Ce serait une démarche de filière très poussée, qui incorporerait l'industriel comme étant, sinon un donneur d'ordres, du moins quelqu'un qui serait à égalité avec le distributeur. Je crois que ce modèle est possible, mécaniquement. Il y a, néanmoins, deux points de blocage.
Tout d'abord, qui va payer ? La valeur sera déplacée sur l'annonce, la mise en place du produit et l'affichage du prix des promotions, etc. Ce sera une sorte d'externalisation de la surface de vente vers le fournisseur, ce qui peut aller assez loin. Certaines enseignes y réfléchissent. On peut se dire que le point de vente est un peu comme une chaîne d'assemblage de Renault. Tous les fournisseurs se chargent de livrer just in time et il y a des pénalités en cas de retard, mais ce sont eux qui font l'animation, un peu comme dans les grands magasins qui confiaient leurs surfaces à des marques. Qui va payer ? Les coûts se déplaçant chez l'industriel, comment va se faire leur évaluation et comment va-t-on faire en sorte qu'il y ait un retour sur investissement pour l'industriel ? On se heurte quand même à un problème organisationnel : la grande distribution n'est pas du tout organisée dans cette perspective.
Culturellement, je crois aussi que la distribution veut en permanence être l'échelon incontournable – je pense notamment au développement des marques d'enseignes – à la fois en tant que point de vente mais aussi en étant sociétalement engagée. Elle n'abandonne pas son modèle historique, parfois un peu poussé à l'extrême, en termes de populisme, qui consiste à s'adresser directement aux consommateurs. C'est sa technologie, si on veut, indépendamment du fait que la distribution cherche aussi à devenir une entreprise technologique : elle veut ses data, elle veut les gérer, elle veut les vendre comme elle le souhaite, elle veut, en fait, que l'industriel dépende d'elle. C'est le deuxième problème que je vois. Mécaniquement, néanmoins, ce que vous avez décrit est tout à fait séduisant.