La séance est ouverte à seize heures.
Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui Mme Marie-Thérèse Bonneau, première vice-présidente de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), et M. Vincent Brack, directeur.
Madame Bonneau, monsieur Brack, nous vous souhaitons la bienvenue. Avant de vous donner la parole, je dois, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, vous demander de prêter serment.
Mme Marie-Thérèse Bonneau et M. Daniel Brack prêtent successivement serment.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de nous recevoir en notre qualité de représentants du syndicat des producteurs de lait. Je suis moi-même également productrice, mais je n'ai pas de relation contractuelle avec la grande distribution. Néanmoins, je serais heureuse de pouvoir vous faire part du ressenti des producteurs et des éleveurs.
Comme vous le savez, à la suite de l'embargo russe décrété en août 2014, le marché européen des produits laitiers s'est effondré. Les principales victimes de cette crise majeure ont été les producteurs de lait européens. Après de nombreuses manifestations syndicales auprès des entreprises et, parfois aussi, des pouvoirs publics, la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) a proposé, en décembre 2015, aux opérateurs économiques du secteur, entreprises laitières et distributeurs, de signer une « Charte laitière des valeurs » afin de mettre en oeuvre une stratégie de meilleure valorisation du marché intérieur français. L'objectif était de rechercher une valeur d'équilibre du prix du lait permettant aux éleveurs de vivre de leur métier dans le cadre de relations commerciales plus durables et transparentes. Cet enjeu était reconnu comme tel par l'ensemble des acteurs économiques, y compris par les consommateurs, puisque nous avons reçu, depuis cette date, de nombreux témoignages d'associations de consommateurs qui admettent la nécessité, non seulement de renforcer la place des producteurs de lait dans la filière, mais aussi et surtout de restaurer leur revenu.
De fait, les différents acteurs ont convenu que le producteur était le maillon faible de la filière. Cependant, les relations commerciales entre la distribution et les entreprises laitières sont restées tendues et le prix payé au producteur est demeuré inférieur au coût de production. Aussi beaucoup d'éleveurs quittent-ils le métier, les autres étant à la peine.
Après le discours de Rungis du Président de la République, le Gouvernement a affiché sa volonté de remédier à cette situation et a organisé les États généraux de l'alimentation (EGA). Très mobilisée, la FNPL a été une force de proposition au cours de ces travaux destinés à préparer un projet loi, qui est désormais voté, et des ordonnances, aujourd'hui publiées.
Le producteur de lait est le premier maillon de la filière, mais il est surtout, aujourd'hui, le « dernier de cordée ». Sans lait produit en France, cette filière d'excellence, qui compte des leaders mondiaux, produit 4 milliards d'euros d'excédents, rassemble 60 000 fermes et offre aux consommateurs des produits d'une diversité sans doute inégalée – 1 000 fromages –, ne serait pas tout à fait la même.
Pourtant, ses producteurs traversent une crise majeure. La filière est entièrement contractualisée : dans ces contrats, dont un très petit nombre sont tripartites, il est fait référence à des volumes et à des formules de prix. En 2018, FranceAgriMer affichait un prix payé aux producteurs de 338 euros les 1 000 litres de lait, toutes primes confondues. Or, le Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (CNIEL) évaluait le prix de revient moyen, validé en interprofession, à 396 euros. Ces deux chiffres parlent d'eux-mêmes…
Comme je l'ai indiqué, peu de contrats sont tripartites, de sorte que la relation commerciale n'est guère transparente. La filière a en effet la particularité de privilégier les doubles contrats : le premier lie le producteur au transformateur ou à l'entreprise laitière ; le second est conclu entre cette dernière et l'acheteur final, le distributeur, et correspond davantage, me semble-t-il à l'objet de votre commission.
Nous avons conscience que de nombreuses mesures ont été mises en oeuvre dans le cadre de la loi – l'ensemble des ordonnances prévues ont été publiées moins de six mois après sa promulgation –, mais certaines d'entre elles nous semblent devoir être encore renforcées. Je pense notamment au rôle de l'Observatoire de la formation des prix et des marges (OFPM), qui pourrait émettre des recommandations sur le partage de la valeur, puisque l'objectif de la loi était d'assurer une meilleure répartition de la valeur au profit du maillon producteur et d'améliorer la transparence des relations entre les acteurs. Pour inciter ces derniers à respecter la loi, peut-être pourrait-on renforcer les contrôles destinés à vérifier que les indicateurs de coûts de production sont bien pris en compte dans la négociation commerciale ; les manquements pourraient ainsi être passibles de sanctions. Nous souhaiterions également que, conformément à la loi dite « Sapin 2 », un prix prévisionnel figure dans le contrat proposé aux producteurs, afin de favoriser la transparence et la lisibilité. Par ailleurs, il pourrait être intéressant de désigner un tiers de confiance afin de remédier au manque de transparence des contrats en cascade et de rendre le ruissellement effectif. Ce rôle pourrait être confié à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), chargée de contrôler le respect des règles. La transparence de l'organisation commerciale est en effet nécessaire si l'on veut pouvoir s'assurer que la répartition de la valeur dans l'ensemble de la chaîne est équitable. Au-delà de la loi elle-même, les acteurs doivent en respecter l'esprit. Or, tel n'est pas le cas actuellement : les habitudes ont la vie très dure. Ainsi, à ce jour, on peut affirmer qu'aucun des contrats laitiers entre producteur et acheteur ne fait explicitement référence, ne serait-ce qu'en partie – puisque nous parlons du marché intérieur –, au prix de revient.
Tels sont les principaux éléments que je souhaitais vous communiquer dans mon propos liminaire. Je suis bien entendu prête à répondre à vos questions.
Merci, madame la vice-présidente.
Vous nous avez indiqué que le coût de production s'établissait autour de 396 euros mais que le prix payé se situait, quant à lui, aux environs de 330 ou 340 euros. Pourtant, on nous a expliqué que, pour la filière du lait, la loi issue des États généraux de l'alimentation avait produit de premiers effets plutôt positifs. Manifestement, tel n'est pas le cas.
Certains accords entre entreprises laitières et distributeurs, qui avaient pour objectif de mieux rémunérer le producteur, ont été en effet médiatisés. Toutefois, je tiens à vous alerter sur le fait que ces accords manquent de transparence, dans la mesure où l'on ne connaît ni les volumes concernés ni les éléments qui permettraient de connaître leurs conséquences sur le prix payé au maillon inférieur. De plus, l'esprit de la loi était, me semble-t-il, de renverser un peu les choses, en faisant primer la discussion entre le producteur et l'entreprise, cette discussion devant tenir compte de la valeur et du coût de production de la matière première. Or, aujourd'hui, le fonctionnement est plus ou moins le même qu'auparavant : les producteurs dépendent toujours du résultat de la négociation contractuelle entre leurs acheteurs et les acheteurs finaux – c'est-à-dire, le plus souvent, la distribution. Pourtant, ils sont à la base de la filière elle-même : sans lait produit en France, on ne pourrait pas offrir le même type de produits aux consommateurs.
Madame Bonneau, le président vous a demandé qui est à l'origine du problème. Or, dans la réponse que vous lui avez faite, vous avez dit vouloir nous alerter, mais sans indiquer précisément d'où vient le problème. Comment se fait-il qu'en dépit du fait que le CNIEL établit un indicateur et est donc en mesure d'« imposer » un coût de revient, le prix payé aux producteurs demeure de 338 euros les 1 000 litres ? Entre la grande distribution et vous, producteurs, il y a la coopérative ou l'industriel ce sont eux qui vous paient. Quelle est leur place au sein du CNIEL, dont je précise que vous êtes la porte-parole du collège des producteurs ?
