Intervention de Augustin de Romanet

Réunion du mercredi 22 mai 2019 à 11h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Augustin de Romanet, président-directeur général d'Aéroports de Paris (ADP) :

Je vous remercie de m'accueillir pour cette présentation. Je rappellerai brièvement les grands enjeux du transport aérien et du groupe ADP, vous exposerai nos projets, puis vous dirai quelques mots de la privatisation car vous ne comprendriez pas que je ne parle pas de ce sujet d'actualité.

Quels sont les grands enjeux des groupes aéroportuaires mondiaux et d'ADP ? J'ai coutume de dire que l'entreprise n'appartient pas uniquement à ses actionnaires, mais à toutes ses parties prenantes – clients, salariés, actionnaires, mais aussi territoires sur lesquels elle exerce son activité.

Aux XXe et XXIe siècles, un nouveau métier a émergé, dans des conditions de croissance totalement atypiques, car non soutenables sur le long terme. Le transport aérien représentait 100 millions de passagers en 1960 et on estime que 8 milliards de passagers prendront l'avion en 2037, soit une multiplication par 80 en 80 ans. Cette demande croissante tient notamment au fait que les personnes accédant au statut de classe moyenne veulent voyager – un Indien moyen voyage 28 fois moins qu'un Américain. Après s'être logées, nourries, vêtues, les classes moyennes des pays émergents veulent voyager.

Sans considérer cela comme acquis pour l'éternité, à court terme, la demande de notre clientèle est forte et, en tant qu'aéroports, nous devons y répondre. À Paris, entre 2013 et aujourd'hui, nous avons reçu 16 millions de passagers supplémentaires. En six ans, sans aucun nouvel équipement, nous avons donc accueilli l'équivalent de deux fois l'aéroport de Marseille, ou plus que l'aéroport de Nice.

Notre première responsabilité vis-à-vis de nos clients est d'optimiser nos infrastructures – l'inauguration d'Orly 3 en est une illustration. Ces derniers recherchent également la connectivité : avec 331 villes et cent dix-sept pays desservis, et la meilleure desserte européenne vers la Chine, Paris remplit son rôle de facilitation du développement économique du pays.

En outre, nos clients recherchent la qualité de service. Une de nos priorités est de bien exercer notre mission d'hospitalité dans l'aéroport. Un classement récent, prenant en compte la ponctualité des avions, a fait polémique : on ne peut comparer la ponctualité dans un aéroport où trois avions décollent chaque jour et celle d'un aéroport comme Charles-de-Gaulle… Le classement AirHelp ne rend donc pas compte du travail réalisé par nos équipes. Le classement Skytrax souligne bien que nous avons amélioré notre performance et ainsi gagné 65 places depuis 2014. Nous sommes toujours sur une trajectoire ascendante.

Ensuite, que nous demandent nos actionnaires ? Ils veulent de la rentabilité, de la responsabilité et de la prévisibilité. S'agissant de rentabilité, le total shareholder return (TSR) ou rendement global d'un actionnaire qui aurait acheté une action en novembre 2012 et l'aurait revendue en décembre 2018, est de 22,5 % par an. De même, les dividendes ont régulièrement progressé puisque nous distribuons 60 % de nos résultats.

Enfin, qu'en est-il de nos salariés ? Notre objectif est d'accroître la performance de l'entreprise : nous savons que cela passe par la performance des salariés, leur développement personnel et leur formation professionnelle. Nous avons donc passé de très nombreux accords avec les organisations syndicales : accord d'intéressement sur le partage de la valeur ajoutée – nous sommes fiers de distribuer chaque année 8 % de la masse salariale en participation et en intéressement, ce qui permet à nos salariés de posséder 1,6 % du capital du groupe ADP, soit plus de 300 millions d'euros ; accord sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences en janvier 2019 ; accord sur l'égalité professionnelle ; accord sur la diversité en 2017 ; accord permettant de prendre des congés supplémentaires pour s'occuper d'un enfant ou d'un proche ; accord de télétravail.

