Intervention de André Chassaigne

Séance en hémicycle du lundi 27 mai 2019 à 16h00
Modification du règlement de l'assemblée nationale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Si cette réforme est adoptée, le résultat sera identique : nous ne gagnerons pas de temps. En revanche, les conséquences seront désastreuses pour le débat démocratique.

Et pourtant, étymologiquement, le Parlement est le lieu où l'on se parle. Un débat n'existe que s'il est contradictoire. C'est même la raison d'être de l'institution parlementaire : permettre la confrontation des idées politiques divergentes ou antagonistes. Nous devons garder en mémoire que l'état de démocratie n'est pas un état naturel et que toute action visant à le rétrécir le dégrade. Comme le souligne Cynthia Fleury : « Pour grandir, les démocraties doivent préserver leurs sources énergétiques qui résident dans la confrontation des contraires, comme le Bien et le Mal ».

Notre rôle de législateur, sous l'effet combiné du régime de la Ve République et de l'exercice monarchique du pouvoir, se résume à voter la loi. Mais aujourd'hui, non contents de renoncer à vous réapproprier le pouvoir de faire la loi, non contents de vous résigner à n'être qu'une chambre d'enregistrement de la volonté de l'exécutif, vous vous apprêtez à nous priver du peu de pouvoir qu'il nous reste : celui de prendre le temps du débat. Un temps long, celui qui permet de se confronter, d'échanger des arguments, celui qui permet à l'opinion publique de s'imprégner des questions débattues, de se saisir du débat et de se réapproprier les enjeux politiques et démocratiques.

Soyons lucides : comment regagnerons-nous notre légitimité auprès de l'opinion publique, si nous acceptons notre impuissance à légiférer et si nous nous privons du temps nécessaire pour faire vivre la démocratie ? Le débat parlementaire, c'est aussi faire rentrer dans l'hémicycle les vécus du quotidien, l'expression des sentiments, des voeux, des espérances, des impatiences qui animent la démocratie. C'est être l'écho de la voix de nos concitoyens, le relais de l'âpre parole populaire. C'est aussi pour cela que nous sommes ici par la volonté du peuple. La démocratie parlementaire n'est pas une simple mécanique, elle ne se limite pas à un cylindre et un piston : elle exige de la vapeur. C'est ce que vous voulez nous enlever.

Enfin vous voulez aussi étouffer une autre mission du travail parlementaire : porter la vision d'une société, car c'est aussi cela qui donne des lettres de noblesse à la politique, c'est aussi cela qui fait sa légitimité. Votre peur des batailles politiques, des débats qui font du bruit au Parlement, vous conduit à déplacer le bruit et la fureur dans les rues. Vous n'empêcherez pas la résistance, bien au contraire : vous la susciterez en voulant la briser.

En guise de conclusion, permettez-moi de livrer à votre réflexion ces mots du constitutionnaliste Guy Carcassonne, en espérant qu'ils vous guideront pour réorienter l'écriture de cette proposition de résolution : « Conçus pour être les béquilles d'un Gouvernement flageolant, les instruments du parlementarisme rationalisé sont devenus, entre les mains de gouvernements forts, des armes outrancières ». Ne choisissez pas de multiplier ces instruments pour transformer les armes outrancières en bombes à déflagration, même s'il s'agit de bombes à retardement. Parce que nous le savons tous : « Demain est un autre jour ».

Comme vous nous l'aviez dit lors de votre installation, monsieur le président, notre assemblée est belle : elle est belle parce que nous sommes ensemble, nous sommes la diversité de la France. Elle est belle parce que nous sommes des citoyens engagés, qui portons avec ferveur le désir de servir notre peuple et notre pays. Notre assemblée est belle quand elle se saisit de ce qui fera la vie des générations futures. Notre assemblée est belle quand elle débat et embrasse des sujets qui dépassent de loin le seul champ de la législation nationale. C'est ce que vous aviez dit, monsieur le président, et j'avais trouvé votre discours excellent !

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