Il se trouve que je travaille régulièrement avec Mme Bonneau, qui a la vertu d'être vendéenne... Je souhaiterais, madame Bonneau, que vous expliquiez à mes collègues l'organisation de la filière – quelle est la part des coopératives, des indépendants, des organisations de producteurs (OP) – et que vous évoquiez l'ensemble des problèmes que vous rencontrez, et qui ne se limitent pas à la question du prix. Je pense à la collecte, à la reprise, qui fait parfois l'objet de prélèvements… Bref, pouvez-vous nous dire ce que vous vivez réellement et, éventuellement, quelles sont vos relations avec la grande distribution, qui a des défauts mais aussi des qualités puisque, nous le savons l'une et l'autre, il existe de très beaux exemples de contrats directs entre producteurs et grande distribution ?
Par ailleurs, vous souhaitez que la DGCCRF se mobilise. Peut-être y a-t-il une lacune dans la loi à cet égard, puisque les contrats – et nous ne l'avions pas envisagé, mes chers collègues – ne sont toujours pas signés, sauf pour ce qui concerne quelques bons élèves, alors qu'ils auraient dû tous l'être il y a deux mois. Or, en matière de sanction, la seule solution envisageable actuellement consiste à faire appel au Médiateur.
Peut-être faut-il revenir sur la manière dont les indicateurs ont été établis. À la suite des états généraux de l'alimentation, nous avons élaboré un plan de filière, dans le cadre duquel nous avons pris des engagements de trois ordres : économique, environnemental et sociétal – nous pourrons y revenir si vous le souhaitez. Au plan économique, l'ensemble des collèges – du moins ceux qui étaient présents à ce stade, car l'interprofession laitière va prochainement être élargie aux distributeurs – se sont engagés unanimement à ajouter aux indicateurs économiques et de marché que l'interprofession laitière publie depuis plusieurs décennies un indicateur de prix de revient prenant en compte les éléments constitutifs du coût de production du lait. Encore une fois, ces éléments ont été définis et unanimement validés par l'ensemble des collèges : celui de la coopération, celui des industriels privés et celui des producteurs, qui rassemble les syndicats représentatifs.
Ce qui est en cause, c'est la manière dont les opérateurs s'emparent de ces indicateurs. Car il peut exister une multitude d'indicateurs, si les opérateurs qui négocient le prix du lait n'en tiennent pas compte ou s'ils ne retiennent que ceux qui leur conviennent, ils ne seront pas d'une grande utilité. C'est la raison pour laquelle j'ai évoqué tout à l'heure la différence entre la loi et l'esprit de la loi. Dans son esprit, la loi visait, me semble-t-il, à reconnaître le fait que produire du lait en France aujourd'hui a un certain coût et qu'il convient de prendre en compte une partie de celui-ci dans la perspective de la valorisation du lait sur le marché intérieur. Or, cela reste encore à faire, car les habitudes anciennes demeurent très prégnantes dans les discussions et les négociations entre nos acheteurs de lait et leurs propres acheteurs. Elles prennent ainsi le pas sur ce qui devrait être la première discussion : celle qui met aux prises les producteurs et leurs acheteurs et qui doit prendre en compte la véritable valeur du lait tel qu'il est produit en France.
Nous savons, par ailleurs, qu'une partie de ce lait n'est pas destinée au marché intérieur et que, pour cette partie-là, nous sommes soumis aux mêmes règles que les autres opérateurs. Néanmoins, nous pensons que mettre en avant la filière française en arguant de la dimension économique et sociétale d'une répartition équilibrée de la valeur au sein de la chaîne alimentaire offrirait aux transformateurs une carte supplémentaire pour valoriser leur lait à l'extérieur.
La loi a été votée il y a environ six mois. De nouveaux contrats auraient donc pu être signés. Or, l'évolution est extrêmement timide : quelques contrats tripartites ont été signés avec des opérateurs, mais la part qu'ils représentent est minime. Pour que cela prenne une dimension très importante, il faut que le risque soit partagé alors qu'il est actuellement supporté par le maillon de la production. Je pense, par exemple, à la question des volumes. Or, les opérateurs qui transforment notre lait nous disent qu'ils ne peuvent pas faire ce qu'ils voudraient, car ils sont soumis à la concurrence. Mais notre position a toujours été la suivante : nous n'occultons pas les éléments de marché, mais nous estimons qu'il est possible de respecter, dans le cadre des négociations commerciales, une sorte de « code de la route » dont un des éléments serait la rémunération des producteurs. C'est d'autant plus important que le consommateur lui-même souhaite que le producteur soit convenablement rémunéré.
J'en viens aux questions connexes à la discussion du prix, évoquées par Mme Leguille-Balloy. Actuellement, l'ensemble des producteurs sont sous contrat, et les références sont discutées et négociées avec l'entreprise. Cela peut se concevoir dans le cadre de discussions commerciales. On pourrait entendre que l'entreprise négocie le volume dont elle a besoin parce que c'est le meilleur moyen qu'elle a de valoriser ensuite le produit. Aujourd'hui, les producteurs négocient avec une entreprise, en direct ou non : soit ils adhèrent à une coopérative, et lui transmettent leur pouvoir de discussion et de négociation, soit ils appartiennent à une organisation de producteurs, soit ils sont libres de négocier, mais cette liberté est un peu limitée dans la mesure où il y a un acheteur pour une denrée qui doit partir de l'exploitation toutes les 48 heures.
Je suis désolé, mais je vais réitérer ma question, car votre réponse n'est pas assez précise. Lactalis, Savencia, Bel, Sodiaal : ces quatre entreprises représentent environ 80 % du marché et elles se mesurent à quatre centrales d'achat européennes. Est-ce la coopérative – ou l'industriel – qui vous paye mal, alors qu'elle connaît le bon prix, puisque vous l'avez fixé avec le CNIEL ? Lorsque quatre entreprises représentent près de 80 % des parts de marché en France, elles peuvent se mettre d'accord sur le prix auquel elles vont acheter le lait.
Je vais, moi aussi, réitérer ma question, madame Bonneau, en vous demandant de répondre de manière encore plus précise, plus concise aussi. Tout le monde, avez-vous dit, a convenu que le coût de production était celui fixé par l'indicateur, soit 396 euros la tonne ; or, le prix payé au producteur en est très éloigné. Pourtant, je ne veux pas appeler les agriculteurs à descendre dans la rue, mais c'est le calme complet. On nous explique même, depuis quelques mois, qu'en définitive, cela ne se passe pas si mal, notamment dans le secteur du lait. Dès lors, soit l'indicateur dont vous avez convenu est erroné, soit les pauvres agriculteurs sont sous l'eau et ils ont capitulé en pleine campagne.
Madame la vice-présidente, je souhaiterais que vous nous apportiez quelques précisions supplémentaires. En ce qui concerne le prix de revient, la profession demandait qu'il intègre un coût de la main-d'oeuvre équivalent à deux fois le SMIC, ce qui n'a pas été accepté par la filière. Pouvez-vous nous dire quel coût a finalement été retenu dans le prix de revient de 396 euros ?
Ma deuxième question a trait aux organisations de producteurs. Nous avons fait le constat que les producteurs étaient trop divisés et peinaient à s'organiser face aux quatre grands groupes que l'on vient d'évoquer. Leur taille est-elle véritablement un problème ? Des regroupements s'opèrent-ils ?