Notre taux d'emploi de personnes handicapées est de 7,3 %, supérieur aux obligations légales, ce dont nous sommes très fiers. Nous avons le souci d'accroître l'apprentissage – nous allons doubler notre nombre d'alternants au cours de l'année à venir ; nous multiplions les stages – notamment pour les élèves de troisième. Cela nous permet de conserver des salariés mobilisés pour les missions de l'entreprise – notamment la qualité de service – quelles que soient les circonstances extérieures.

Les territoires sont la troisième partie prenante : vous le savez, un aéroport ne peut pas se développer si les territoires alentours n'ont pas le sentiment que les externalités positives compensent les externalités négatives. Un aéroport accueille des avions qui font du bruit. Si nous ne sommes pas en mesure de créer des emplois, pourvus par les personnes des territoires proches, et de relayer les préoccupations environnementales pour maximiser les réductions de bruit, nous ne faisons pas notre travail. Notre structure tarifaire nous permet de favoriser les avions peu bruyants et qui polluent peu.

Nous essayons de conserver un équilibre entre ces quatre principales parties prenantes dans nos projets.

Quels seraient nos projets dans les cinq ans du mandat à venir si vous acceptiez de continuer à me le confier ? Nous souhaitons satisfaire la demande des clients – pouvoir être accueillis dans des conditions acceptables – quels qu'ils soient : clients des lignes internationales, comme ceux des lignes sous obligation de service public (OSP) à Orly, qui arrivent par exemple d'Aurillac. Nous allons investir 6 milliards d'euros dans les cinq prochaines années, en étant le plus productif possible et en continuant à demander à nos salariés des efforts d'organisation. Nous allons réaliser 130 millions d'euros d'économies d'ici 2025, ce qui devrait nous permettre de n'augmenter nos tarifs que de la hausse des prix plus 1,35 %, tout en doublant le montant des investissements – contre une augmentation égale à celle des prix plus 1,3 % dans le précédent contrat.

Parallèlement, nous allons continuer à développer nos activités commerciales, immobilières et internationales. Le développement de ces dernières doit permettre à l'entreprise de capter la croissance mondiale, de proposer à nos plus jeunes collaborateurs des carrières internationales qui rendent l'entreprise très attractive pour eux et de projeter le savoir-faire français en ingénierie, en bâtiment et travaux publics (BTP), en tours de contrôle ou en systèmes de transport automatique (people mover). Lorsque nous sommes concessionnaires d'un aéroport à l'autre bout du monde, les entreprises françaises peuvent y réaliser des investissements, des prestations de service, des constructions, etc.

Ce développement n'est possible que s'il est acceptable, en particulier en termes d'empreintes sonore et carbone. Nos émissions de CO2 ont diminué de 70 % depuis 2008 et nous nous sommes fixé l'objectif ambitieux de neutralité carbone en 2030 – sans acquisition de quotas de compensation. Nous allons recourir à des modes de chauffage plus écologiques – chauffage au bois et géothermie. Nous avons investi dans une chaudière au bois qui chauffe 25 % de l'aéroport Charles-de-Gaulle et allons développer la géothermie – elle est déjà installée à Orly. Nous allons mettre nos flottes de véhicules à l'électrique et installer des prises aux points de parking pour éviter que les avions n'utilisent les groupes électrogènes lorsqu'ils sont à poste.

Nous nous sommes fixé une discipline interne stricte et avons décidé de fixer le prix interne du carbone à 100 euros, ce qui nous assure qu'il va « mordre » sur nos décisions d'investissement fortement émettrices de CO2. En outre, nous avons le devoir d'encourager les compagnies aériennes à développer des comportements vertueux. Je ne vous cache pas ma satisfaction lorsque, récemment, j'ai reçu l'actionnaire de la compagnie Corsair qui a bien compris que nous n'étions pas amis des avions bruyants et m'a annoncé que l'entreprise allait progressivement retirer ses Boeing 747 d'Orly par souci de l'environnement. Nos structures tarifaires visent à favoriser les avions qui polluent peu et font moins de bruit – un Airbus A320 Neo est deux fois moins bruyant qu'un A320 ancienne génération.

