Intervention de Marie-Thérèse Bonneau

Réunion du lundi 13 mai 2019 à 16h00
Commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs

Marie-Thérèse Bonneau, vice-présidente de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) :

Je vais essayer…

Monsieur le rapporteur, vous demandiez pourquoi Lactalis n'adoptait pas la position des producteurs. La négociation du prix payé aux producteurs qui livrent à Lactalis est engagée avec des OP. À ce stade, celles-ci ont fait la demande du niveau de prix dont nous avons parlé tout à l'heure, à savoir 396 euros. L'entreprise a refusé d'afficher un prix tenant compte de cet indicateur – je dis bien : « tenant compte » de cet indicateur, ce qui ne veut pas dire que le prix total serait 396 euros, mais que certains éléments en tiendraient compte. En ce moment, les négociations entre les OP et l'entreprise sont dans l'impasse. Je ne fais là que vous expliquer simplement et factuellement comment les choses se passent en ce moment.

Pourquoi une entreprise ne paie-t-elle pas le même prix dans les différentes régions où elle est implantée ? Historiquement, il y a dans chaque région des grilles de prix en fonction de la qualité. Il existe des centres régionaux interprofessionnels de l'économie laitière (CRIEL), c'est-à-dire des entités correspondant à ce qu'est le CNIEL au niveau national. Dans ces comités, siègent des représentants de l'ensemble des opérateurs. Ces derniers se réunissent au niveau régional pour mettre en oeuvre des grilles de prix destinées à afficher la façon dont on paie la qualité du lait – les éléments de qualité autour de ce qui constitue la matière utile, mais aussi la qualité au niveau cellulaire, par exemple les butyriques, ou encore la manière dont les animaux sont alimentés. Ainsi, dans chaque région a lieu une négociation en fonction de critères. La façon dont les entreprises valorisent le lait entre également en ligne de compte : le niveau du recours à la matière grasse détermine la valeur. On parvient ainsi à un équilibre qui, d'une certaine manière, est légitime. Cela permet aussi aux éleveurs d'une même région de disposer d'une grille permettant de comparer les tarifs. Il s'agit donc, pour le coup, d'un élément de transparence très utile. Voilà qui explique pourquoi, au final, des prix différents sont payés au producteur. Au demeurant, tous les producteurs ont un prix différent, parce que la part de matière utile et la façon dont ils font de la qualité sont légèrement différentes : le prix varie ainsi de quelques centimes d'un producteur à l'autre.

Vous m'avez dit, s'agissant des 396 euros, que faire du syndicalisme, c'était bien, mais que nous n'étions pas là pour cela ! Le prix de revient qui est affiché par l'interprofession n'est pas un prix syndical : il résulte d'un calcul. Nous ne sommes pas partis de ce montant pour trouver ensuite les moyens de le justifier. Nous avons repris les éléments fournis par le Réseau d'information comptable agricole (RICA), autrement dit des données officielles. À partir de là, nous avons étudié l'ensemble des comptabilités en France et fait une moyenne. Nous nous sommes fondés sur les critères que j'ai évoqués tout à l'heure, c'est-à-dire un lait qui soit loyal et marchand, et qui permette aux producteurs d'être rémunérés sur la base de deux SMIC. Évidemment, même à 360 euros, vous allez trouver des éleveurs dont la situation leur permettra de dégager deux SMIC – si leurs investissements sont moindres, s'ils sont en vitesse de croisière, s'ils ne viennent pas de s'installer, car tous ces éléments entrent en ligne de compte. Il ne faut pas nier non plus que, comme dans tous les autres métiers, une part est liée à la performance individuelle : certains éleveurs, à niveau de prix égal, vont dégager plus de marges que d'autres.

Vous dites qu'il pourrait y avoir des gradients à 340 ou à 360 euros. Sans doute. D'ailleurs, en ce moment, nous sommes tous en dessous de 340 euros et, malgré cela, il reste encore des éleveurs – ce qui ne veut pas dire qu'ils ne rencontrent pas des difficultés. Il me semblait que l'objectif de la loi était – entre autres – de garantir aux éleveurs un niveau de rémunération équitable, leur permettant de renouveler leur outil, éventuellement de s'installer, et de conserver une situation socialement et sociétalement acceptable.

Mme Leguille-Balloy m'engageait à parler d'une initiative qui a vu le jour dans notre département, dont le nom est « Juste et Vendéen ». Il s'agit, en fait, d'une marque qui a été créée pour prendre en compte le coût de production de l'éleveur et négocier sur cette base avec des entreprises et des distributeurs. Des initiatives de la même nature existent dans d'autres départements : des éleveurs se regroupent pour partir du prix que leur coûte leur lait. Ainsi, la négociation est conduite avec comme première valeur le fait que le producteur puisse être rémunéré de façon équitable. Des contrats sont signés, ce qui veut dire que c'est possible, qu'on peut engager une négociation avec les opérateurs, avec un niveau de prix payé au producteur qui lui permet de vivre dignement tout en garantissant aux autres parties un équilibre et une marge économique. Est-ce que ce sera possible, à l'avenir, pour l'ensemble du lait produit en France ? Je ne le pense pas, mais c'est l'objectif que nous devons donner, collectivement, au niveau de la filière. Vous l'avez dit vous-même : à ce stade, je pense que l'ensemble des opérateurs ne sont pas prêts à engager cette dynamique de façon très proactive.

Quoi qu'il en soit, il ressort des échanges que nous avons eus qu'il est possible de se fixer pour objectif de rémunérer correctement les producteurs. Il me semble d'ailleurs que c'était l'objectif premier de la loi. Parmi les opérateurs de la filière, certains ont envie que cet objectif se réalise mais ne le permettent pas car chacun observe la situation de l'autre et se dit qu'il ne peut pas se permettre de perdre des volumes en choisissant de payer davantage les producteurs. On reste donc dans le système qu'on a toujours connu. On met en oeuvre des volumes importants ; toutes les quarante-huit heures on va chercher le lait chez les producteurs, ce qui veut dire qu'ensuite il faut le transformer, et tant pis si le prix payé au producteur n'est pas ce qu'il doit être. Là réside le problème le plus important.

Cela me ramène au comparatif que j'évoquais tout à l'heure : de grands pays libéraux ont mis en place des systèmes de contrôle et de valorisation par produit. Aux États-Unis, il y a un prix moyen pour chaque opération : le fait de transformer du beurre ou de la crème a, en moyenne, telle ou telle valeur. Ces éléments permettent à tous les opérateurs de travailler dans un marché certes libre, mais doté de certaines règles. Il sera sans doute difficile d'aboutir – dans cette filière comme dans d'autres, me semble-t-il – sans que la loi donne des éléments plus importants sur la façon dont on se saisit de la question de la valeur – aspect que non seulement on peut prendre en compte, mais qu'il faut prendre en compte. La production agricole, c'est aussi la souveraineté alimentaire d'un pays. Dans certains cas, l'interventionnisme aurait certainement des vertus.

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