Intervention de Marie-Thérèse Bonneau

Réunion du lundi 13 mai 2019 à 16h00
Commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs

Marie-Thérèse Bonneau, vice-présidente de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de nous recevoir en notre qualité de représentants du syndicat des producteurs de lait. Je suis moi-même également productrice, mais je n'ai pas de relation contractuelle avec la grande distribution. Néanmoins, je serais heureuse de pouvoir vous faire part du ressenti des producteurs et des éleveurs.

Comme vous le savez, à la suite de l'embargo russe décrété en août 2014, le marché européen des produits laitiers s'est effondré. Les principales victimes de cette crise majeure ont été les producteurs de lait européens. Après de nombreuses manifestations syndicales auprès des entreprises et, parfois aussi, des pouvoirs publics, la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) a proposé, en décembre 2015, aux opérateurs économiques du secteur, entreprises laitières et distributeurs, de signer une « Charte laitière des valeurs » afin de mettre en oeuvre une stratégie de meilleure valorisation du marché intérieur français. L'objectif était de rechercher une valeur d'équilibre du prix du lait permettant aux éleveurs de vivre de leur métier dans le cadre de relations commerciales plus durables et transparentes. Cet enjeu était reconnu comme tel par l'ensemble des acteurs économiques, y compris par les consommateurs, puisque nous avons reçu, depuis cette date, de nombreux témoignages d'associations de consommateurs qui admettent la nécessité, non seulement de renforcer la place des producteurs de lait dans la filière, mais aussi et surtout de restaurer leur revenu.

De fait, les différents acteurs ont convenu que le producteur était le maillon faible de la filière. Cependant, les relations commerciales entre la distribution et les entreprises laitières sont restées tendues et le prix payé au producteur est demeuré inférieur au coût de production. Aussi beaucoup d'éleveurs quittent-ils le métier, les autres étant à la peine.

Après le discours de Rungis du Président de la République, le Gouvernement a affiché sa volonté de remédier à cette situation et a organisé les États généraux de l'alimentation (EGA). Très mobilisée, la FNPL a été une force de proposition au cours de ces travaux destinés à préparer un projet loi, qui est désormais voté, et des ordonnances, aujourd'hui publiées.

Le producteur de lait est le premier maillon de la filière, mais il est surtout, aujourd'hui, le « dernier de cordée ». Sans lait produit en France, cette filière d'excellence, qui compte des leaders mondiaux, produit 4 milliards d'euros d'excédents, rassemble 60 000 fermes et offre aux consommateurs des produits d'une diversité sans doute inégalée – 1 000 fromages –, ne serait pas tout à fait la même.

Pourtant, ses producteurs traversent une crise majeure. La filière est entièrement contractualisée : dans ces contrats, dont un très petit nombre sont tripartites, il est fait référence à des volumes et à des formules de prix. En 2018, FranceAgriMer affichait un prix payé aux producteurs de 338 euros les 1 000 litres de lait, toutes primes confondues. Or, le Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (CNIEL) évaluait le prix de revient moyen, validé en interprofession, à 396 euros. Ces deux chiffres parlent d'eux-mêmes…

Comme je l'ai indiqué, peu de contrats sont tripartites, de sorte que la relation commerciale n'est guère transparente. La filière a en effet la particularité de privilégier les doubles contrats : le premier lie le producteur au transformateur ou à l'entreprise laitière ; le second est conclu entre cette dernière et l'acheteur final, le distributeur, et correspond davantage, me semble-t-il à l'objet de votre commission.

Nous avons conscience que de nombreuses mesures ont été mises en oeuvre dans le cadre de la loi – l'ensemble des ordonnances prévues ont été publiées moins de six mois après sa promulgation –, mais certaines d'entre elles nous semblent devoir être encore renforcées. Je pense notamment au rôle de l'Observatoire de la formation des prix et des marges (OFPM), qui pourrait émettre des recommandations sur le partage de la valeur, puisque l'objectif de la loi était d'assurer une meilleure répartition de la valeur au profit du maillon producteur et d'améliorer la transparence des relations entre les acteurs. Pour inciter ces derniers à respecter la loi, peut-être pourrait-on renforcer les contrôles destinés à vérifier que les indicateurs de coûts de production sont bien pris en compte dans la négociation commerciale ; les manquements pourraient ainsi être passibles de sanctions. Nous souhaiterions également que, conformément à la loi dite « Sapin 2 », un prix prévisionnel figure dans le contrat proposé aux producteurs, afin de favoriser la transparence et la lisibilité. Par ailleurs, il pourrait être intéressant de désigner un tiers de confiance afin de remédier au manque de transparence des contrats en cascade et de rendre le ruissellement effectif. Ce rôle pourrait être confié à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), chargée de contrôler le respect des règles. La transparence de l'organisation commerciale est en effet nécessaire si l'on veut pouvoir s'assurer que la répartition de la valeur dans l'ensemble de la chaîne est équitable. Au-delà de la loi elle-même, les acteurs doivent en respecter l'esprit. Or, tel n'est pas le cas actuellement : les habitudes ont la vie très dure. Ainsi, à ce jour, on peut affirmer qu'aucun des contrats laitiers entre producteur et acheteur ne fait explicitement référence, ne serait-ce qu'en partie – puisque nous parlons du marché intérieur –, au prix de revient.

Tels sont les principaux éléments que je souhaitais vous communiquer dans mon propos liminaire. Je suis bien entendu prête à répondre à vos questions.

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