S'agissant des territoires, nous faisons beaucoup d'efforts pour l'accès à l'emploi et cherchons à renforcer les relations entre employeurs présents sur les plateformes et demandeurs d'emploi, à approfondir la coopération avec l'éducation nationale et les collectivités compétentes, mais aussi à améliorer l'insertion des personnes éloignées du marché du travail.

Pour conclure – vous ne seriez probablement pas à l'aise si je n'abordais pas de moi-même le sujet – je reviendrai sur la privatisation. Depuis ma nomination il y a six ans, j'ai toujours veillé à nous immuniser contre une identification de l'entreprise à la privatisation. Nous n'avons jamais considéré qu'elle était en soi à redouter ou à désirer. Notre fierté, c'est de remplir nos devoirs vis-à-vis des quatre parties prenantes, quel que soit notre actionnaire. Il n'existe pas de fatalité à être mal géré quand on est public, et appartenir à un actionnaire privé ne signifie pas forcément être efficace.

Notre fierté, et celle des collaborateurs d'ADP, est de rendre un bon service aux clients, aux compagnies aériennes et de respecter les territoires, quels que soient notre statut et la nature de l'actionnaire. Lorsqu'il y a deux ans, les pouvoirs publics nous ont fait part de leur souhait de descendre en dessous de 50 % du capital, nous leur avons transmis les éléments techniques de nature à permettre de préserver l'intégrité du modèle économique de l'entreprise et celle du système aéroportuaire francilien – Orly, Le Bourget et Charles-de-Gaulle, qui se complètent et ne se font pas concurrence.

La loi PACTE, telle que vous l'avez votée, accroît la faculté pour la puissance publique de contrôler l'actif et certains de nos collaborateurs, sur le ton de la plaisanterie, répètent souvent que cette loi nationalise l'entreprise ! Bien sûr, ce n'est pas le cas car la loi autorise l'État à réduire sa participation sous 50 %, mais des dispositions accroissent le contrôle sur le foncier et les actifs de Paris redeviendront propriété publique dans soixante-dix ans. Je suis évidemment prêt à répondre à vos questions sur le sujet.

S'agissant du référendum d'initiative partagée, nous n'avons pas de commentaire à faire. Concernant la décision du Conseil constitutionnel sur la loi PACTE, nous ne pouvons naturellement pas commenter sa décision, comme cela a été repris dans une dépêche. Mais l'argument consistant à dire que nous sommes en concurrence nous touche puisque nous nous vivons comme tel : lorsqu'un passager veut aller du continent américain au continent asiatique, il est obligé de prendre une correspondance. Nous sommes alors en très forte concurrence avec Londres, Amsterdam, Francfort, Istanbul, Doha, Abou Dhabi, Dubaï et même Oman, qui vient de créer un hub il y a quelques mois. Nous sommes également en concurrence avec les centres-villes pour les commerces et avec les grands aménageurs pour l'immobilier – ainsi à Orly avec Icade.

Le ministre des finances a indiqué dimanche dans une interview qu'il souhaite que la France dispose d'un groupe aéroportuaire leader mondial. Nous partageons cet objectif et nous avons eu cette chance en 2018, avec 280 millions de passagers. Il est donc possible d'être leader mondial en étant public. Si nous ne gagnons pas d'autres concessions, il se peut que nous perdions cette première place car nous perdons l'exploitation de l'aéroport Atatürk à Istanbul, soit 70 millions de passagers en moins en 2019. Mais la compétition a toujours stimulé les énergies, c'est pourquoi nous ne la redoutons pas !

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