Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du mercredi 15 mai 2019 à 13h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics :

Merci, monsieur le président, pour vos questions, très claires, auxquelles je peux répondre tout de suite. Je me doutais que, malgré les bonnes nouvelles et votre honnêteté intellectuelle, vous souhaiteriez, c'est bien normal, mettre l'accent sur les quelques points noirs que présente la peau d'un visage tout de même très nettoyé... Je vais continuer à essayer de vous convaincre, sans revenir sur le constat, car le projet de loi de règlement le montre très bien : le déficit baisse et la dépense publique aussi, même si nous partageons une même inquiétude à propos de la dette, nonobstant sa sincérisation avec la dette de la SNCF.

Je ne partage pas votre opinion selon laquelle l'augmentation de 6 milliards d'euros des dépenses de l'État est essentiellement due aux dépenses de personnel. Il y a déjà 1,7 milliard d'euros d'augmentation pour les armées. En fait, si nous considérons les augmentations de crédits arrêtées, il ne reste que moins de 1 milliard d'euros sur lesquels nous pouvons discuter. Vous dites que ce sont les dépenses de personnel. Vous avez raison de dire qu'en 2017 elles ont été très dynamiques. Je rappelle les mesures prises sous la présidence de M. Hollande, notamment l'augmentation du point d'indice, par deux fois, pour les collectivités locales et pour l'État, de 0,6 %, la mise en place du protocole « parcours professionnels, carrières, rémunération » (PPCR), l'absence de jour de carence. En 2018, nous avons, en loi de finances, fait tout le contraire, pour freiner la progression de la masse salariale : mise en place de ce jour de carence, report du PPCR et non-augmentation du point d'indice.

Quant à la réduction du nombre de fonctionnaires et à la discussion que peut susciter l'article 10 de la loi de programmation, cette programmation ne jouait pas pour 2018 et pour 2019. Chacun sait – pour avoir été ministre de la fonction publique et des comptes publics vous le savez – que si vous arrêtez de recruter des agents publics, en ne remplaçant pas un départ à la retraite sur cinq, cela ne joue pas pendant les premières années sur le plan budgétaire. On ne peut pas se séparer d'agents publics ; par nature, ils ont un statut. La question est plutôt celle de la masse salariale, dont l'augmentation est difficile à freiner. Chaque élu local voit très bien l'effet du glissement vieillesse technicité sur le budget de sa commune.

La question des 120 000 – 70 000 du côté des collectivités, 50 000 pour l'État – est une autre question. Nous parviendrons à l'objectif de 70 000 grâce à la contractualisation financière, sans baisse des dotations aux collectivités locales, voire avec des augmentations pour certaines d'entre elles. Quant aux 50 000, nous travaillons à documenter cela. Le Président de la République a dit qu'il ne voulait pas que ce soit un objectif en soi : ce doit être la conséquence de la transformation. Si nous parvenons aux 120 000 en 2023 plutôt qu'en 2022, parce que c'est alors que telle belle transformation d'une administration – j'y oeuvre dans mon ministère, mes collègues en font de même dans les leurs – aura été menée à son terme, il ne faut pas s'arc-bouter sur le chiffre de 120 000, mais c'est toujours l'objectif du Gouvernement. Le Premier ministre, après un travail avec le Gouvernement, produira une documentation et dira ce qu'il en est de la traduction budgétaire.

Vous disiez, monsieur le président, que le déficit de l'État représentait 120 % du déficit, et les dépenses de l'État 30 % de la dépense. Je ne partage pas cette opinion. L'État est très vertueux, depuis longtemps, même s'il doit continuer à faire des réformes et de continuer à limiter son train de vie. Vous l'avez dit vous-même, monsieur le président : 30 % des dépenses sont le fait de l'État ; 50 % sont le fait des administrations de sécurité sociale, du social en général ; 20 % sont le fait des collectivités locales. Cependant, l'État assume toutes les charges pour lui : il transfère 10 milliards d'euros de TVA à la sécurité sociale, il compense 16 milliards d'euros de dégrèvements d'impôts locaux aux collectivités ; il subit toutes les baisses d'impôts décidées – tandis que c'est la sécurité sociale qui a bénéficié des recettes supplémentaires de contribution sociale généralisée (CSG) engrangées en 2018.

L'État fait des efforts très importants, et les crédits augmentent en effet de 2,7 milliards d'euros en 2018, et de 2 à 5 milliards d'euros chaque année selon les gouvernements, tandis que les dépenses des administrations sociales augmentent de 10 à 12 milliards d'euros par an. Il faut donc comparer ce qui est comparable.

Je ne partage donc pas votre opinion selon laquelle l'État est un mauvais élève, monsieur le président. Il essaye d'être meilleur élève, et doit continuer à faire des efforts, bien sûr, mais, si le déficit du budget de l'État augmente, c'est que celui-ci prend à sa charge les baisses d'impôts, non seulement la baisse des impôts dont il perçoit les recettes mais aussi la baisse des prélèvements dont bénéficient d'autres.

