Intervention de Annick Girardin

Réunion du mardi 4 juin 2019 à 17h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Annick Girardin, ministre des outre-mer :

La Réunion est la seule à ne pas avoir redonné de l'argent sur le programme 123, notamment sur le Fonds exceptionnel d'investissement (FEI) et les accompagnements de projets, mais elle en a rendu beaucoup sur la LBU, ce qui pose une vraie question sur le logement.

Il ne s'agit pas pour moi de défendre les deux dernières années, ou en l'occurrence l'année 2018. Je vous le dis en toute transparence et sans agressivité : nous avons tous intérêt à prendre le stylo et à essayer de transformer la manière dont on travaille ensemble, car l'an prochain, il y aura encore moins d'exécutions puisque l'enveloppe a augmenté. En 2018 et 2017, nous avons respectivement consommé 2,217 milliards et 2,20 milliards – ce n'est donc pas un problème de crédits. Nous avons rendu de l'argent parce que nous n'avons pas mobilisé suffisamment sur les projets. Oui, ce que je dis peut fâcher, oui il y a un problème de financement dans les collectivités. Les délais de paiement ont augmenté de 15 % à La Réunion, de 70 % en Guadeloupe, de 84 % en Guyane et de 110 % à Mayotte, ce qui montre bien la fragilité des collectivités. Cela signifie que des factures ne sont pas payées, qu'elles ne remontent pas au ministère et qu'en fin de compte, ce sont des crédits de paiement qui ne sont pas envoyés. 80 % des collectivités d'outre-mer sont en réseau d'alerte, ce qui est dû sans doute à un manque de ressources et pas uniquement à une mauvaise gestion. C'est pourquoi le Président de la République a parlé de fonds de péréquation pour que 84 millions d'euros supplémentaires soient répartis dans les différentes collectivités d'outre-mer. Mais il faut savoir qu'il y aura des gagnants et des perdants, parce que des critères devront être imposés pour une question d'équité. Il est important de rappeler tout cela. Je suis venue devant vous pour vous dire qu'il faut qu'on travaille autrement.

Au mois de juin, les préfets procéderont à une mission de revue des crédits et je réattribuerai sur des projets matures les crédits qui n'auront pas été engagés par les collectivités, parce qu'on ne peut pas à la fois faire l'objet de toutes les critiques et ne pas fixer des règles d'organisation. Je sais que cela engendrera des problèmes parce que tout le monde n'est pas prêt à fonctionner à ce rythme-là. Mais nos concitoyens d'outre-mer attendent des réponses de notre part : ils attendent des routes, de l'eau, des logements. Et il faut pouvoir répondre à leurs demandes. Notre mode de fonctionnement n'est pas optimal. Je m'inclus dans la critique car moi aussi j'avais quelques petites choses à régler dans ma propre maison. Certes, elles ne dataient pas d'aujourd'hui. Mais j'ai l'habitude de ne pas remettre le couvercle si l'eau bout mais plutôt de baisser le gaz, ce qui permet que la solution apportée soit plus pérenne.

La défiscalisation est un autre élément important de nos politiques outre-mer. En la matière, il convient d'améliorer les contrôles. Je ne suis pas certaine que les subventions soient plus économes qu'un euro de défiscalisation, mais peut-être faut-il en débattre davantage. La question de la complexité des dossiers d'agrément et des délais afférents est en discussion. S'agissant de la défiscalisation sur les opérations de plein droit, les frais d'intermédiation atteignent 50 % du coût total, et ils sont de 20 ou 35 % lorsque les projets sont validés par Bercy. On parle aussi de l'existence de rétrocommissions, systèmes sur lesquels toute la transparence doit être faite. Pour les opérations de plein droit, je proposerai donc un contrôle plus important, mais pas en dernière limite comme on le fait a posteriori sur des dérapages qu'on pourrait constater.

Monsieur Claireaux, vous m'avez interrogée sur la difficulté de consommation des crédits sur le logement. Alors que l'objectif était de construire 10 000 logements neufs en 2018, seulement 8 500 ont été réalisés. Là encore, de nombreux projets ont été reportés, pour des raisons administratives me dit-on – des permis de construire qui n'ont pas été délivrés, des problèmes de foncier qui n'ont pas été réglés. Je n'ignore pas non plus que la suppression de l'APL-accession a donné un coup de frein aux opérations dans les territoires d'outre-mer. Enfin, les prix ont augmenté de 15 % dans la construction neuve et de 150 % en ce qui concerne la réhabilitation. De telles hausses sont inacceptables, et j'aimerais qu'on m'explique comment une telle explosion est possible en si peu de temps. Tout cela est peut-être dû aussi aux retards de paiement, à la difficulté de sortir des marchés. Il convient donc de créer un cercle vertueux afin d'apporter de vraies réponses. Nous y parviendrons en travaillant ensemble et avec les collectivités.

