Intervention de Sylvain Waserman

Séance en hémicycle du lundi 27 mai 2019 à 16h00
Modification du règlement de l'assemblée nationale — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSylvain Waserman, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Réformer le règlement de l'Assemblée nationale est une belle et difficile mission. Nous avons la responsabilité de faire évoluer le fonctionnement du coeur battant de notre démocratie, et nous mesurons tous l'importance de cette tâche.

Pourquoi changer ? C'est la première question qui se pose. Il y a eu 75 000 amendements lors de l'avant-dernière législature ; il y en aura au rythme actuel 150 000 au cours de celle-ci, soit une croissance de 100 %. Il y a eu un peu plus de 5 000 heures de séance lors de l'avant-dernière législature ; à notre rythme actuel, nous en serons à près de 7 000 à la fin de celle-ci, soit une augmentation de 40 %. Aucune règle ne peut subsister à de telles augmentations sans évolution, sans remise en question.

Beaucoup d'entre nous ont aussi le sentiment profond que nos méthodes de travail – la simultanéité des réunions, les votes à quatre heures du matin avec 80 députés dans l'hémicycle, le manque de lisibilité de nos débats – constituent un problème auquel il faut apporter une réponse.

Mais il faut aussi changer parce que nous nous devons de répondre à des exigences citoyennes et démocratiques nouvelles : tout d'abord, une exigence de déontologie et de transparence, points sur lesquels nous apportons des éléments de réponse ; mais aussi une exigence d'expression directe des voix citoyennes, grâce à des pétitions. C'est là un acquis de la Révolution française tombé en désuétude, et qu'il nous faut renouveler.

Ce texte dont j'ai l'honneur d'être le rapporteur et dont nous allons débattre a été élaboré par le président Richard Ferrand, au terme d'une large concertation sur laquelle j'aimerais revenir. Cette démarche a commencé avec les sept groupes de travail transpartisans auxquels nombre d'entre vous ont participé durant dix-huit mois. S'en sont ensuivis six mois de concertation avec chacun des présidents de groupe. Nombre de leurs propositions ont été intégrées à ce texte.

Ces deux étapes ont permis d'aboutir à un texte qui a été adressé à chacun des députés le 12 mars dernier – vous avez ainsi eu le temps de vous l'approprier – et qui a été présenté par le président lui-même à différents groupes politiques.

Soyons clairs : ce texte s'inscrit en dehors de toute réforme constitutionnelle. Cela signifie que certains d'entre nous nourriront une certaine frustration, parce que nous ne pourrons pas toucher aux limites des responsabilités entre l'Assemblée et l'exécutif, ni réorganiser notre temps de travail sur l'année, comme nous aurions pu le souhaiter.

Il nous faut d'ailleurs garder à l'esprit que le Conseil constitutionnel a clairement rappelé, en 2014, que le règlement des assemblées doit se limiter strictement à des dispositions relatives à leur organisation et à leur fonctionnement, à la procédure législative et au contrôle de l'action du Gouvernement. Je serai donc conduit à donner un avis défavorable à certains amendements, par respect de cette décision, et cela même si l'amendement peut être intéressant sur le fond.

Mais, à cadre constitutionnel constant, ce texte apporte des avancées majeures, organisées autour de quatre axes.

Le premier axe est celui de l'amélioration de la procédure législative. Dans le prolongement de la réforme constitutionnelle de 2008, nous renforçons encore le rôle des commissions. Nous innovons en mettant en place une procédure dite de législation en commission, qui pourra être utilisée dès lors que tous les groupes politiques l'acceptent. Nous affirmons une parole claire et concise de chaque groupe politique sur le texte et sur l'article : c'est un nouvel équilibre qui, je le sais, fera débat. Nous mettons fin à ce tunnel interminable de début de texte auquel tant d'entre nous n'assistent pas tant il est fastidieux. Nous regroupons les votes le mardi, après les questions au Gouvernement, plutôt qu'au bout de la nuit. Nous supprimons les motions de renvoi en commission qui n'ont quasiment jamais abouti depuis 1958. Nous rénovons le temps législatif programmé, y compris en instaurant de nouveaux droits pour l'opposition, afin que la Conférence des présidents puisse en repenser l'usage. Toutes ces réformes visent à plus d'efficacité dans nos débats, et l'histoire a prouvé que l'efficacité et la qualité ne sont pas antinomiques.

