Intervention de Jean-Michel Rapinat

Réunion du jeudi 9 mai 2019 à 17h15
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Jean-Michel Rapinat, directeur délégué des politiques sociales :

Madame la rapporteure, nous vous remercions pour les questions que vous nous avez adressées, car l'échange de bonnes pratiques est également notre première priorité ; c'est ce que nous promouvons à l'Assemblée des départements de France. De là à espérer qu'il y aura les mêmes pratiques dans tous les départements… Ce ne sera certainement pas le cas. Quoi qu'il en soit, comme l'a fort bien dit Ludovic Maréchal, il faut tenir compte de la réalité de la situation de ces jeunes et de leur famille – et tout en sachant que les choses ont beaucoup changé –, mais l'émulation est également importante, résultat d'un échange des pratiques entre les départements : c'est ce que nous faisons au sein de la commission des affaires sociales de l'Assemblée des départements de France et des groupes de travail que nous pilotons.

Ainsi, la démarche qui a été évoquée par Ludovic Maréchal à propos de l'opération « Mousqueton », dans le département de la Moselle, trouve des formes un peu différentes dans d'autres territoires. C'est en effet une action tout à fait intéressante, qui peut être reprise par les départements qui le souhaitent. Nous favorisons cet échange de bonnes pratiques. Il existe d'ailleurs un lieu dans lequel cet échange de pratiques doit probablement être renforcé : l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE). Cela répond peut-être à votre question, madame la rapporteure, au sujet de l'idée, qui circule actuellement, d'une instance nationale de pilotage, respectant les compétences des uns et des autres, mettant côte à côte les départements – en réaffirmant leurs compétences découlant de la loi de 2016 –, l'État et les associations. Ce lieu existe déjà : c'est le groupement d'intérêt public Enfance en danger. Comme vous le savez, l'organisme est cofinancé par l'État et par les départements. Ses instances sont ouvertes à la diversité car les associations y sont représentées. Qui plus est, la gouvernance de la structure est bien organisée. Or, l'an dernier, il a fallu que les dirigeants se battent pour obtenir simplement le maintien du financement. Au regard de l'engagement respectif des uns et des autres et de la plus-value qu'apporte le GIP, son budget est relativement mince. L'épisode a beaucoup ému nos présidents de département.

Quoi qu'il en soit, le cadre existe donc. Peut-être faudrait-il réaffirmer son rôle, voire l'élargir – à cet égard, je me tourne vers les parlementaires que vous êtes. Un rapprochement était d'ailleurs prévu avec le groupement d'intérêt public de l'Agence française de l'adoption. Or cela n'a pas abouti, malgré quatre ou cinq années de travail dans ce sens. Beaucoup d'élus m'ont dit qu'ils considéraient que c'était du gâchis de ne pas avoir réussi à opérer le rapprochement des deux organismes. Qui plus est, cela aurait pu donner lieu également, comme le souhaitent à la fois l'ADF et le secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, à un travail sur l'adoption simple et sur de nouvelles formes d'adoption, mais aussi sur l'accompagnement des familles adoptantes, ou encore sur les pupilles de l'État – autant de questions que nous suivons depuis plusieurs années.

Le cadre existe donc, même s'il faudrait probablement le renforcer. L'intention existe elle aussi. L'échange de pratiques doit être renforcé, et l'Assemblée des départements de France souhaite le mener à bien. J'ajoute – Ludovic Maréchal y a fait allusion – que l'ADF a signé une convention avec l'ODAS, qui a produit des travaux remarquables sur la protection de l'enfance et est l'un des co-organisateurs des Assises nationales de la protection de l'enfance, qui vont se réunir dans quelques semaines et rassembleront environ 2 000 professionnels. Ce sera sans doute, là aussi, l'occasion de partir de l'expérience des professionnels, de les soutenir et d'organiser les conditions d'un débat nous permettant de progresser. C'est en tout cas ce que souhaite l'Assemblée des départements de France.

En ce qui concerne les PPE, une majorité d'enfants en bénéficient. Peut-être l'ONPE pourrait-il vous donner des chiffres plus précis. Pour notre part, nous ne les recensons pas. En tout état de cause, il existe une véritable volonté de construire ces projets en évitant les ruptures – cela a été dit tout à l'heure par Ludovic Maréchal s'agissant des enfants en situation de handicap. Tentons d'améliorer les dispositifs pour éviter ce que l'on constate collectivement, c'est-à-dire des ruptures dans la prise en charge, des ruptures par rapport à notre système de protection sociale. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si nous avons à l'heure actuelle un grand débat sur les jeunes âgés de plus de 18 ans. On nous parle de prolonger leur prise en charge jusqu'à 21 ans. Pourquoi pas mais, selon le droit commun, c'est à partir de 25 ans qu'ils entrent dans les dispositifs généraux. Que fait donc notre société pour ces jeunes ? Le problème se pose de manière encore plus vive pour ceux qui rencontrent le plus de difficultés mais, en tout état de cause, la question est de savoir quel système de protection sociale on souhaite mettre en oeuvre collectivement pour ces jeunes dont on entend favoriser l'autonomie.

Oui à un pilotage national, donc : il existe déjà, mais il faut probablement le renforcer. Oui à un État plus présent aux côtés des départements, notamment en ce qui concerne les MNA – pardon d'y revenir un instant, mais les départements l'ont beaucoup demandé. Tout à l'heure, je souriais quand on parlait du département de Seine-Saint-Denis. Comme vous le savez, le président du conseil départemental a organisé des états généraux de la protection de l'enfance. Le département nous déclare avoir évalué 3 102 jeunes demandant le statut de MNA et en avoir accueilli, au titre de l'aide sociale à l'enfance, 1 140 à la fin de l'année 2018 – sur les 40 000 jeunes qui ont été reconnus comme MNA par l'ensemble des départements. Il a fallu trouver une place à ces 40 000 jeunes, créer les conditions d'une insertion favorable, alors qu'on ne les connaît pas, qu'ils arrivent du jour au lendemain. Il est vrai que ce sont des jeunes qui s'insèrent bien – Ludovic Maréchal l'a très bien dit. Cela étant, il importe de souligner le caractère d'imprévisibilité que revêt cette politique, qui nous met parfois, collectivement, dans une situation difficile.

