'avez vu, notre mission d'information est très ouverte. Nous essayons de faire avancer les choses, sans porter de jugement. Nous avons bien compris que, compte tenu des différents reportages qui ont été diffusés – je pense notamment à l'émission de télévision –, il y a une réticence à laisser entrer des personnes extérieures. Je l'ai moi-même mesuré dans mon département de la Seine-Saint-Denis. C'est dommage, car nous avons envie de faire avancer les choses, et nous nous en donnons les moyens – c'est vrai de la rapporteure, mais aussi de l'ensemble de nos collègues de la mission qui, même s'ils n'ont pas pu rester jusqu'au bout pour vous écouter, sont vraiment impliqués. Je vous demande donc de faire passer le message aux départements.

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Jean-Michel Rapinat, directeur délégué des politiques sociales

Vous pouvez compter sur nous, monsieur le président !

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Si on nous ferme les portes, nous nous disons forcément : « Mince, on nous cache quelque chose ! »

Encore une fois, un très grand merci. Nous allons caler un rendez-vous car nous aimerions venir dans votre département rapidement.

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Je suis intéressée par le mode d'emploi dont vous avez parlé, madame Kuntz.

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Marie-Louise Kuntz, vice-présidente du conseil départemental de la Moselle

Je le tiens à votre disposition. Ce qui marche en Moselle peut fonctionner ailleurs !

La réunion s'achève à dix-neuf heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance

Réunion du jeudi 9 mai 2019 à 17 h 40

Présents. - Mme Delphine Bagarry, Mme Perrine Goulet, Mme Sandrine Mörch, Mme Bénédicte Pételle, M. Alain Ramadier.

Excusés. - Mme Jeanine Dubié, Mme Françoise Dumas.