Au début, ce devait être un toilettage, et cela se termine en caviardage. Au début, vous disiez vouloir un large accord, et cela se termine en large désaccord. Vous eussiez pu en tirer la leçon, mais non, vous préférez abuser de votre position dominante ; vous allez donc réformer seuls le règlement de l'Assemblée nationale.
Nous avions abordé la discussion de cette réforme du règlement dans un esprit constructif et avec la volonté d'aboutir à des compromis potables. En effet, une réforme du règlement ne peut se concevoir sans un minimum de consensus, ou au moins de sa recherche, sans quoi elle est illégitime, car il s'agit de la règle commune.
Nous pensions pourtant qu'il était possible de faire évoluer notre règlement pour améliorer notre fonctionnement et renforcer l'utilité et la portée du travail des députés. Mais, là où vous voulez effacer le Parlement, nous voulons le renforcer. Et nous nous sommes heurtés à un mur du refus et de l'obstination. C'est symptomatique. Vous semblez considérer être ici pour faire de l'abattage et tailler aussi tôt que possible les parcelles désignées par le Président de la République. Vous semblez considérer n'avoir que peu de comptes à rendre ici et que peu à y apprendre. Vous voulez donc accélérer le mouvement puisqu'il ne sert à rien d'amender, de discuter, d'argumenter. Vous voulez vous faciliter l'existence en réduisant les droits du Parlement, de l'opposition et de chaque parlementaire. Le passage par l'Assemblée ne vous a-t-il pas souvent semblé n'être, au final, qu'une barbante formalité ?
Vous nous dites que ce texte est équilibré. Il ne l'est pas. Vous proposez à la représentation nationale de consentir à s'amputer elle-même d'une part de son pouvoir. Cela vient prendre place dans un paysage institutionnel où le Parlement est déjà malmené, et dominé par la figure tutélaire du Président de la République. Cela vient prendre place dans une crise politique que votre majorité est loin de résoudre et qu'au contraire, elle aggrave. Votre appétit hégémonique est en train non pas de remplir l'espace, mais de créer le vide.
Depuis le début, nous vous disons qu'il faut faire l'effort de prendre en compte les contradictions. Depuis le début, vous ne voulez pas l'entendre. Or, ici, nous avons précisément le devoir d'être l'un des catalyseurs de la démocratie, l'un des amplificateurs du débat démocratique du pays, l'un des haut-parleurs des aspirations populaires, qu'il convient de traduire en actes. Victor Hugo écrivait que la Convention était une complication d'hommes. Et vous, vous voulez simplifier ! Vous voulez que cela pulse, vous voulez que cela envoie ! Si des résistances se font jour à chacune de vos réformes, vous devriez vous interroger plutôt que de vous draper dans votre posture de majorité dont l'autorité serait injustement contestée.
Ici, vous allez réduire la discussion générale, assimilée à des « bavardages législatifs », entraver l'expression du sens, le déploiement de la pensée, l'esquisse d'une vision du monde. Cinq minutes de discussion générale sur tous les textes, quels que soient leur champ, leur importance politique et leur nombre d'articles… Tout cela pour réduire les décisions à des brochettes de mesures techniques, comme si elles ne relevaient pas de choix politiques. Plus de droite, plus de gauche : plus qu'un pouvoir installé, choisissant dangereusement son opposition, et engagé dans un mouvement perpétuel. Cela correspond bien à la culture managériale de l'entreprise que vous souhaitez imposer au Parlement, celle-là même qui justifie une conception pyramidale de la démocratie et une accélération du rythme de travail pour que la société soit toujours plus placée dans un état de sidération. Nous ne nous laisserons pas manager, ni diminuer !
Peut-être y aurait-il à sauver une mesure ou une autre, mais la plupart des outils imaginés dans ce nouveau règlement renforcent les moyens de l'exécutif pour légiférer sans entrave et avec notre consentement supposé : suppression de la motion de renvoi en commission, division par deux du temps de défense de la motion de rejet préalable, limitation des interventions sur les articles à un seul orateur par groupe, suppression des explications de vote sur les articles, et impossibilité pour les députés de défendre un amendement identique à celui d'un des membres de leur groupe… Les effets, nous les connaissons : bâcler, « clasher », survoler ! La vie parlementaire devrait pourtant être un appel permanent au débat, à la construction et, partant, à l'humilité.
Mais la devise de la majorité pourrait s'écrire en chanson : « Je peux très bien me passer de toi » ! Ce n'est pas aux députés que vous coupez la parole, mais aux citoyennes et aux citoyens. Vous vous passerez donc de nous pour prendre cette décision, et vous voterez votre petit règlement dans cet entre-soi trop souvent de mise.