En ce qui concerne la manière d'intégrer les enfants, de la même façon que l'on croit dans les compétences des familles, il faut croire dans celles des enfants. Cela suppose d'apprendre à se mettre à leur hauteur, quel que soit leur âge.
Au début de ma carrière dans le domaine de la protection de l'enfance, qui commence à être longue, j'ai été très marqué par le geste d'une substitut chargée des affaires des mineurs. C'est la seule fois que j'ai vu faire cela, mais je trouve le geste si remarquable que, pour moi, il illustre la manière dont on doit associer les enfants. Cette femme est venue expliquer à une enfant de huit mois, à l'hôpital, la décision de placement en urgence qu'elle venait de prendre pour elle. Elle m'a demandé de la laisser seule avec l'enfant ; je l'ai observée à travers la porte vitrée. Elle s'est accroupie près de l'enfant et lui a expliqué ce qu'elle venait de décider dans son intérêt. Il n'y a pas meilleure illustration de la manière dont il est possible d'associer les enfants, d'une manière qui varie, bien sûr, en fonction de leur âge, de leurs compétences et de leurs capacités.
Il faut en effet s'appuyer sur les compétences des enfants. Quand un adolescent nous dit : « Moi, je veux rentrer à la maison », à un moment donné, il faut arrêter de lutter. Nous avons parfois des échanges à ce propos avec l'équipe : si on ne lui fait pas confiance, on prend le risque que cet adolescent de 13, 14 ou 15 ans construise sa lutte contre nous et nourrisse son développement, dans les années qui lui restent au sein de l'ASE, contre l'objet néfaste que deviennent pour lui l'aide sociale à l'enfance et le juge. Nous faisons le pari d'accepter un pas de côté, en disant à l'adolescent : « Nous ne sommes pas convaincus que papa et maman aient suffisamment changé, mais nous comprenons bien que ce qui a été décidé quand tu avais 4 ans ne te parle plus et que tu te sens prêt à rentrer à la maison. Nous allons prendre le risque de ce retour avec toi, et si ça ne marche pas – tout en sachant que nous allons tout faire pour que ça marche –, nous serons là. ».
On décrit un certain nombre de logiques de rupture, mais il faut aller un peu plus loin et les analyser, car il y a rupture et rupture. Par exemple, chez nous, la réorientation est interdite. Nous n'acceptons pas que les responsables d'une maison d'enfants à caractère social viennent nous dire : « Avec celui-là, nous ne savons plus comment faire ; il faut qu'il aille ailleurs. ». Notre réponse est la suivante : « Non : ailleurs, ils ont les mêmes compétences que vous, donc vous le gardez. ». C'est une manière de dire qu'il faut arrêter de considérer que les enfants sont inadaptés : ce sont les adultes qui le sont. C'est aux adultes, et d'abord à l'école, qu'il revient de s'adapter à ce que sont les enfants – les enfants d'aujourd'hui, comme ils sont, dans le monde que nous avons créé pour eux, et non pas comme on a conçu l'éducation il y a cinquante ans.