Je n'ai exercé que des fonctions de direction, ce à différents niveaux : d'abord cadre de proximité, puis cadre des cadres, responsable des institutions. J'accorde donc une attention toute particulière à ce sujet, d'autant plus qu'ayant été formée à la PJJ, j'ai bénéficié d'une formation singulière et unique, celle de l'exercice des fonctions de direction en protection de l'enfance. J'ai ainsi été formée à l'accompagnement et au pilotage des activités, mais aussi à l'accompagnement des professionnels et au pilotage de l'action d'équipes particulièrement exposées. À mes yeux, être directeur des marchés publics, responsable par délégation du président de l'ASE, etc., constituent des prérogatives différentes. Cela nécessite, si les recrutements différenciés ne sont pas possibles, au moins des formations d'adaptation tout à fait nourries.
Aujourd'hui, même dans le domaine privé, on revient sur l'idée que l'on peut former pour être chef, sans tenir compte de la réalité des contenus. Je suis particulièrement attachée à la protection de l'enfance, et je milite depuis des années pour dire que, même si l'on n'a pas forcément besoin d'être travailleur social ou d'avoir une formation spécifique, on a absolument besoin de connaître la spécificité de l'exercice des fonctions de direction dans cet environnement particulier de la protection de l'enfance, notamment au regard du fait que nous sommes garants d'une organisation qui doit être au service des missions. Je pilote la commission permanente de la formation du CNPE ; nous avons proposé une recommandation sur la formation des cadres que je vous invite à consulter, dans laquelle nous disons qu'il n'est pas possible d'assumer des responsabilités d'encadrement en protection de l'enfance sans un certain nombre de connaissances en matière juridique et clinique, qui permettent justement d'adapter l'organisation aux besoins des publics, dans une dimension très réflexive de ce qu'impose l'exercice de ces missions non seulement pour les professionnels qui sont placés sous notre autorité, mais pour nous-mêmes aussi, les cadres exposés, en particulier les cadres de proximité.
Nous savons que les cadres de l'ASE vont très mal. Je suis très proche des associations professionnelles, de l'association nationale des directeurs de l'enfance et de la famille (ANDEF) et de l'association nationale des cadres de l'ASE (ANACASE). Je connais les défis à relever. Il faut considérer que les enfants ne sont pas confiés à des personnes mais à des services, ce qui implique de repenser tout le champ de la gouvernance et de l'organisation des projets de service. Les professionnels sont submergés par le volume d'activité. Or il ne faut pas que les individus portent le choix et la responsabilité de ce qu'ils peuvent ou ne peuvent pas faire ; ce doit être l'objet du projet de service. Tant les cadres que les élus portent la responsabilité des choix discriminants et des priorités à fixer, quand manifestement on ne peut pas tout faire parce qu'on est submergé au regard des moyens dont on dispose. Voilà un défi de taille. Certains s'y attellent, d'autres beaucoup moins.
La protection de l'enfance est bien une mission tout à fait singulière de l'action sociale générale. Il est frappant de constater que l'évaluation de l'information préoccupante, qui à mes yeux est une des missions de la protection de l'enfance parmi les plus difficiles, bien plus encore que l'investigation judiciaire que je connais bien, soit confiée aux professionnels les moins formés et les moins spécialisés, parce qu'elle est souvent assumée dans les départements par l'action sociale polyvalente. J'ai le plus grand respect pour la polyvalence de secteur, mais il est n'est pas possible de conduire une telle mission sans être spécialement identifié comme appartenant à un collectif de travail désigné, avec une organisation de travail tout à fait singulière et une formation particulière. Faire une évaluation d'information préoccupante dans le cadre de violences intrafamiliales et accompagner une personne très marginalisée en fin de vie, ce sont deux choses très différentes : des ressorts, des organisations de travail et des garanties différentes sont en jeu. Nous avons parfois eu tendance, dans des organisations très transversales de départements, à fondre les missions, en pensant que tous les professionnels pouvaient exercer toutes les missions, PMI, ASE, service social départemental, etc. À force de considérer que tout le monde peut tout faire, nous gérons moins bien les complémentarités que quand les coeurs de métier et les identités sont clairement affirmés, et que l'ouverture est souhaitée, pour que les uns et les autres collaborent en partant de leur coeur de métier. D'où l'intérêt des projets de service, pas toujours effectifs dans les départements.