Troisièmement, on aurait pu penser que les relations entre coopératives et producteurs étaient meilleures qu'elles ne le sont. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Enfin, des déréférencements de produits significatifs sont-ils intervenus au cours de la dernière négociation ?
Monsieur le rapporteur, ce que vous avez évoqué est interdit : les entreprises ne peuvent pas s'entendre sur un prix. Encore une fois, nous avons toujours pensé, quant à nous, qu'il fallait identifier certains éléments devant faire systématiquement partie des clés de négociation du contrat entre producteur et transformateur. Parmi ces éléments figure le prix de revient. Comme je l'ai indiqué dans mon propos liminaire, celui-ci n'est pas pris en compte, même de manière proportionnée pour la partie concernant le marché intérieur
Quant au coût de la main-d'oeuvre, la filière laitière a fait le choix, en effet, de retenir, dans le calcul du prix de revient, un coût équivalent à deux SMIC, en prenant notamment en compte le fait que, si un éleveur doit se faire remplacer sur son exploitation, il doit avoir recours à deux salariés pour effectuer l'ensemble des tâches qu'il assume. Force est de constater que nous sommes actuellement en deçà de cette rémunération.
La question que vous posez de façon insistante, je la comprends car nous nous la posons également. Comment enclencher une dynamique vertueuse, de manière à offrir enfin des perspectives aux producteurs et aux éleveurs laitiers de ce pays ? D'autant que la contractualisation offre, par ailleurs à nos acheteurs une certaine sérénité. En effet, les volumes sont ceux dont ils ont besoin alors que, dans d'autres pays, ils sont ceux que les producteurs acceptent de livrer, indépendamment de la capacité de transformation des opérateurs. Cette pratique a, du reste, pour effet, la plupart du temps, de déséquilibrer les marchés et de peser sur les cotations et la conjoncture, de sorte qu'en définitive, la situation des éleveurs ne s'améliore pas.
Ce fut le cas, hélas, au cours de la période précédente, puisque des stocks importants de poudre se sont accumulés. En tout état de cause, il est, pour nous, essentiel de maintenir ces éléments, car le fait de connaître par avance les volumes est créateur de valeur. La question n'est pas là, elle concerne la valeur du produit. Or, on ne sait pas comment amorcer un cercle vertueux. La loi a été votée. Que peut-on faire de plus, sinon évaluer ses effets, comme vous le faites, sur la manière dont sont conçus les contrats ? C'est, me semble-t-il, à la lumière de cette évaluation que nous pourrons envisager de désigner un tiers de confiance qui soit en mesure de connaître la répartition formelle de la valeur entre les différents acteurs et de s'assurer que chacun reçoit sa part.
Vous avez évoqué le peu de transparence existant dans les relations commerciales avec les distributeurs. Le phénomène est-il de même niveau pour tous les producteurs laitiers ? Tous les distributeurs se comportent-ils de la même manière ?
Madame la vice-présidente, nous avons déjà eu l'occasion d'échanger et nous connaissons toutes les deux les problèmes existant dans la filière. La manière dont vous les évoquez aujourd'hui m'étonne un peu. Vous êtes devant une commission d'enquête qui a pour vocation d'aider les producteurs. Nous sommes également dans le cadre du suivi de la loi et du contrôle de son application. Or, depuis le début, vous avez une manière très politique de présenter les problèmes. J'aimerais que vous répondiez à nos questions, par exemple à celle de M. Pellois, qui a évoqué l'existence de quatre opérateurs et la possibilité de les réunir. On sait très bien que certains rémunèrent beaucoup mieux les producteurs que d'autres.
C'est vrai.
J'ai dit que, dans certains endroits, il n'y a pas de contrats : on sait bien où. Nous ne sommes pas obligés de donner des noms si cela vous gêne. Au demeurant, nous pourrions tout à fait les donner ; après tout, votre rôle est de défendre les producteurs laitiers. Nous attendons votre aide pour pouvoir, ensemble, les aider. C'est la vocation de cette commission d'enquête.
Cela suppose que vous répondiez à nos questions. Quelle est la part des coopératives ? Y a-t-il de bons et de mauvais élèves, ou bien est-ce pareil partout ? Quand vous parlez de la composition du prix du lait, s'il vous plaît, expliquez à mes collègues de quoi il retourne : parlez par exemple des mix produits et de la manière dont ils sont choisis, car c'est très important. Nous avons passé des heures à préparer cette audition. Nous en sommes d'ailleurs à la septième. Or, chaque fois, on nous a parlé du problème du lait. Vous êtes là pour défendre les producteurs laitiers : aidez-nous donc, s'il vous plaît !
Quand on se penche sur les chiffres donnés par la filière laitière, on constate que 98 % du lait est collecté par des industriels et par des coopératives. Vous nous avez donné un prix moyen, mais j'aimerais savoir si vous pourriez nous indiquer les différences en fonction du type de collecteur – autrement dit, selon qu'il s'agit d'une coopérative ou d'un industriel.
Vous nous dites qu'aucun des contrats signés ne tient compte du coût de production, alors même que celui-ci est bien déterminé. J'ai du mal à comprendre que les coopératives n'aient pas réussi à proposer ce niveau de prix, dès lors qu'elles sont détenues par des agriculteurs. Ainsi, vous-même, vous êtes associée dans une coopérative ; vous avez donc normalement, en tant que productrice, et avec tous les autres producteurs, la possibilité de déterminer le prix d'achat par la coopérative.
Je m'étonne, alors même que le coût de production a été déterminé, que les coopératives ne se soient pas mises en ordre de marche pour obtenir ce niveau de prix. D'où ma demande concernant la différence de prix en fonction du type de collecteur.
Enfin, comme vous nous l'avez dit, vous vous situez dans un marché mondial. Vous avez beaucoup parlé de la filière française : quelle est sa part dans ce qui est vendu aux industriels ? Autrement dit, que représente le lait importé dans la filière laitière ? Nous entendons de plus en plus de choses sur le sujet. De quelle manière vous battez-vous ?
Pour compléter la question de Cendra Motin, il me remonte aux oreilles que les prix pratiqués par un même acheteur ne sont pas les mêmes en fonction du département ou de la région. J'aimerais que vous m'éclairiez sur ce point.
Les distributeurs ont-ils tous les mêmes pratiques ? Comme je le disais tout à l'heure, nous n'avons pas de relation directe, en tant que syndicat, avec eux au sujet des éléments de la négociation commerciale. Nous avons des échanges, nous essayons de regarder la manière dont les contrats sont conclus entre, d'un côté, les industriels et les coopératives, et de l'autre les distributeurs. Les contrats ne sont pas tous les mêmes : les distributeurs ont chacun un industriel ou une coopérative avec qui ils ont contractualisé de façon préférentielle, faisant augmenter ce contrat au détriment des autres. Cela crée de l'insécurité et rend plus compliquée la discussion contractuelle. Globalement, je ne pense pas qu'un distributeur soit plus enclin à la transparence que les autres, sauf peut-être ceux qui se sont engagés dans des contrats tripartites, c'est-à-dire qui intègrent l'ensemble de la chaîne de valeur et dans lesquels on peut afficher, de façon instantanée, le niveau du prix du lait qui sera payé au producteur. Il est vrai que certains travaillent dans ce sens, qui est un peu plus vertueux.
