Historiquement, le besoin de nos clients était de comprendre le fonctionnement de la grande distribution française, car celle-ci a toujours été à part. En effet, elle a toujours joué un rôle de mandataire du consommateur, dans une démarche de « positionnement prix » assez unique qui consiste à faire du discount sur les marques nationales – alors que, dans d'autres pays, les marques de distributeur se développaient – en appliquant le concept « tout sous le même toit ». Bref, cette recette spécifiquement française a créé une sorte de magie de la réussite dans les enseignes de distribution. Le consommateur français a parfaitement adhéré à ce schéma, relayé par l'hypermarché. Du côté du monde de l'industrie, le chiffre d'affaires se portait bien et la relation avec la distribution était assez simple, voire simplissime : celle-ci référence les produits d'un fournisseur et lui demande, en contrepartie, de lui accorder X % de remise ou de ristourne. Il s'agissait de travailler d'abord sur le prix public.
Avec le temps, la situation s'est un peu durcie. Tout d'abord, le chiffre d'affaires a baissé. Ensuite, la distribution s'est sophistiquée : l'utilisation des outils logistiques et informatiques notamment a accru ses besoins financiers. Mais le schéma relationnel est demeuré simplissime – on se retrouve dans un box d'achat, on négocie des remises, et on s'arrête là –, sans évoluer vers un autre schéma, plus anglo-saxon, qui consiste à réfléchir de façon un peu plus globale et à financiariser réellement la relation commerciale : « Si je ne veux pas t'accorder de remises ou de ristournes sur le chiffre d'affaires, ne pourrait-on pas envisager des économies de stockage ou des optimisations de flux produits, par exemple ? »
Ainsi, au cours du temps, la relation est devenue de plus en plus sophistiquée sans que l'industriel se retrouve dans une situation de demandeur, tant il est vrai que, dans sa relation avec la distribution, le fournisseur se sent toujours menacé. Il pose donc peu de questions et recherche moins ce qui pourrait être une source de valeur pour lui. Par ailleurs, les accords et la relation commerciale se sont complexifiés : on parle de nombreux éléments – remises chiffre d'affaires, ristournes, pénalités… – qui étendent le territoire de la négociation, négociation dont la distribution a toujours gardé les instruments. Ainsi, c'est elle qui dit à l'industriel comment il va négocier et ce qu'il va négocier – « Ne pose pas trop de questions et contente-toi d'accepter ou de refuser mes demandes » –, au lieu de créer un partenariat à l'anglo-saxonne qui développe davantage une approche globale visant à créer de la valeur. C'est l'ADN de la distribution franco-française.
Ce système, qui a perduré jusqu'à une date très récente, était un peu protectionniste à l'égard des enseignes étrangères – si l'on met de côté le hard-discount. Ce n'est que depuis deux ans que des enseignes étrangères différentes du modèle français arrivent dans notre pays. Je pense notamment à Costco, dont la manière de négocier avec ses fournisseurs s'inscrit, du moins pour l'instant, dans une démarche totalement opposée. Je ne sais pas si je suis suffisamment explicite, mais le modèle français est sociologiquement très particulier.