S'agissant de la LBU, la consommation est supérieure de 50 % à Mayotte et de plus de 20 % en Guyane par rapport aux estimations, et c'est tant mieux. Là encore, il faut définir une méthode de projet, c'est-à-dire considérer qu'un projet n'est financé que lorsqu'il est mûr et qu'il doit être étudié par tous les services de l'État pour ne pas qu'il soit bloqué une fois que les autorisations d'engagement ont été données, parce qu'un élément du dossier aura été oublié. Cette méthode sera rappelée à l'ensemble des préfets, qui seront prochainement réunis à Paris. Des réponses seront apportées également dans le cadre de la conférence logement qui a été lancée le 31 janvier 2019, à laquelle beaucoup participent, et qui s'achèvera au mois de juin. Il faut travailler à la baisse des coûts de la construction et de la rénovation des logements dans les territoires d'outre-mer et à un meilleur accompagnement des collectivités. Il faudra surtout être au rendez-vous pour se saisir de l'outil qui va remplacer l'APL-accession puisque c'est un engagement que nous avons pris mais qui, et je le dis en toute honnêteté, n'est pas encore totalement défini au niveau interministériel.

Monsieur Ratenon, les crédits sont bien là, y compris d'ailleurs pour 2019. J'y veille, mais je ne pourrai pas tout faire toute seule. Il faut inverser cette logique dramatique dans les territoires d'outre-mer, sinon nous ne serons pas à la hauteur de nos espoirs. Alors que les mesures prises au niveau national avancent, nous serons confrontés à de grandes difficultés si nous ne sommes pas au rendez-vous de la réorganisation de l'utilisation des crédits d'État et européens.

Prenons l'exemple de Saint-Martin. Si nous ne sommes pas, comme je le voudrais pourtant, au rendez-vous, c'est que les capacités de reconstruction, qu'il s'agisse des entreprises ou de la main-d'oeuvre, sont insuffisantes. La collectivité a fait le choix, dès l'origine, de ne pas permettre l'entrée de nouvelles entreprises sur le territoire, mais de faire travailler les entreprises locales. Développer l'emploi local est une chose, mais les capacités sont rapidement atteintes.

Bénédicte Peyrol m'a interrogée sur le Fonds vert. L'enveloppe a bien été maintenue à 21 millions d'euros en exécution ; un report de l'année précédente, qui n'a pas été consommé, se trouve toujours à l'AFD. Via l'agence, 4 millions d'euros supplémentaires sont consacrés à l'assistance de maîtrise d'ouvrage, dont 2 millions d'euros sur les projets environnementaux. L'ensemble des projets AFD sont orientés vers la trajectoire 5.0, notamment vers l'objectif « zéro vulnérabilité ».

Monsieur Nilor, je partage votre inquiétude : il est indispensable que nous redonnions aux jeunes des raisons d'espérer. Ce besoin est criant sur tous les territoires, nous l'avons entendu à La Réunion, lors des crises en Guyane et à Mayotte, à Saint-Martin après la destruction de l'île. Les jeunes se sont exprimés, et nous devons être au rendez-vous. Nous devons répondre collectivement à ceux qui se sont formés et qui veulent revenir sur les territoires mais n'y trouvent pas leur place, et à ceux qui y sont restés. Cela nécessite d'améliorer la coordination globale et l'accompagnement des territoires et des collectivités.

Doit-on garder le FEI pour les collectivités, ou, si elles ne peuvent pas consommer la totalité des crédits, l'ouvrir à des projets privés, des projets de chambres consulaires, qui pourraient ainsi bénéficier d'un cofinancement ? C'est une question que je me pose, mais à laquelle je ne peux répondre seule : il serait intéressant que nous en discutions. J'aimerais que vous acceptiez, comme moi, de regarder les choses en face. Nous sommes confrontés à un problème de capacité, que nous ne réglerons pas d'un coup d'un seul : il faut que la dynamique se lance, et cela prendra du temps. Ce n'est pas un problème nouveau, mais personne ne l'a pointé comme nous le faisons.

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