Intervention de André Chassaigne

Séance en hémicycle du lundi 27 mai 2019 à 16h00
Modification du règlement de l'assemblée nationale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Pour modifier nos règles communes de fonctionnement, la recherche du consensus est sage et nécessaire. Elle est la condition d'une réforme respectable pour tous, la majorité et l'opposition, qu'elles soient celles d'hier, d'aujourd'hui ou de demain.

L'élaboration des règles de droit parlementaire ne peut, en effet, se concevoir que dans l'exigence du devoir démocratique. Nous partageons tous ici le même constat : le mode de fonctionnement de notre assemblée n'est pas satisfaisant. Insatisfaisant car nos conditions de travail nous empêchent de remplir, dans de bonnes conditions, la noble et lourde tâche qui nous incombe. Insatisfaisant pour ceux que nous représentons, qui ont le sentiment que nos travaux sont inutiles, le fonctionnement de notre assemblée participant de la défiance que l'opinion publique nourrit à son égard. C'est pourquoi il est indispensable d'améliorer les pratiques de notre assemblée, de réformer son fonctionnement et de la moderniser, comme le préconise cette proposition de résolution dont nous partageons, a priori, l'objectif recherché.

Pour autant, si nous nous rejoignons sur certaines pistes que vous empruntez pour y parvenir, nous ne portons pas la même appréciation sur l'efficacité supposée de mesures qui, pour nous, s'avéreront beaucoup plus dangereuses que salutaires. Certes, nous soutenons les propositions visant à donner un peu plus de droits aux groupes d'opposition. Je pense notamment à la possibilité donnée à la Conférence des présidents d'accorder aux députés membres des groupes d'opposition plus de questions au Gouvernement : si cette possibilité était effectivement mise en oeuvre – elle n'est pas contraignante – , ce serait une petite avancée. De même, la disposition qui prévoit de confier aux députés de l'opposition, à leur choix, le poste de président ou de rapporteur au sein des commissions d'enquête et des missions d'information créées à leur demande, va dans le bon sens. Cette règle, déjà appliquée au Sénat, profitera à l'intérêt général et garantira un meilleur respect de l'État de droit, comme en a témoigné la commission d'enquête Benalla menée au Sénat.

Sont également des avancées appréciables, bien que peu déterminantes, la volonté d'assurer une meilleure représentation de l'opposition au sein des organes de l'Assemblée, la volonté de garantir la présence d'au moins un suppléant pour chaque groupe au sein des commissions mixtes paritaires, de confier le poste de premier vice-président de l'Assemblée comme celui du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques à un parlementaire d'opposition, ou bien encore d'accorder plus de place aux députés non inscrits.

Cependant, ces propositions restent très en deçà des besoins de renforcement des droits de l'opposition parlementaire, seule à même, sous la Ve République, d'assurer un semblant de rééquilibrage des pouvoirs. C'est pourquoi nous vous ferons des propositions pour valoriser ces droits trop anecdotiques, tout en regrettant d'être contraints de ne faire des propositions qu'à Constitution constante. En effet, après les vicissitudes que la majorité a rencontrées lors de sa première tentative de révision constitutionnelle au cours de l'été dernier, vous nous pressez aujourd'hui de réformer notre règlement sans attendre un futur projet de loi constitutionnelle pourtant annoncé. Nous sommes ainsi limités dans notre capacité à faire des propositions. D'ailleurs, certains de nos amendements ont été déclarés irrecevables pour ce motif.

Cette précipitation n'est-elle pas un double aveu ? Est-ce l'aveu que, finalement, vous ne croyez pas possible l'aboutissement d'une réforme constitutionnelle ? Est-ce l'aveu que, contre vents et marées, vous voulez inscrire dans notre règlement les pires travers imaginés par cette réforme avortée ? Nous y retrouvons, en effet, les deux axes essentiels des souhaits présidentiels pour mettre plus encore le Parlement au pas : tout d'abord, étouffer le débat démocratique dans ce lieu où, plus qu'ailleurs, les affaires de la société peuvent être débattues, mais aussi accentuer l'emprise gouvernementale sur la fonction juridique du Parlement au moyen de techniques de rationalisation toujours plus délirantes et d'une discipline majoritaire débridée.

Emmanuel Macron nous avait avertis, dans son livre programme, qu'il voulait en finir avec le « bavardage législatif » pour être efficace, disait-il. Monsieur le président, vous satisfaites ce souhait, même si vous le formulez en termes plus élégants : il s'agirait de « fluidifier les débats ». Mais qu'il s'agisse d'en finir avec les « bavardages législatifs » ou de « fluidifier », le résultat est identique : la majorité souhaite corseter les débats, voire y mettre un terme.

Réduction du temps de la discussion générale – les « bavardages » d'un Jaurès ou d'un Clemenceau ne seraient plus possibles avec votre réforme ! – ; suppression de la motion de renvoi en commission ; division par deux du temps de défense de la motion de rejet préalable ; limitation des interventions sur les articles à un seul orateur par groupe ; suppression des explications de vote sur les articles ; réduction des droits de réplique sur les amendements à la suite de l'avis du Gouvernement et de la commission ; impossibilité pour les députés de défendre un amendement identique à celui d'un de leurs collègues du même groupe : tels sont les moyens imaginés au nom de la rationalisation pour empêcher les débats au sein de notre hémicycle.

La raison avancée est que nous devons, à tout prix, gagner du temps – une idée fixe ! Or, et contrairement aux idées reçues, le Parlement français n'est pas lent. Le président Bartolone le disait lui-même : nous sommes dans la moyenne européenne en nombre de textes adoptés et de jours de séance. Seuls des pays ayant des parlements monocaméraux votent la loi sensiblement plus rapidement. Faut-il rappeler que, sous ce prétexte, toutes les réformes du règlement engagées depuis 1958 pour dégager davantage de temps ont eu l'effet inverse ? Le nombre de séances n'a cessé d'augmenter, et pour cause : les projets de loi gouvernementaux et propositions de loi d'inspiration gouvernementale sont en inflation constante. En fait, nous ne cessons de dégager du temps pour laisser du temps au Gouvernement de nous noyer, plus encore, sous sa logorrhée législative.

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