Que dit la Cour des comptes ? Je n'ai pas eu l'occasion de lire ce qu'elle écrit in extenso, mais je partage en très grande partie ce qu'elle exprime.

Je me suis toujours dit que la France n'était pas vraiment un pays libéral. Le patronat n'est pas tout à fait libéral, et ceux qui se disent libéraux ne le sont pas tout à fait non plus, si j'en crois certains débats parlementaires.

Les crédits et réductions d'impôts, au profit des particuliers ou des entreprises, représentent à peu près 100 milliards d'euros, et il existe 474 niches fiscales. Elles ont toutes leur intérêt, elles ont toutes, comme dirait Brassens, leur petit mérite. Cependant, si nous supprimions l'intégralité des niches fiscales dont bénéficient les entreprises – hypothèse absurde, nous ne le ferons pas –, nous pourrions abaisser le taux de l'impôt sur les sociétés à moins de 15 %. Simplement, depuis très longtemps, nous faisons un peu, quels que soient les gouvernements, de l'« idéologie fiscale ». Voulant corriger des inégalités par la fiscalité, nous avons prélevé des impôts très élevés, et, comme ils étaient peu acceptables, pour les entreprises comme pour les particuliers, nous avons multiplié les niches – comme s'il fallait faire des trous dans un gruyère trop dense. Et que voyons-nous maintenant ? Il faut continuer à supprimer des impôts mais on veut garder les niches. Comme dirait Coluche, on veut moins de gruyère, tout en gardant les trous. Cela a constitué une large part de nos discussions lors de la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Rappelez-vous : vous étiez nombreux à vouloir conserver les réductions d'impôts pour l'investissement dans les petites et moyennes entreprises (PME), le dispositif dit ISF-PME, parfois même des membres de la majorité !

Ce débat à propos des niches fiscales ne tient pas qu'à des questions de lisibilité, de manque de clarté, à des errements – mais je laisse les magistrats de la Cour des comptes faire leurs remarques. Les niches signifient – c'est un choix politique – que nous considérons que les acteurs économiques ne sont pas assez libres pour faire eux-mêmes leurs choix d'investissement ou de consommation puisque nous partons du principe qu'il faut les orienter. Peut-être le faut-il, et c'est une discussion économique très intéressante, peut-être l'homme économique n'est-il pas libre et ne prend-il pas de bonnes décisions. Avec 100 milliards d'euros, nous n'en arrivons pas moins à un montant très important, supérieur au produit de l'impôt sur le revenu, qui est de 73 milliards d'euros. Cela pose des questions... Je suis un peu seul à penser ainsi, monsieur le président, il faut bien l'avouer, mais je l'ai toujours pensé avec constance – et avec Joël Giraud... Même si les niches fiscales ont leur intérêt, elles ne sont malheureusement que la conséquence d'un impôt très élevé. Si nous baissons très fortement l'impôt, des niches méritent d'être réduites, voire supprimées – puisque vous m'interrogez personnellement, je vous réponds.

Quant à la charge de la dette, j'ai eu un échange très vif avec le président du groupe auquel vous appartenez, monsieur le président de la commission des finances. Il m'a traité de menteur dans l'hémicycle, alors qu'il s'était manifestement trompé. Ce n'est pas très grave, cela peut arriver. Ce qui m'a plus choqué, c'est qu'une fois que je le lui ai démontré, il ne s'est pas excusé, mais c'est un autre problème...

Effectivement, la charge de la dette diminue, parce que les taux d'intérêt ne sont pas ce que nous attendions. Nous le constatons. La dette s'est stabilisée, la Cour des comptes le dit, nous regrettons évidemment qu'elle ne diminue pas et qu'elle soit beaucoup trop élevée. La baisse de la charge de la dette doit-elle nous empêcher de faire des efforts ? Je ne le pense pas. Selon certaines tribunes très intéressantes que j'ai lues, il faudrait profiter de la faiblesse des taux pour continuer à emprunter et dépenser. Tout d'abord, cela n'est que très provisoire et, à chaque fois, cela veut dire s'endetter pour sept ou huit ans, risquer de porter la dette à un niveau insupportable, exposer le gouvernement qui nous succédera ou le suivant au risque de devoir augmenter les impôts et étrangler notre économie. Je remarque que la charge de la dette baisse. C'est le fait, d'une part, de la politique monétaire menée en Europe et ailleurs et, d'autre part, de l'action des fonctionnaires de l'Agence France Trésor et de Bercy, qui travaillent très bien – saluons leur action. Cette situation ne doit pas nous empêcher de voir le problème. Il faut profiter de cette charge de la dette en baisse non pour augmenter de nouveau notre dette mais pour faire des efforts sur nos dépenses et, pour les générations futures, rembourser notre dette.

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