C'est un plaisir de participer au Printemps de l'évaluation pour la deuxième année consécutive. L'année dernière, mes travaux avaient porté sur les dispositifs d'aide fiscale à l'investissement, dans le cadre de la réforme des aides économiques outre-mer. Cette année, j'ai décidé de porter mon attention sur les plans de convergence outre-mer et sur le plan d'action pour l'avenir de Mayotte.
Avant d'aborder ces deux thèmes, je pense qu'il n'est pas inutile de dire quelques mots sur l'exécution 2018. Comme 2017, l'année 2018 a été marquée par des aléas de gestion qui ont contraint l'exécution. Il s'est agi, en particulier, des crises sociales qui ont éclaté à Mayotte au mois de mars 2018 et à La Réunion en fin d'année. 2018 a aussi été l'année de la mise en oeuvre de certaines dispositions de la loi sur l'égalité réelle outre-mer (« ÉROM ») ; des mesures décidées après la tenue des Assises des outre-mer ; de la mise en oeuvre du plan Guyane ; du début de la reconstruction de Saint-Martin, durement frappée par le cyclone Irma ; et du scrutin référendaire en Nouvelle-Calédonie. Dans ce contexte, les crédits exécutés se sont établis à 2,3 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 2,1 milliards d'euros en crédits de paiement.
Nous devons signaler un dynamisme imprévu du montant des exonérations de cotisations sociales applicables aux entreprises ultramarines. La mission Outre-mer rembourse en effet à la sécurité sociale ces exonérations, dont le montant représente 55 % des dépenses de la mission et dont l'évolution est difficilement prévisible. Les erreurs de prévision de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) sont ainsi fréquentes, ce qui a, malheureusement, un impact majeur sur la mission. La Cour des comptes propose d'ailleurs que l'ACOSS prenne en charge une partie des surcoûts liés à ses erreurs de prévision.
Bien que les crédits exécutés soient supérieurs à la prévision en loi de finances initiale, on constate une sous-consommation par rapport à l'ensemble des crédits ouverts sur l'année – crédits ouverts par la loi de finances rectificative et par des mouvements réglementaires compris. Elle concerne principalement les crédits du programme 123 Conditions de vie outre-mer, qui financent les interventions du ministère en faveur de politiques structurantes dans les outre-mer. Sans entrer dans le détail, la sous-consommation en autorisations d'engagement est purement optique et le montant des dépenses engagées en 2018 pratiquement égal au montant prévu en loi de finances initiale. En revanche, s'agissant des crédits de paiement, on constate une sous-consommation à hauteur de 70,5 millions d'euros des crédits, qui n'ont pu être ni utilisés ni reportés. Je comprends qu'il s'agit de projets pour lesquels des factures n'ont pas pu être produites ou de projets qui ont pris du retard en raison de difficultés dans la maîtrise d'ouvrage.
Les politiques financées par le ministère des outre-mer ont en effet cela de particulier qu'elles sont mises en oeuvre par des opérateurs tiers : les collectivités territoriales et les organismes de logements sociaux notamment. La sous-consommation constatée a révélé quelques dysfonctionnements dans le pilotage de la dépense et dans son exécution. Quelles actions envisagez-vous, madame la ministre, pour remédier à ces problèmes ? Surtout, qu'envisagez-vous pour soutenir les collectivités et les organismes de logements sociaux dans leur maîtrise d'ouvrage ? L'Agence nationale de la cohésion des territoires ne me paraît pas être une réponse suffisante.
Je souhaite maintenant aborder mes thèmes d'évaluation, à commencer par les plans de convergence outre-mer, un nouveau type d'outil de programmation contractuel, créés par la loi ÉROM, qui devaient être élaborés conjointement, dans chaque département et région d'outre-mer (DROM), par l'État, les collectivités d'outre-mer de l'article 73 de la Constitution et les établissements publics intercommunaux, avant le 1er juillet 2018. Dans les collectivités de l'article 74 et en Nouvelle-Calédonie, ces plans sont facultatifs. Selon la loi, les plans de convergence doivent ensuite se décliner en contrats de convergence, qui seront, en fait, les anciens contrats de plan État-région (CPER) dans les DROM.
Les plans de convergence devaient se distinguer des dispositifs existants par l'ampleur de leur champ et leur inscription dans le temps long. Ils étaient destinés à fixer un horizon commun à tous les dispositifs de programmation existants, ainsi que des orientations stratégiques et de long terme pour parvenir à l'égalité réelle. Ils devraient donc prévoir une résorption des écarts de développement. À lire les dispositions de la loi ÉROM et de ses travaux préparatoires, ces plans ne doivent pas être de simples déclarations d'intention. Ils doivent prévoir les mesures et actions visant à mettre en oeuvre de façon opérationnelle leurs objectifs de réduction des écarts de développement. La loi prévoit également qu'ils doivent comprendre une programmation financière pluriannuelle.