En ce qui concerne l'amplitude de la variation des prix – car il est vrai que je ne vous ai donné que le prix moyen –, on a observé, l'année dernière ainsi qu'au cours des premiers mois de cette année, une différence entre les entreprises. Or cette différence s'explique non pas uniquement par le prix payé au producteur ou par le statut de celui-ci – entreprise privée ou coopérative –, mais aussi, vous avez raison, par la question du mix produits : elle dépend de la manière dont le lait est transformé, s'il y a plus de produits de grande consommation, de produits industriels, de beurre ou encore de poudre. La valeur de transformation est différente. On constate même, avec des mix produits équivalents, des prix très différents payés au producteur, ce qui peut s'expliquer soit par la performance même du transformateur en tant que tel, c'est-à-dire sa capacité à créer plus de valeur – ce n'est là qu'une hypothèse –, soit par le fait qu'il se réserve une plus grande part. Cela rejoint ce que je disais tout à l'heure au sujet de la répartition de la marge et de la valeur entre les acteurs : nous n'avons aucun moyen de savoir si le producteur reçoit sa juste part en fonction de l'opérateur avec lequel il travaille.
En ce qui concerne la destination du lait produit en France, sur 100 litres, 40 quittent le marché national, dont 10 environ partent dans ce qu'on appelle le « grand export », le reste étant vendu dans l'Union européenne, autrement dit dans une sorte de marché intérieur. Beaucoup d'entreprises travaillent sur cette dimension pour la construction de leur mix produits.
S'agissant du lait importé, nous avons été à l'initiative d'un effort visant à mettre en avant le lait produit en France. Comme vous le savez, nous avons obtenu, au niveau européen, une dérogation concernant l'affichage de la provenance du lait. Nous nous sommes beaucoup investis syndicalement dans ce combat, pour que les consommateurs soient informés sur le « produit et transformé en France », pour qu'ils sachent s'ils achètent du lait qui a été produit en France.
Qui dit dérogation dit incertitude quant à la pérennité de cet affichage. Quoi qu'il en soit, il permet d'avoir en majorité du lait d'origine française vendu dans les magasins. C'est sans doute un peu différent dans la restauration hors domicile, domaine dans lequel il est un peu moins facile de garantir la transparence. Nous pourrions travailler aussi sur ce sujet mais, pour le coup, le chantier est sans doute davantage européen que purement français.
Continuons à comparer. Tout à l'heure, vous nous avez dit que le prix moyen était de 338 euros. Quel est le prix moyen payé par le plus gros industriel, c'est-à-dire Lactalis ? Celui-ci couvre toute la gamme des produits laitiers, y compris sous marques de distributeur (MDD). À côté, je vois que le groupe Bel, qui ne fait que ses produits, sans MDD, et est donc censé être un peu plus ferme, a signé à 350 euros les 1 000 litres. Or 100 % de ses producteurs lui fournissent du lait garanti sans organismes génétiquement modifiés (OGM), ce qui veut dire qu'il a ajouté 15 euros sur les 1 000 litres, et 95 % d'entre eux ont des animaux en pâturage, soit 6 euros supplémentaires pour 1 000 litres. Autrement dit, c'est un industriel qui accepte de payer plus. Je voudrais donc connaître le prix payé par le plus gros de tous – industriels et coopératives confondus.
Au début de l'année 2019, Lactalis a payé aux alentours de 330 euros : 331 euros en janvier et 328 euros en mai.
Ah bon ?
Je crois qu'il y a méprise, monsieur le rapporteur…
Il siège tout de même au Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (CNIEL), et est donc censé vous représenter.
Il siège dans le collège des industriels.
Il est effectivement dans l'interprofession, il est censé vous aider et c'est lui le plus gros. C'est donc lui qui a le plus de pouvoir et est ainsi le mieux à même de vous défendre, en définitive. S'il veut vraiment défendre le modèle agricole français et les producteurs de lait, il a le pouvoir de le faire. Comment expliquez-vous donc que le plus gros industriel n'aide pas les producteurs de lait alors qu'un plus petit, lui, joue le jeu ?
J'ai entendu un chiffre qui m'a fait réagir : vous avez dit qu'en tant qu'agricultrice, vous aviez besoin de toucher 396 euros pour 1 000 litres. Or je vois passer un certain nombre d'études économiques sur les exploitations agricoles. Je vais faire de la provocation : à 340 euros, ça passe – c'est juste, mais ça passe. Il est vrai que cela ne permet pas de financer des investissements, de renouveler les installations. À 360 euros, les agriculteurs arrivent à remplacer leur matériel, à s'inscrire dans la durée. La demande d'un prix juste est légitime, mais l'excès nous discrédite. Or si on avance des prix comme celui que vous nous avez donné, on va faciliter l'importation de lait et de produits laitiers. Pour être crédible dans la négociation, il faut donner les vrais prix et non adopter – excusez-moi de vous le dire – une attitude syndicale.
Je voulais également revenir sur la question de mon collègue Jean-Claude Leclabart : comment expliquez-vous qu'un même opérateur propose des prix variables en fonction du territoire ? Or c'est effectivement un phénomène que nous constatons.
Je vais essayer…
Monsieur le rapporteur, vous demandiez pourquoi Lactalis n'adoptait pas la position des producteurs. La négociation du prix payé aux producteurs qui livrent à Lactalis est engagée avec des OP. À ce stade, celles-ci ont fait la demande du niveau de prix dont nous avons parlé tout à l'heure, à savoir 396 euros. L'entreprise a refusé d'afficher un prix tenant compte de cet indicateur – je dis bien : « tenant compte » de cet indicateur, ce qui ne veut pas dire que le prix total serait 396 euros, mais que certains éléments en tiendraient compte. En ce moment, les négociations entre les OP et l'entreprise sont dans l'impasse. Je ne fais là que vous expliquer simplement et factuellement comment les choses se passent en ce moment.
Pourquoi une entreprise ne paie-t-elle pas le même prix dans les différentes régions où elle est implantée ? Historiquement, il y a dans chaque région des grilles de prix en fonction de la qualité. Il existe des centres régionaux interprofessionnels de l'économie laitière (CRIEL), c'est-à-dire des entités correspondant à ce qu'est le CNIEL au niveau national. Dans ces comités, siègent des représentants de l'ensemble des opérateurs. Ces derniers se réunissent au niveau régional pour mettre en oeuvre des grilles de prix destinées à afficher la façon dont on paie la qualité du lait – les éléments de qualité autour de ce qui constitue la matière utile, mais aussi la qualité au niveau cellulaire, par exemple les butyriques, ou encore la manière dont les animaux sont alimentés. Ainsi, dans chaque région a lieu une négociation en fonction de critères. La façon dont les entreprises valorisent le lait entre également en ligne de compte : le niveau du recours à la matière grasse détermine la valeur. On parvient ainsi à un équilibre qui, d'une certaine manière, est légitime. Cela permet aussi aux éleveurs d'une même région de disposer d'une grille permettant de comparer les tarifs. Il s'agit donc, pour le coup, d'un élément de transparence très utile. Voilà qui explique pourquoi, au final, des prix différents sont payés au producteur. Au demeurant, tous les producteurs ont un prix différent, parce que la part de matière utile et la façon dont ils font de la qualité sont légèrement différentes : le prix varie ainsi de quelques centimes d'un producteur à l'autre.
