J'interviens ici en ma qualité de présidente de la Société française de pédiatrie médico-légale. Évoquer cette spécialité devant une commission où il s'agit de protection de l'enfance peut paraître un peu incongru, mais, en termes de santé, elle constitue souvent le mode d'entrée en protection de l'enfance. On parle beaucoup de la sortie, aujourd'hui, mais il me semble également important de parler de l'entrée, voire du mode de retour.
L'idée de cette association a germé tranquillement dans l'esprit d'une dizaine de pédiatres et de médecins légistes français, depuis un peu moins de dix ans. Elle a vu le jour en 2016, sous le statut prévu par la loi de 1901. Elle réunit aujourd'hui soixante-cinq membres, pédiatres, médecins légistes, ou professionnels dotés de cette double valence. Elle compte également des médecins référents pour la protection de l'enfance, ou d'autres médecins intéressés par les violences faites aux enfants.
Elle a été créée avec la volonté très forte de prendre en charge le retentissement des violences sur la santé de l'enfant, violences qui ne sont pas toujours identifiées, mais ont des conséquences funestes, comme l'ont dit mes collègues.
Nous sommes également partis du constat que les enfants victimes de violences ne retiennent que rarement l'attention des médecins, pédiatres ou généralistes : on sait que moins de 5 % des signalements émanent de ces praticiens. Nous constations également que, pour développer une activité pédiatrique au sein de services de médecine légale qui reçoivent le tout-venant des coups et blessures, examinent victimes et auteurs, ou déterminent des âges osseux – activités évoquées tout à l'heure par Mme Rey-Salmon – il fallait un apport spécifique, analogue aux compétences spécifiques des magistrats chargés des mineurs dans le monde judiciaire.
Le rapport rendu par Alain Grevot au défenseur des enfants a fortement souligné l'effet funeste que peut avoir, sur la santé globale des enfants, le clivage des spécialités : certains pédiatres étaient dans l'incapacité de voir la clinique de la violence, et les constats de coups et blessures dressés en aval devaient encore, paradoxalement, intégrer la notion de croissance, de développement de la victime.
Partant de cette clinique de la violence, qui fait tout de même partie de la culture commune aux pédiatres et aux médecins légistes, nous avons souhaité nous fédérer, et réfléchir autour d'une démarche intégrée autour de l'enfant. Cette démarche va de la prévention, dont il a été question tout à l'heure, au dépistage et à l'expertise, puisque nous avons également constaté que l'on prévient bien ce que l'on connaît bien ; que l'on diagnostique ce que l'on pourra prendre en charge ultérieurement ; que, pour faire une bonne expertise en pédiatrie médico-légale, il faut de bonnes connaissances pédiatriques et de bonnes connaissances médico-légales ; que la compétence commune de pédiatrie médico-légale, enfin, est véritablement essentielle.
Nous nous sommes bien sûr concertés avec la Société française de pédiatrie et la Société française de médecine légale, afin de ne pas perpétuer des clivages, mais d'instaurer une véritable association professionnelle.
Notre idée est aussi que, pour reconnaître les violences, il est essentiel de savoir comment on les traite, et que, pour constituer des dossiers solides, il faut aussi une expérience de leur traitement. Il était donc essentiel, pour les expertises, d'intégrer les violences dans les schémas de développement, et le développement dans l'analyse des violences.
Une autre idée nous a guidés dans cette préparation : comme le disait tout à l'heure Mme Rey-Salmon, lorsque l'on parle de pédiatrie médico-légale, on parle de médical et de légal. Il ne nous paraît pas éthique, aujourd'hui, de dissocier le constat du soin : si un enfant fait l'objet d'un constat, il ne nous paraîtrait pas éthique – cela figure d'ailleurs dans le rapport d'Istanbul – qu'il n'entre pas immédiatement dans un processus de soins. De même, en pédiatrie médico-légale, il est important que, si la présomption d'innocence doit présider à l'examen du dossier du mis en cause, la présomption de nécessité de soins doit présider à la prise en charge de la victime.
Notre association contribue également à la formation, à l'occasion, notamment, de journées annuelles. Nous participons au congrès annuel de médecine légale et de pédiatrie, et préparons actuellement un ouvrage collectif qui vise à mettre en oeuvre, ou en tout cas en mots, ce que je viens de vous présenter.