Or, plus de deux ans après sa promulgation, seuls deux plans de convergence ont été conclus. Le retard s'explique notamment par la nécessité de prendre en compte le bilan des Assises des outre-mer. J'ai l'impression que l'élaboration de ces plans est tâtonnante et je redoute que l'on ait un peu perdu de vue leurs ambitions d'origine. Je ressens une sorte de décalage entre l'engouement suscité par la création de ces plans en 2017 et le sentiment d'inachevé qu'ont certains des signataires potentiels aujourd'hui.
J'espère que les plans de convergence qui restent à conclure seront fidèles à l'intention du législateur, qu'ils dessineront des orientations stratégiques de long terme et guideront des contrats de convergence ambitieux. La réduction des écarts de développement à long terme implique que des moyens adéquats soient mobilisés. Je souhaite que les contrats de convergence ne soient pas seulement une nouvelle appellation des CPER, mais que les financements de l'État permettent de donner toute leur portée aux dispositions de la loi ÉROM. Enfin, je préconise d'associer rapidement les services de la Commission européenne à l'élaboration des plans de convergence, pour que les objectifs de développement et les indicateurs soient en cohérence avec ceux des programmes opérationnels européens.
Concernant le plan d'action pour l'avenir de Mayotte, j'y ai effectué un déplacement début janvier pour suivre son application. Pour rappel, il a été lancé en mai 2018, après une crise sociale de grande ampleur qui s'est déclenchée au mois de mars et a duré plusieurs semaines. Madame la ministre, vous avez présenté un plan de cent vingt-cinq actions réparties en cinquante-trois engagements et en huit axes. Pour le moment, sa mise en oeuvre est, d'après ce que j'ai pu constater, globalement satisfaisante, même si le plus dur reste à faire. Il avait été chiffré, à l'époque, à 1,3 milliard d'euros.
Les mesures de l'axe « Sécurité, justice, immigration » sont toutes appliquées et les premiers résultats sont là. Sans entrer dans le détail, les moyens terrestres et maritimes de lutte contre l'immigration clandestine, venant principalement des Comores, ont été renforcés. Le nombre d'interceptions et de reconduites à la frontière a mécaniquement augmenté. Cette amélioration de la lutte contre l'immigration clandestine montre à quel point les services de l'État manquaient jusqu'alors de moyens pour assurer leur mission. Je pense, d'après les travaux que j'ai menés, qu'il faudrait aller un peu plus loin pour être complètement à la hauteur du défi. Il manquerait encore, au minimum, trois intercepteurs, une vedette côtière de surveillance maritime et un hélicoptère, pour considérablement réduire le flux migratoire. Je pense qu'il est également nécessaire de renforcer la coopération avec les Comores. Un projet d'aide au développement de 150 millions d'euros a été annoncé en décembre dernier. Où en est-on, madame la ministre ?
Les engagements de l'axe « Entreprises et économie » du plan, qui contenait des mesures d'urgence et des mesures de long terme, ont quasiment tous été tenus. Les mesures structurantes des autres axes – « Santé », « Éducation », « Solidarité », « Logement », « Infrastructures », « Accompagnement des collectivités » – sont en cours de réalisation. Les investissements sont lourds et les moyens financiers sont là. Je pense qu'à Mayotte plus qu'ailleurs, il est nécessaire de mieux accompagner les collectivités dans la maîtrise d'ouvrage. Dans le cadre du plan, une plateforme d'ingénierie devait être rapidement mise à disposition des collectivités du territoire ; mais elle se fait toujours attendre. J'espère que cette situation va vite être résorbée. Où en est-on, madame la ministre, de sa création ?
Enfin, je veux vous alerter sur le problème d'attractivité du territoire pour les fonctionnaires de l'État. Leur situation financière s'est détériorée ces dernières années avec la réforme de certaines indemnités, ce qui semble incompréhensible, compte tenu des problèmes d'attractivité du territoire. À mon sens, plusieurs mesures d'ordre réglementaire doivent être prises pour remédier à la situation. Je les ai listées dans mon rapport. Plus généralement, je crains qu'un cercle vicieux ne soit à l'oeuvre. Le problème fondamental de l'attractivité de l'île tient, selon moi, à un manque de services publics dans de nombreux domaines, comme la santé ou l'éducation. Or l'une des causes de ce manque réside précisément dans le défaut d'attractivité du territoire pour ceux qui font fonctionner ces services publics. Il faut rapidement briser ce cercle vicieux.
Pour résumer, madame la ministre, l'exécution budgétaire 2018 est en hausse, mais elle appelle quelques questions. J'espère que les plans de convergence qui seront signés préserveront l'ambition initiale du législateur. Je constate que le plan d'action pour Mayotte suit son cours, mais j'aimerais que l'on renforce l'expertise technique de l'État et des collectivités dans le territoire.
Enfin, je tiens à remercier les services de l'État à Mayotte pour leur accueil ; la Cour des comptes, que j'ai pu auditionner, pour son analyse de l'exécution ; votre cabinet et vos services pour leur disponibilité ; vous-même, madame la ministre.