Vous m'avez dit, s'agissant des 396 euros, que faire du syndicalisme, c'était bien, mais que nous n'étions pas là pour cela ! Le prix de revient qui est affiché par l'interprofession n'est pas un prix syndical : il résulte d'un calcul. Nous ne sommes pas partis de ce montant pour trouver ensuite les moyens de le justifier. Nous avons repris les éléments fournis par le Réseau d'information comptable agricole (RICA), autrement dit des données officielles. À partir de là, nous avons étudié l'ensemble des comptabilités en France et fait une moyenne. Nous nous sommes fondés sur les critères que j'ai évoqués tout à l'heure, c'est-à-dire un lait qui soit loyal et marchand, et qui permette aux producteurs d'être rémunérés sur la base de deux SMIC. Évidemment, même à 360 euros, vous allez trouver des éleveurs dont la situation leur permettra de dégager deux SMIC – si leurs investissements sont moindres, s'ils sont en vitesse de croisière, s'ils ne viennent pas de s'installer, car tous ces éléments entrent en ligne de compte. Il ne faut pas nier non plus que, comme dans tous les autres métiers, une part est liée à la performance individuelle : certains éleveurs, à niveau de prix égal, vont dégager plus de marges que d'autres.
Vous dites qu'il pourrait y avoir des gradients à 340 ou à 360 euros. Sans doute. D'ailleurs, en ce moment, nous sommes tous en dessous de 340 euros et, malgré cela, il reste encore des éleveurs – ce qui ne veut pas dire qu'ils ne rencontrent pas des difficultés. Il me semblait que l'objectif de la loi était – entre autres – de garantir aux éleveurs un niveau de rémunération équitable, leur permettant de renouveler leur outil, éventuellement de s'installer, et de conserver une situation socialement et sociétalement acceptable.
Mme Leguille-Balloy m'engageait à parler d'une initiative qui a vu le jour dans notre département, dont le nom est « Juste et Vendéen ». Il s'agit, en fait, d'une marque qui a été créée pour prendre en compte le coût de production de l'éleveur et négocier sur cette base avec des entreprises et des distributeurs. Des initiatives de la même nature existent dans d'autres départements : des éleveurs se regroupent pour partir du prix que leur coûte leur lait. Ainsi, la négociation est conduite avec comme première valeur le fait que le producteur puisse être rémunéré de façon équitable. Des contrats sont signés, ce qui veut dire que c'est possible, qu'on peut engager une négociation avec les opérateurs, avec un niveau de prix payé au producteur qui lui permet de vivre dignement tout en garantissant aux autres parties un équilibre et une marge économique. Est-ce que ce sera possible, à l'avenir, pour l'ensemble du lait produit en France ? Je ne le pense pas, mais c'est l'objectif que nous devons donner, collectivement, au niveau de la filière. Vous l'avez dit vous-même : à ce stade, je pense que l'ensemble des opérateurs ne sont pas prêts à engager cette dynamique de façon très proactive.
Quoi qu'il en soit, il ressort des échanges que nous avons eus qu'il est possible de se fixer pour objectif de rémunérer correctement les producteurs. Il me semble d'ailleurs que c'était l'objectif premier de la loi. Parmi les opérateurs de la filière, certains ont envie que cet objectif se réalise mais ne le permettent pas car chacun observe la situation de l'autre et se dit qu'il ne peut pas se permettre de perdre des volumes en choisissant de payer davantage les producteurs. On reste donc dans le système qu'on a toujours connu. On met en oeuvre des volumes importants ; toutes les quarante-huit heures on va chercher le lait chez les producteurs, ce qui veut dire qu'ensuite il faut le transformer, et tant pis si le prix payé au producteur n'est pas ce qu'il doit être. Là réside le problème le plus important.
Cela me ramène au comparatif que j'évoquais tout à l'heure : de grands pays libéraux ont mis en place des systèmes de contrôle et de valorisation par produit. Aux États-Unis, il y a un prix moyen pour chaque opération : le fait de transformer du beurre ou de la crème a, en moyenne, telle ou telle valeur. Ces éléments permettent à tous les opérateurs de travailler dans un marché certes libre, mais doté de certaines règles. Il sera sans doute difficile d'aboutir – dans cette filière comme dans d'autres, me semble-t-il – sans que la loi donne des éléments plus importants sur la façon dont on se saisit de la question de la valeur – aspect que non seulement on peut prendre en compte, mais qu'il faut prendre en compte. La production agricole, c'est aussi la souveraineté alimentaire d'un pays. Dans certains cas, l'interventionnisme aurait certainement des vertus.
Madame Bonneau, les coopératives étaient en quelque sorte, par nature, des organisations de producteurs avant l'heure. Comment explique-t-on que le prix soit à près du même ordre pour un producteur fournissant sa propre coopérative et pour un producteur vendant son lait à un industriel privé ? C'était d'ailleurs moins vrai à l'époque des quotas laitiers. Depuis une dizaine d'années, on a expliqué aux agriculteurs qu'il allait falloir contractualiser mais aussi s'organiser, se structurer en organisations de producteurs.
Il a été question tout à l'heure du lait « juste ». Dans d'autres secteurs, il y a des initiatives comme « C'est qui le patron ? ». On voit bien que, lorsque les producteurs se prennent en main, cela va mieux. Je voulais connaître votre point de vue sur le sujet, ainsi que sur le point suivant : jusqu'à présent, il me semble qu'en définitive la production laitière était relativement bien organisée, avec la Fédération nationale des producteurs de lait, mais aussi l'interprofession – le CNIEL. Vous parliez aussi d'un médiateur, mais il y a le médiateur des relations commerciales. Je suis donc tenté de dire que tous les instruments existent. Ne pensez-vous pas qu'il est nécessaire d'encourager les producteurs à se structurer en OP – et même en appellations d'origine protégée (AOP) – et de s'orienter vers davantage de contrats tripartites ? Vous avez dit qu'il n'y en avait pas beaucoup : n'est-ce pas là une des clés ?
Je ne voudrais pas être trop insistant, madame, mais vous n'avez pas répondu à la question que je vous ai posée tout à l'heure. Elle n'était pourtant pas très compliquée : je voulais savoir quelle était la valeur de la main-d'oeuvre dans les 396 euros que vous avez évoqués.
Entre 80 et 100 euros.
Bien. Vous nous avez dit que les 396 euros étaient fondés notamment sur les données fournies par le RICA ; je voulais donc savoir ce qu'il en était.
En moyenne, la main-d'oeuvre compte pour 93 euros…
…mais dans une exploitation produisant un peu plus de lait avec moins de main-d'oeuvre, cela peut être 80 euros.
D'accord. J'ai encore une question relative aux prix. Nous n'avons pas parlé du lait bio, dont le coût de production est sans doute plus élevé. Est-ce que vous tenez compte du lait bio dans les 396 euros, ou bien avez-vous un autre prix de référence pour le lait bio ?
Il existe effectivement un indicateur pour le lait bio. Le prix est supérieur de 100 euros. Peut-être aurais-je dû prendre cet exemple dès le début – merci de me le rappeler – car, dans la production bio, jusqu'à maintenant, les producteurs sont payés au niveau de l'indicateur. Les choses sont donc équilibrées : les recettes laitières du producteur sont quasiment au niveau de l'indicateur publié par le CNIEL concernant le lait bio. Cela fait que les producteurs de lait bio sont dans une situation plus sereine que tous les autres qui sont en production conventionnelle. Ils peuvent vivre de leur métier et envisager la perspective de faire évoluer leur exploitation et de la transmettre. Nous ne demandons rien d'autre que cela : pouvoir nous projeter dans l'avenir et payer nos factures. Or, vous le savez peut-être, on observe une tentative visant à déséquilibrer le marché du bio : des difficultés commencent à apparaître, avec un grand nombre d'opérateurs de la distribution proposant des prix d'appel. Les promotions sont telles que des produits bio sont vendus à des prix inférieurs à ceux des produits issus de l'agriculture conventionnelle. De telles pratiques ne sont pas tenables dans la durée : elles vont forcément déséquilibrer ce marché qui, jusque-là, était plutôt un modèle à suivre, justement parce que, sur ce segment, on avait d'une certaine manière sanctuarisé la part revenant au producteur.