L'Observatoire national de la protection de l'enfance lui-même – il vous le dira probablement mieux que nous – peine à avoir des chiffres très précis sur le nombre de jeunes majeurs qui sortent des services chaque année – quels sont ceux qui réussissent à trouver une voie d'insertion professionnelle rapide, ceux qui sont inscrits dans une formation : autrement dit, il est difficile de mesurer les résultats positifs de notre action. Or c'est un objectif majeur pour les départements de faire en sorte que l'investissement en faveur de ces jeunes, quoique perfectible, se traduise rapidement par une orientation réussie, débouchant sur leur autonomie. Nous attendons beaucoup des travaux qui sont menés conjointement avec les services de l'État et les associations pour perfectionner encore notre dispositif. Toutefois, nous pensons qu'il doit s'agir d'une politique transversale, dans laquelle, comme M. Maréchal l'a rappelé, le département serait chef de file et articulerait les efforts des uns et des autres. Ce serait préférable à un système plus descendant.

Personne n'est opposé à l'évaluation ; encore faut-il qu'elle soit collective et que chacun apporte des moyens nouveaux permettant d'améliorer la prise en charge. J'en prendrai un exemple très concret. Nous avons évidemment salué l'effort qui a été consenti dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté, à savoir 12 millions d'euros consacrés, en 2019, à l'accompagnement de jeunes majeurs. Toutefois, 12 millions d'euros, cela représente 2 000 euros par an pour 6 000 jeunes, alors que, de notre côté, nous constatons qu'il faut plutôt 2 000 euros par mois pour l'accompagnement de chacun d'entre eux. Là encore, il importe donc d'examiner le rapport existant entre certaines annonces, même si elles vont dans le bon sens, et la réalité concrète des besoins de nos équipes et des départements, lesquels, vous le savez aussi bien que moi, voient leurs dépenses sociales progresser chaque année de manière mécanique.

Qui plus est, par un étrange paradoxe, tout en leur demandant de faire davantage, on leur impose de ne pas dépasser une augmentation de 1,2 % de leurs dépenses de fonctionnement. Il faudra absolument sortir de ce paradoxe, comme l'a rappelé le président Bussereau : on ne peut pas vouloir faire davantage et mieux, et en même temps être pénalisé parce qu'on le fait. Il en va de même, d'ailleurs, pour les équipes de la protection de l'enfance : on ne peut pas vouloir mieux accompagner les jeunes tout en instaurant un climat dans lequel nos équipes se sentent maltraitées – disons, en tout cas, que l'opprobre a jeté sur elles d'une manière insuffisamment nuancée.

Cela dit, nous sommes tout à fait prêts à évaluer ensemble la qualité de cette politique publique et à l'améliorer ; mais, je le répète, cela doit se faire collectivement, dans un échange entre le niveau national et le niveau local. En disant cela, je donne aussi mon avis sur cette idée d'un grand dispositif qui, une fois pour toutes, améliorerait l'ensemble de la conduite de la politique : ce n'est certainement pas vers cela qu'il faut aller. Il faut plutôt chercher une articulation permettant un travail équilibré, comme on a su le mener pendant plus de trente ans, entre un monde associatif très présent, des collectivités plus déterminées que jamais à conduire cette action, et l'État, qui veut être plus présent s'agissant de ces compétences, ce que nous appelons de nos voeux ; nous ne demandons même que cela. Nous avions demandé également un investissement plus fort de l'État concernant les MNA, par exemple pour le contrôle documentaire et la stabilisation de la situation administrative du jeune, car on ne peut aider celui-ci à s'insérer que s'il a des papiers en règle. Là aussi, nous accueillons plutôt positivement les annonces qui ont été faites récemment au sujet de l'investissement plus important de l'État dans ce domaine : nous l'appelons même de nos voeux.

Je n'ai pas répondu à votre question concernant les CRIP. Leur action est bien spécifique. L'évolution, depuis 2007, s'est heurtée parfois – c'est une remarque qui nous a été faite et qui est parfaitement justifiée – à la difficulté de faire remonter des données du niveau local vers le niveau national. Cela suppose évidemment des procédures précises, mais aussi des référentiels. Il faut également rassurer les professionnels, car on ne livre pas si facilement des informations confidentielles sur le suivi d'un jeune : encore faut-il savoir comment elles vont être traitées.

S'agissant des projets pour l'enfant, un travail considérable est mené. Le taux est en train d'évoluer. Ce n'est pas parfait, on n'est pas à 100 %, mais je pense qu'une émulation très importante aura lieu à la faveur de la concertation avec l'État sur le sujet, dès lors que les départements auront vraiment la conviction qu'il s'agit d'un travail coordonné avec l'État et les associations, et que la démarche les respecte dans leurs compétences. En tout cas, c'est ce que préconise en permanence l'ADF. Je l'ai dit tout à l'heure : nous constatons une implication très forte, ne serait-ce que dans les groupes de travail qui ont été créés récemment et qui doivent commencer à travailler lundi prochain. S'agissant de la protection de l'enfance, il faut sans cesse remettre notre ouvrage sur le métier, car c'est un très bel ouvrage.

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