Le deuxième axe concerne le renforcement des droits des groupes d'opposition et des groupes minoritaires ainsi que ceux des députés non inscrits : quatorze articles, soit près d'un tiers du texte, portent sur ce sujet. Parmi les mesures les plus emblématiques figurent la modernisation des questions au Gouvernement – nous y reviendrons, et je serai favorable à plusieurs amendements sur ce sujet – , l'attribution de deux premières vice-présidences à l'opposition, la représentation de tous les groupes au sein des commissions mixtes paritaires et la possibilité de débattre réellement des textes proposés lors des niches parlementaires, en supprimant les motions qui sont aujourd'hui quasiment systématiquement déposées. Il y a aussi de nouveaux droits de l'opposition qui, je le sais, feront encore largement débat. Je pense à la possibilité pour un groupe de choisir entre le poste de président ou de rapporteur au sein des commissions d'enquête et des missions d'information créées à son initiative, à la nouvelle répartition des questions au Gouvernement entre opposition et majorité, ainsi qu'aux droits des députés non inscrits, qui sont également raffermis.

Le troisième axe consiste, dans le prolongement de la loi pour la confiance dans la vie politique, à franchir un cap en matière de transparence et de déontologie. Le dispositif de prévention et de traitement des conflits d'intérêts est renforcé, en particulier par l'instauration d'une nouvelle procédure de déport ; les missions et les pouvoirs du déontologue sont consacrés, que ce soit en matière de contrôle de l'utilisation de l'avance de frais de mandat ou en matière de représentants d'intérêts ; nous inscrivons des obligations de déclaration et de transparence nouvelles… Bref, nous répondons à une exigence démocratique, avec une conscience aiguë de la nécessité de l'exemplarité et de la transparence. Nous franchissons en la matière une étape qui ne l'avait jamais été jusqu'alors. Nombre d'entre nous sont très attachés à ces avancées politiques majeures que nous propose le président Ferrand.

Le quatrième et dernier axe répond au besoin d'ouvrir notre institution à la participation citoyenne. À cette fin, il est proposé de rénover la procédure du droit de pétition. Cette procédure n'est plus usitée, et nous voulons la raviver.

Nombre de ces points sont issus de propositions des différents groupes. Lors de l'examen de ce texte, je mettrai en avant ces contributions, afin de vous montrer leur importance dans la construction de ce texte.

Notre travail en commission a quant à lui permis d'apporter une quinzaine de modifications significatives, qui se sont nourries des amendements et de nos échanges. Il y a des points importants, comme le regroupement des votes en journée après les questions au Gouvernement, des mesures fortes en matière de déontologie, un dispositif contre le harcèlement, issu d'un groupe de travail parlementaire transpartisan sur le sujet, ou les débats avant les conseils européens.

Ce travail a aussi permis de poursuivre la réflexion entre les réunions de la commission et la discussion dans l'hémicycle, ce qui a abouti à des clarifications de la position de chaque groupe sur les séances de nuit ou sur les groupes d'opposition. Je serai amené à présenter de nouveaux amendements de synthèse sur certains points, comme les pétitions, la parité ou l'évaluation.

Mais certaines positions, soyons clairs, sont irréconciliables. Faut-il ou pas rehausser la taille minimale des groupes à 5 % des députés ? La répartition du temps de parole entre le groupe et le député ne fait pas consensus non plus : faut-il qu'un groupe parle au nom de ses députés sur l'article, ou en cas d'amendements identiques ? Faut-il, ou pas, réduire de trente à quinze minutes la durée de défense de motions et de dix à cinq minutes les interventions dans la discussion générale ? Il nous faudra donc trancher dans cet hémicycle, j'en suis conscient.

Le président Ferrand a trouvé dans ce texte, je le crois, un juste équilibre. Cette proposition de nouveau règlement ne conciliera pas les positions inconciliables, mais constituera une étape importante de la vie de notre assemblée. Nous proposons des avancées majeures, en allant, je crois, aussi loin que nous pouvions aller à « iso-Constitution ». Nous le faisons grâce à une méthode remarquable de concertation avec tous les groupes politiques, qui s'inscrit d'ailleurs dans la lignée de la dernière réforme pilotée par Claude Bartolone et qui relève d'une véritable coconstruction.

C'est cette recherche de juste équilibre qui devra, je crois, guider nos débats ; un juste équilibre que ce texte peut légitimement revendiquer, et que pour ma part je défendrai avec engagement et détermination.

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