J'aimerais vraiment que vous m'expliquiez pourquoi le prix payé au producteur est à peu près le même, qu'il soit en coopérative ou qu'il fournisse la distribution privée.
Je voulais justement rebondir sur ce sujet. Il se trouve que je connais plutôt bien un éleveur de vaches laitières installé en Alsace, qui vend son lait à Alsace Lait. Or je vois les produits d'Alsace Lait partout, y compris dans ma région, qui est pourtant assez éloignée de l'Alsace. Je vois des agriculteurs qui vendent bien leur lait, dont la coopérative fonctionne bien, avec des produits qui sont vendus directement dans tous les réseaux de distribution, y compris la grande distribution. Ce sont donc des gens qui vivent très bien, y compris en faisant de l'agriculture conventionnelle. Toutefois, j'en vois d'autres, dans ma circonscription, qui savent qu'il existe, à quelques kilomètres de chez eux, une AOP à laquelle ils n'ont pas accès, tandis que, de leur côté, ils ont du mal, avec une grande coopérative qui ne vend qu'à des industriels.
J'ai donc l'impression que les organisations de producteurs, en fonction de la façon dont ils décident de vendre, dont les producteurs sont intégrés et dont leur voix porte, sont plus ou moins efficaces. J'aimerais savoir si vous faites la même lecture concernant les coopératives : n'est-ce pas aussi, en définitive, la façon dont la voix des agriculteurs porte qui change les prix ? Certaines stratégies sont plus intéressantes que d'autres.
Dans beaucoup d'appellations d'origine protégée (AOP), les agriculteurs vendent très bien leurs produits : il n'y a pas que le bio. Autrement dit, la valorisation du lait tient aussi au produit final.
En revanche, j'ai du mal à évaluer les parts de marché des AOP et du bio, d'un côté – c'est-à-dire les productions très bien valorisées –, et celles des autres productions. Pouvez-vous donc nous donner la proportion d'exploitants qui sont en agriculture conventionnelle et qui ont du mal et celle de personnes qui sont dans des AOP, qui font du bio ou sont dans de très bonnes coopératives et qui s'en sortent ?
Je partage complètement ce que vous venez de dire : effectivement, dans certaines coopératives, la voix des éleveurs porte suffisamment, la valeur qui leur est restituée leur permet de vivre très bien et d'envisager l'avenir dans l'agriculture conventionnelle, et pas seulement dans le bio. Cela existe. Ce que nous avons dit tout à l'heure concernant les écarts de prix ne tient pas seulement au statut – cela peut être le cas, mais pas toujours – : des coopératives aussi bien que des PME peuvent être concernées. Je suis donc tout à fait d'accord avec ce que vous venez de dire : la coopérative peut remplir ce rôle. Nous travaillons d'ailleurs sur le sujet, pour que les éleveurs puissent s'investir de nouveau dans leurs coopératives, de manière à ce que leur voix porte davantage.
Par ailleurs, l'éleveur a un client, surtout s'il est en coopérative, car il lui donne sa production. Or il ne choisit pas toujours ce client et, la plupart du temps, s'il souhaite en changer, il doit aussi changer de système d'exploitation. Il est important de le savoir.
Je ne connais pas exactement la proportion dont vous parliez, mais 15 % environ du lait est valorisé en AOP et en bio. Ce qui fait la différence, indépendamment du cahier des charges sur lequel repose le système de production, c'est que, dans ces systèmes-là, une part de la valeur dédiée au producteur est affichée clairement, ce qui est fondamental.
Il existe quatre centrales d'achat, qui achètent à des milliers d'industriels, qui eux-mêmes achètent à plusieurs milliers de fermes.
On compte 60 000 fermes.
Il y a 60 000 fermes pour environ 1 700 industriels. Et vous dites être pieds et poings liés, alors que les éleveurs producteurs de lait gagnent très mal leur vie, et on leur dit : « Tu peux partir de chez moi, mais à condition de me donner un an de salaire » !
La règle de la coopérative est l'engagement dans un contrat d'apport total pour une durée donnée, certaines stipulations pouvant évoluer. En tant que syndicat, nous considérons qu'il pourrait être important pour le producteur, de façon à ce qu'il puisse mieux valoriser son lait, de pouvoir facilement quitter la coopérative tout en respectant un délai prévu afin de ne pas la pénaliser. C'est la clé de la capacité du producteur à sortir de la coopérative.
La durée des contrats passés avec Lactalis est aussi de cinq ans. Ces contrats sont individuels, nous considérons qu'il serait plus facile pour les intéressés que le contrat soit conclu avec l'organisation de producteurs, ce qui laisserait plus de liberté.
C'est pourquoi il est préférable pour les producteurs d'être partie d'un contrat collectif dans le cadre d'une OP afin de pouvoir librement quitter le producteur, ou de se trouver au sein d'une organisation qui s'adresse à plusieurs clients.
Nous avons évoqué les pénalités de départ prévues par les contrats liant les producteurs aux coopératives, mais il faut noter que celles-ci ont souvent avancé des sommes pour financer des travaux.
Il m'est par ailleurs revenu qu'avec Lactalis ou d'autres groupes, au moment de la reprise, des prélèvements étaient perçus. Ce qui signifie que lorsqu'un producteur quitte un acheteur, il ne peut pas céder la totalité de ce qu'il exploite ; Lactalis, par exemple, accepte le principe de la reprise, mais sur la base d'une part de production diminuée.
On parle aussi d'accords de collecte, et il ne faut pas oublier que la moitié des producteurs sont indépendants, ce qui réduit considérablement leur force de négociation : avez-vous entendu ces bruits ?
En tant que première présidente de l'ANPL, encouragez-vous les agriculteurs à s'organiser en associations de producteurs, voire en associations d'organisations de producteurs, de façon à peser plus dans les négociations ?
À juste titre, vous avez évoqué la souveraineté afin que les agriculteurs reprennent leur destin en main. On constate en effet qu'aujourd'hui on ne parle plus de quotas, mais de contrats. Les producteurs laitiers français sont sans doute les meilleurs dans leur discipline ; or on observe qu'ils disposent de peu de liberté pour choisir l'entreprise à laquelle ils vont le vendre.
Je mets les coopératives à part, car leurs membres y sont entrés de façon volontaire s'ils y sont actifs, ils participent à l'assemblée de section et à l'assemblée générale, une coopérative est quelque chose qui vit. C'est en tout cas ainsi que cela devrait fonctionner.
Encore une fois, les producteurs laitiers français sont certainement les meilleurs dans leur discipline, c'est aussi le cas des industriels du secteur puisqu'ils sont les plus importants du marché mondial ce dont je me félicite. Toutefois, un nouveau venu est apparu, qui a pour nom la « marque de distributeur », la MDD, comment la porte-parole du collège des producteurs au CNIEL appréhende-t-elle cette arrivée ?
En effet, la MDD ne fait pas de recherche et développement comme un industriel ou une coopérative, qui collecte, transforme, et fait de la recherche afin de mettre au point des produits comme le lait bio, la crème dessert ou le conditionnement. De son côté, le commerçant se borne à choisir un produit qui et fonctionne et commande à l'industriel une certaine quantité de lait présentée sous le nom d'une marque donnée.
Comment les producteurs ou leur porte-parole appréhendent-ils cette question des MDD, qui tirent le prix vers le bas plutôt que vers le haut ?
Merci d'avoir posé ces questions.
