Intervention de Stéphane Peu

Séance en hémicycle du mardi 28 mai 2019 à 15h00
Transformation de la fonction publique — Explications de vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Peu :

Mes chers collègues, nous voilà parvenus à l'issue de l'examen du projet de loi de transformation de la fonction publique, que l'on pourrait utilement rebaptiser, afin que nos concitoyens comprennent de quoi il est question, « projet de loi d'extinction de la fonction publique ».

Votre texte met à mal la conception française et républicaine de la fonction publique, un modèle dont la grandeur et l'originalité sont remarquées, sinon enviées, dans le monde entier. Vous affaiblissez une fonction publique fondée sur la neutralité, qui garantit de servir l'intérêt général plutôt que les intérêts particuliers ; une fonction publique entrée dans la modernité au sortir de la dernière guerre mondiale, lorsqu'il fallut reconstruire, à partir de ses services publics, une nation démocratique faisant le choix du progrès, de la liberté et de l'égalité, contre l'obscurité et la barbarie.

Mesurez, chers collègues, que c'est dans ce contexte si particulier, au sortir de l'occupation nazie et de la collaboration vichyste, que s'est construit le statut moderne de notre fonction publique. Bâti autour de trois principes, l'égalité, la neutralité et la responsabilité, ce statut crée un fonctionnaire-citoyen qui n'est pas le « rouage impersonnel de la machine administrative », pour reprendre les mots du ministre de l'époque du général de Gaulle, Maurice Thorez.

Oui, cette fonction publique a su évoluer, notamment sous l'impulsion d'Anicet Le Pors, à l'orée des années 1980, pour être l'outil d'une France moderne, décentralisée, organisée autour de collectivités s'administrant librement dans l'intérêt de tous.

Oui, cette grande fonction publique s'est montrée capable de répondre aux exigences de développement de nos services publics dans tant de domaines : se soigner, s'éduquer, se déplacer, communiquer, être protégé, défendu... Tant de besoins essentiels pour nos vies !

Les Français d'ailleurs le savent bien, eux qui, confrontés à une paupérisation accrue, à des inégalités entre les territoires toujours plus profondes, réclament aujourd'hui massivement plus de services publics. Ils savent bien que l'action publique et l'esprit républicain qui l'anime sont parmi les vecteurs les plus fiables de la cohésion sociale et territoriale.

Le statut de fonctionnaire n'est pas un privilège. Il est l'expression et l'incarnation des valeurs essentielles à la vitalité de notre République : la primauté de l'intérêt général, l'affirmation des principes d'égalité, de laïcité et de probité.

Malheureusement, votre texte tourne le dos à ces valeurs. Vous choisissez d'opérer un glissement du privé vers le public. C'est votre obsession : quand vous ne confiez pas au privé les missions du public, vous injectez dans le public les méthodes du privé. C'est l'esprit et la lettre de votre projet de loi que l'État soit « géré comme une entreprise » – pour reprendre la formule d'Emmanuel Macron.

Tel est le sens du recours massif aux contractuels. Or, pour nous, c'est le concours qui doit rester la règle d'entrée dans la fonction publique, parce qu'il garantit le principe d'égalité au détriment de l'entre-soi, des réseaux d'influence et du clientélisme. Il garantit à chacun de nos concitoyens la possibilité de faire valoir ses compétences et il préserve l'action publique des conflits d'intérêts qui contreviennent à l'intérêt général.

Il en est de même du pantouflage et du rétro-pantouflage, c'est-à-dire de ces allers-et-retours entre public et privé, ou du recours à des contractuels notamment sur les postes à haute responsabilité, entretenant ainsi la confusion des finalités du public et du privé.

Comme dans le privé, avec les contrats de chantier, vos contrats de projet, qui peuvent être rompus avant terme et qui ne donnent lieu ni à la titularisation ni à un CDI, réduiront de facto l'indépendance de l'agent face aux pressions économiques et politiques.

Comme dans le privé, vous introduisez le détachement d'office et l'usage de la rupture conventionnelle – une véritable arme de destruction massive pour satisfaire la véritable ambition de ce projet de loi, à savoir supprimer à terme 120 000 postes de fonctionnaires, soit un plan social inégalé dans le secteur public.

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