Intervention de Nathalie Vabres

Réunion du jeudi 2 mai 2019 à 17h15
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Nathalie Vabres, pédiatre-coordonnateur de l'unité d'accueil des enfants en danger, centre hospitalier universitaire de Nantes :

Les enfants passent par les services de santé. Ce sont les professionnels qui, n'étant pas formés, comme le disait Mélanie Dupont, ne voient pas leur situation. Ils ont de la gadoue dans les yeux et des lunettes de soleil. Les enfants vont chez des médecins traitants, ou à la médecine scolaire. Le problème, c'est qu'on ne les voit pas. Si l'on n'a pas reçu d'enseignement sur la maltraitance, et si l'on ne sait pas qu'elle touche 10 % des enfants des pays industrialisés, tous milieux sociaux confondus, et qu'elle est plus difficile à identifier dans les milieux sociaux favorisés – auxquels appartiennent les participants à cette table ronde –, parce que l'on y sait mieux la dissimuler, alors on voit en face de soi quelqu'un de semblable à soi, et l'on n'est pas capable d'imaginer ce dont l'enfant est victime. Tant que l'on ne sait pas que cela existe, on est incapable de le diagnostiquer. Un médecin qui n'aurait jamais entendu parler de l'infarctus du myocarde ne saurait pas ce que c'est. Il en va de même de la maltraitance : la déceler suppose une formation adéquate.

Quant au parcours de santé, il faudrait bien sûr y consacrer des moyens plus importants, mais on peut déjà s'appuyer sur de réelles ressources : malgré la persistance de déserts de santé, nous avons des généralistes, des puéricultrices, des psychologues… On manque fortement de pédopsychiatres, évidemment, mais, en amont, au plan somatique, un enfant peut être bien suivi, dès le début, avec un vrai plan de santé. Il n'est pas normal qu'un enfant en protection de l'enfance ne voie un médecin qu'une fois par an, voire une fois tous les deux ans. Je parle simplement d'un médecin généraliste, qui le pèse, écoute son coeur et l'examine au plan somatique, et qui puisse, du même coup, déceler un problème psychologique et adresser l'enfant plus précocement à nos collègues pédopsychiatres, sans attendre que sa situation ne se soit fortement dégradée.

Le remboursement des psychologues libéraux serait une autre piste. D'où le plan dont nous avons proposé l'expérimentation, conformément à l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 : l'idée serait de créer un réseau de professionnels volontaires, formés, représentant plus particulièrement les spécialités qui ne relèvent pas du droit commun, comme les psychologues et les psychomotriciens. Nous voulons expérimenter des forfaits, dont le coût ne sera pas énorme par rapport à ce que coûte à la société, ensuite, le fait de n'avoir pas soigné ces enfants à temps, que ce soit en frais de santé, ou à cause des difficultés qu'ils rencontrent en tant que citoyens, ou des risque de répétition, comme l'a dit Mme Martin-Blachais.

Nous avons un réseau de santé très performant, mais qui mérite de meilleures formations et l'instauration d'examens systématiques, de manière à ce que l'on n'attende pas, pour amener l'enfant chez un praticien, que son comportement présente des troubles devenus socialement insupportables, alors qu'il s'agit de symptômes de souffrance qui auraient pu être pris en charge bien en amont. Il suffirait pour cela que l'enfant soit présenté à un médecin trois fois par an, qu'il voie un ophtalmologiste et bénéficie systématiquement de tous les bilans nécessaires, notamment orthophonique, avec un vrai suivi systématique de prévention et une vraie coordination de soins. Voilà comment, avec quelques moyens supplémentaires, très modestes, on pourrait améliorer la santé des enfants confiés à la protection de l'enfance.

Dernier point : de même que le docteur Rey-Salmon a insisté sur la prévention du syndrome du bébé secoué, je préconise, plus largement, une démarche de prévention dans les maternités, pour promouvoir l'éducation sans violence. Les futurs parents doivent apprendre comment réagir lorsqu'un enfant se roule par terre, ou fait une crise. Qu'il s'agisse des pleurs du bébé ou du soi-disant caprice du plus grand, la résolution de ces problèmes requière un apprentissage, afin que les enfants soient éduqués sans violence. Beaucoup de parents nous disent : « si je ne lui donne ni fessées ni gifles, il va devenir délinquant », alors que de nombreux travaux démontrent que, dans les pays qui ont banni les violences corporelles depuis longtemps, il y a moins de délinquance. Voilà ce que les parents ne savent pas. Quand on le leur dit, ils sont très étonnés. Or ces choses peuvent être dites en prévention, bien en amont, y compris d'ailleurs en sciences de la vie et de la terre (SVT) : la plasticité cérébrale, comme les neurosciences, devrait y être abordée. Un petit film de quatre minutes sur la plasticité cérébrale a été montré au ministère il y a deux ans ; il pourrait l'être à des enfants de maternelle. Cela fait partie des éléments que l'on pourrait enseigner dès l'école, pour faire comprendre que l'on peut élever un enfant sans violence, et que les expériences négatives sont mauvaises pour le cerveau.

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