Nous avons beaucoup oeuvré pour que les producteurs puissent se grouper en organisations, afin de pouvoir valoriser leurs produits et négocier.
Dans pratiquement 90 % ou 95 % des cas, devant l'industriel et la contractualisation, les producteurs sont membres d'une OP. Mais la question fondamentale est de savoir quels sont les moyens donnés aux organisations de producteurs pour qu'une véritable négociation puisse avoir lieu.
Les choses sont différentes si l'opérateur aligne son prix sur celui de ses concurrents qui pratiquent de plus bas, ou s'il poursuit une politique de valorisation du produit parce qu'il dispose de marques et de marchés lui permettant de le faire. Mais cela dépend de son état d'esprit ainsi que de la façon dont il engage la relation commerciale avec le producteur.
Ainsi, quand bien même ils sont organisés, il faut que cette organisation permette aux producteurs de peser sur la négociation commerciale.
J'entends par ailleurs votre analyse lorsque vous considérez que l'émergence des MDD peut tirer les prix vers le bas, mais ce phénomène peut aussi être l'occasion pour les producteurs de faire reconnaitre le niveau de valeur intrinsèque des leurs produits, qui ne dépend pas uniquement de l'effort de recherche et développement fourni par le transformateur.
J'observe d'ailleurs que beaucoup de nouveaux MDD mettent en avant le travail du producteur, le pâturage et l'alimentation des animaux. Ils cherchent à contractualiser avec l'opérateur, que ce soit celui qui fait de la marque ou un autre, sur la base de cette qualité « fait à la ferme » qui peut être créatrice de valeur au sein du marché global des produits de grande consommation en France.
Il est ainsi paradoxal d'observer que les marques nationales sont parfois vendues moins cher que les marques distributeurs. Du fait de la multiplication des produits d'appel et des promotions, une part importante de la marge passe dans la publicité faite pour la marque et celle-ci n'est donc pas nécessairement la plus rémunératrice.
Je partage votre souhait de voir le pouvoir des OP renforcé, ce que nous avons un peu fait avec la loi. Mais pour ce faire, il faudrait encore que les intéressés soient capables de se rassembler et de quitter la mécanique dans laquelle ils sont enfermés.
Ainsi, beaucoup d'entreprises créent-elles de nouveaux biscuits, de nouvelles pâtes, de nouvelles bières, beaucoup de nouveaux produits ; or ce n'est pas le cas pour le lait. La chaîne de magasins Biocoop a essayé de lancer la marque « C'est qui le patron ? », mais j'ai l'impression que la mayonnaise ne prend pas.
Mon département d'élection, l'Aube, ne compte que 130 producteurs de lait, ce qui n'est rien du tout. En toute franchise, pensez-vous qu'un jour ces 130 producteurs pourront dire à leurs coopératives qu'ils vont se séparer d'elles pour vendre à « C'est qui le patron ? ». Cela vous paraît-il possible ou non ?
Du fait de la faiblesse de la production, ces agriculteurs sont pris à la gorge, s'ils veulent quitter leurs coopératives, ils devront verser un an de salaire ils ne le feront pas, car ils ne peuvent payer cette somme !
L'histoire de « C'est qui le patron ? » est en quelque sorte celle de la mise en oeuvre de la loi ; c'est ainsi que l'on peut la concevoir. L'initiative résulte aussi de la prise de conscience de la part des consommateurs qu'un minimum de prix était à payer pour un produit. Ce sont des opérateurs qui étaient sensibles à ces aspects des choses qui ont lancé cette opération. Nous avons alors été très présents, et cela a été l'occasion de sauver un pan entier de production dans la région lyonnaise, et de donner un avenir aux éleveurs qui étaient dans une situation où l'organisation à laquelle ils appartenaient vendait le lait au prix « spot », ce qui faisait leur perdition.
Aussi, même si les producteurs sont animés d'une très grande volonté de changer, dans la mesure où le produit est périssable, ils demeurent obligés de le transformer pour pouvoir le commercialiser. Cela nécessite un niveau de structure important, et sauf à se placer sur un marché de grande proximité, ils ne peuvent pas agir seuls. Ce qui fait la différence, c'est lorsque l'initiative d'une organisation de producteurs rencontre des opérateurs prêts à faire le pari avec elle. S'ils sont seuls, à l'instar de ceux que vous avez cités, monsieur le rapporteur, si personne ne leur offre la possibilité de faire changer les choses, ils ne pourront rien faire.
La difficulté provient de ce que le produit vendu est transformé dès le départ de la ferme. Je ne sous-estime pas l'enjeu que représente la commercialisation d'une salade, mais elle représente un produit qui est simplement transporté, pas transformé. Le lait appelle donc une dynamique qui ne soit pas seulement celle des producteurs, car même si les éleveurs se lèvent pour changer les choses, si la filière ne répond pas, ils échoueront.
La coopérative demeure l'émanation des agriculteurs ; pour être moi-même membre de l'une d'entre elles, je perçois la difficulté qu'il peut y avoir à les quitter.
Je conçois par ailleurs la difficulté qu'il y a à faire bouger les choses. En facilitant la démarche de séparation des producteurs, ne rétablirions-nous pas le rapport de force ? En effet, pourquoi donner plus d'argent aux éleveurs, si quitter l'établissement avec lequel ils sont sous contrat leur coûte l'équivalent d'un an de salaire ?
À certaines exceptions près, comme c'est le cas pour vous, madame Bonneau, c'est presque prohibitif n'est-ce donc pas le premier élément du rapport de force à mettre en oeuvre ?
Le premier élément du rapport de force réside dans la liberté dont l'éleveur devrait disposer de choisir l'opérateur avec lequel il travaille ce qui est très complexe actuellement. Cette situation prive le marché d'agilité et d'élasticité et on pourrait dire que, depuis la période des quotas, tout a changé et rien n'a changé.
Lorsque nous avons commencé à travailler à engager les éleveurs dans une dynamique d'organisations de producteurs, nous avons pris l'attache de nos collègues en Europe.
En Allemagne, nous avons vu des organisations de producteurs dont certaines étaient commerciales ; en Bavière, des éleveurs changent parfois de laiterie tous les six ou dix-huit mois en fonction de ce que l'entreprise peut leur offrir. Le fait que les producteurs allemands ont la possibilité de livrer le volume qu'ils souhaitent indépendamment de ce que l'opérateur peut transformer fait que le prix d'achat du lait demeure sensiblement le même.
Nous devrions utiliser les atouts qui sont les nôtres, car en France nous avons choisi des niveaux de volume qui sont en lien avec ce que les transformateurs nous disent pouvoir transformer au mieux. Il faudrait encore faire fonctionner le marché de manière à ce qu'une émulation importante puisse trouver place.
Mais si le deuxième maillon, celui de la discussion de la transformation avec la distribution, demeure celui au sein duquel celui qui fait l'offre meilleur marché l'emporte, la situation actuelle se verra encore plus fragilisée.
Vous avez indiqué que les pénalités infligées lorsqu'un agriculteur quitte une coopérative ou un industriel, sont moins importantes dans le secteur du bio. Quelle est la différence si on passe au bio en changeant de coopérative ?
Si l'entreprise fait du bio et qu'elle est demandeuse, il n'y a aucune pénalité.
Cela dépend du règlement intérieur de l'entreprise. Il y a deux ans, nous avons ainsi mené une action syndicale chez Agrial qui a fait évoluer le règlement intérieur ; depuis, il n'y a pas de pénalités à l'occasion d'un changement de mode de production.
Je ne dispose pas de cette information. Je ferai en sorte de vous la fournir.
Par ailleurs, quel est l'avis du CNIEL sur la suppression des pénalités de sortie prévues par les contrats passés avec les industriels et les coopératives ?
Le CNIEL n'a pas formellement émis d'avis, il n'y a que des avis différents en fonction des familles présentes en son sein – et je ne vous surprendrai pas en disant que le collège des producteurs y est défavorable. J'imagine que les choses diffèrent quelque peu au sein du collège de la coopération, car il lui semble difficile d'engager une politique de volume et de stratégie industrielle sans une certaine sécurité portant sur les volumes.
Quant à la position des industriels, elle varie en fonction des contrats que chacun d'entre eux a passés. Selon que vous êtes une entreprise importante comme Lactalis ou que, comme Bel, vous ne collectez qu'une petite partie du volume que vous transformez en France, le point de vue n'est pas le même.
Lorsque, dans le cadre de ces accords bipartites, on travaille avec des industriels ou des coopératives de moindre taille, on a le sentiment que le résultat est bien meilleur que lorsque l'on a affaire à de grosses machines. Ne pensez-vous pas que l'élément essentiel, que l'on ne peut certes pas intégrer dans la loi, mais dont nous devons trouver le moyen de le faire appliquer, est tout simplement le respect ?
Car voit bien ce que certains veulent se mettre dans la poche alors que d'autres veulent respecter les agriculteurs. Dans d'autres filières, on a constaté que le seul moyen d'y parvenir était la présence d'industriels ou de grandes surfaces indépendantes, qui visent vers le haut et s'entendent avec les agriculteurs. Car il n'y a rien à espérer des grosses machines qui sont exclusivement tournées vers les bénéfices ; à moins que les travaux de cette commission d'enquête soient entendus ainsi que notre détermination à ne pas laisser les choses en l'état.
Vous venez, madame, de résumer ce qui fait mon engagement syndical depuis vingt ans…
Si l'on veut respecter l'esprit de la loi, voire rétablir un rapport de force afin qu'à tous les niveaux les négociations commerciales soient justes, il ne faut plus qu'il y ait de producteurs enfermés dans un tête-à-tête avec un seul client : imaginez qu'il n'y ait qu'un seul producteur ; on parlerait de monopole.
Si l'on a voulu inverser le paradigme des négociations commerciales avec la loi EGAlim, il faut en tirer toutes les conséquences. Cela implique de restaurer le rapport de force, et qu'il ne soit plus possible qu'un producteur n'ait qu'un seul client ; je laisse donc le législateur être prolifique… Il faut donc travailler la question des pénalités, et je vous remercie de m'avoir donné un ordre du jour pour les réunions du CNIEL. (Sourires.)
S'agissant de cet environnement de négociations qui a été évoqué, je tiens à dire que le rapport de force est vraiment inversé. Je découvre le secteur, car j'ai rejoint la FNPL il y a seulement trois mois ; et puisque personne ne le fera au cours de ces auditions, je voulais dire que ce ne sont pas les producteurs qui facturent leur produit. Là aussi, je vous laisse apprécier des conséquences sur le rapport de force. C'est l'entreprise qui adresse un bordereau de paiement, or nous parlons de producteurs, c'est-à-dire d'entrepreneurs.
Je suis d'accord avec vous, monsieur le président : nous avons des entrepreneurs et des entreprises de qualité ; il est urgent que cette filière trouve de nouvelles pratiques commerciales. Cela à tous les échelons, car on ne peut pas dire que de bons accords ont été passés avec les entreprises et la distribution : mais que faire ensuite ? Je vais vous le dire : toutes les semaines, ce sont des exploitations qui ferment ; le modèle va donc changer.
Merci de m'avoir donné la parole.
Comme vous le savez, à la fin des travaux de cette commission d'enquête, un rapport sera rédigé, qui formulera des propositions. L'une d'elles portera probablement sur la fin de ces pénalités en cas de sortie ou de projet de départ.
Quelles sont vos propositions concrètes pour mettre un terme à cette situation dans laquelle le producteur ignore à quel prix son lait sera payé ? De plus, des problèmes de qualité se posent que les intéressés ne peuvent pas contrôler, l'entreprise affirme que le lait n'était pas de bonne qualité alors qu'elle l'a mélangé avec d'autres laits ; bref, il y a beaucoup de choses que nous ne comprenons pas.
Quelles sont les propositions concrètes que vous souhaiteriez voir figurer dans le rapport afin que les producteurs de lait puissent enfin vivre dignement du si beau métier qu'est l'élevage de bovins ?
Des propositions peuvent être amorcées aujourd'hui, mais un suivi des travaux de la commission d'enquête est aussi possible. M. le rapporteur pourra vous écrire, et vous pourrez lui répondre.
Dans la mesure où il ne me paraîtrait pas saint de formuler des propositions au cours d'une audition publique, nous avons prévu de vous adresser un rapport complet présentant les chiffres et l'historique, notamment des négociations bipartites. Par ailleurs, à la suite de notre congrès d'Arras, et à la demande du ministre de l'agriculture qui nous a priés de formuler des propositions, nous préparons une note que nous vous enverrons.
Nous sommes par ailleurs ouverts à l'idée de poursuivre avec vous cet échange afin de rechercher, dans l'intérêt de toute la filière et en premier lieu des producteurs, quelles pourraient être les évolutions réglementaires possibles.
Nous avons évoqué les pénalités imposées aux producteurs en cas de changement d'opérateur, mais les difficultés proviennent parfois des deux côtés, et les agriculteurs changent dans leur façon de produire.
Qu'en est-il du calcul des pénalités si un producteur demande à sa coopérative de pouvoir réserver 10 % de son volume de production afin de développer une activité de fromage fabriqué à la ferme ? Quelqu'un n'ayant pas les moyens de convertir en une fois sa production de 300 000 litres et qui souhaiterait le faire progressivement en a-t-il le droit ?
Merci pour cette question.
Cela dépend de l'entreprise considérée. S'il s'agit d'une coopérative, la réponse est négative puisque ces établissements ne pratiquent que l'apport total. Si le producteur est lié par contrat à l'entreprise, il peut être prévu que l'apport doit être total, mais cela n'est pas toujours le cas.
Un frein persiste donc pour les producteurs souhaitant diversifier leur activité afin de sortir la tête hors de l'eau. On pourrait imaginer que, pour 5 % ou 10 % des volumes, il y ait une tolérance.
La production laitière en France est certainement emblématique de la question des relations commerciales. Dans ma région de Bretagne, j'ai ainsi pu dire que nous avons adopté une loi il y a deux ans pour moraliser la vie publique et y introduire de l'éthique.
À entendre nos échanges de ce jour, on voit bien que la question du respect entre les parties en cause est en jeu. C'est bien de remettre de l'éthique et de la moralisation dans les relations dites commerciales dont il est question.
Il faudra encore certainement amener le législateur à réfléchir à la question du gigantisme financier, même si nous avons conscience que lorsque l'on parle de commerce et d'agriculture, on aborde un sujet de dimension nationale, européenne et internationale.
Merci infiniment pour votre présence.
La séance est levée à dix-sept heures quarante-cinq.
Membres présents ou excusés
Réunion du lundi 13 mai 2019 à 16 heures
Présents. - M. Thierry Benoit, M. Grégory Besson-Moreau, Mme Stéphanie Do, M. Yannick Kerlogot, M. Jean-Claude Leclabart, Mme Martine Leguille-Balloy, Mme Cendra Motin, M. Hervé Pellois, M. Nicolas Turquois
Excusés. - Mme Séverine Gipson, M. Arnaud Viala