En tant que rapporteur spécial d'une partie des crédits de la mission Cohésion des territoires, j'examine l'exécution budgétaire des programmes Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables, Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat et Aide à l'accès au logement.
Les mois qui viennent de s'écouler ont montré que le logement et l'hébergement d'urgence étaient au centre des préoccupations des Français. Je concentrerai mes questions sur ce point, mais j'interrogerai aussi le ministre sur la Guyane, un département où son administration a une place prépondérante, et dans lequel j'ai pu me rendre pour travailler sur la question du foncier.
S'agissant du programme Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables, l'exécution s'éloigne peu de la prévision, et les efforts de sincérisation budgétaire ont été salués par la Cour des comptes. Un peu plus de 2 milliards d'euros auront été consommés, alors que 1,9 milliard de crédits avaient été ouverts en loi de finances pour 2018, auxquels il convient d'ajouter 60 millions d'euros en loi de finances rectificative. Toutefois, le sujet de la spécialité budgétaire demeure : la porosité avec le programme 303, Immigration et asile, qui prend en charge les demandeurs d'asile et les réfugiés, continue de peser financièrement sur le programme.
Par ailleurs, si le plan « Logement d'abord » prend de l'ampleur, avec une légère montée en charge des créations de places, notamment dans les pensions de famille, le recours aux nuitées hôtelières reste important : 13,5 millions d'euros, contre 4,5 millions d'euros en 2017, ont été ajoutés pour faire face aux situations exceptionnelles. De même, il a fallu débloquer 34,5 millions d'euros supplémentaires pour pérenniser les 5 000 places d'hébergement d'urgence ouvertes l'hiver dernier, ce qui signifie que nous avons toujours des difficultés à traiter les sorties de centres d'hébergement. Monsieur le ministre, quel premier bilan tirez-vous du plan « Logement d'abord » ? Quelles sont ses insuffisances en 2018 et ses marges de progrès pour 2019 ?
Concernant les aides au logement, 2018 a vu la première année de mise en oeuvre de la réduction du loyer de solidarité (RLS). Elle s'est plutôt bien déroulée, malgré les craintes, et je salue la signature de conventions entre l'État et les organismes de logement social. Les acteurs sont finalement convaincus de l'intérêt de cette réforme.
Quelles orientations avez-vous prises pour faire en sorte que les organismes d'HLM qui ne trouveraient pas de partenaires, et qui se trouveraient seuls avec leurs locataires en difficulté, puissent s'associer à d'autres bailleurs ?
Enfin, prenant acte que l'État sait mal où et quand les logements sociaux qu'il agrée se construisent, nous avions adopté une résolution concernant le suivi et le pilotage de la production de logements sociaux. Un plan d'action permet aujourd'hui de la mettre en oeuvre.
Dans le cadre du programme de travaux d'évaluation de la commission, mon rapport porte cette année sur l'accès et la gestion du foncier en Guyane. J'ai eu la chance de pouvoir me rendre dans ce département ; je vous livre mon appréciation sur ce sujet, après avoir échangé avec de nombreux acteurs.
Le territoire guyanais constitue, pour la puissance publique, un défi en matière d'aménagement du territoire. Sa croissance démographique, de 2,5 % par an depuis 2011, est sans commune mesure avec celle de la métropole. Estimée à 300 000 habitants au 1er janvier 2019, la population devrait atteindre 450 000 habitants en 2050 selon l'INSEE. L'Institut estime donc nécessaire de construire plus de 4 500 logements par an, au lieu des 1 850 logements produits en moyenne chaque année.
L'offre de logements, insuffisante, est de surcroît inadaptée aux besoins du territoire. L'enquête logement de 2013 a montré que 14 % des ménages guyanais vivaient dans des logements surpeuplés. Les familles dont la mère est âgée de moins de 30 ans comptent en moyenne huit enfants – je vous laisse imaginer la vie dans les cages d'escalier des immeubles qui comptent quatre T4 par palier, sur quatre étages sans ascenseur.
D'après la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement de la Guyane, plus de 10 000 logements pourraient être qualifiés d'indécents, sans compter les 38 000 constructions illicites ou informelles qui se développent en raison de l'inadaptation de l'offre. L'État et les acteurs locaux ont du mal à résorber les problèmes sanitaires, environnementaux et d'ordre public inhérents à ces quartiers illicites. J'ai pu visiter l'un d'entre eux, aux environs de Cayenne. Je ne suis pas certain que la solution soit la démolition ; sans doute faut-il imaginer de les viabiliser pour qu'ils cessent de polluer les territoires où ils sont implantés illégalement. Il faut appliquer le principe de réalité, et sans doute celui de différenciation.
Enfin, le territoire manque d'infrastructures publiques et de réseaux primaires. Je disais à Mme Girardin, ministre des outre-mer, que nous auditionnions avant vous, que dans les quartiers de logements construits, on ne voit pas les écoles, mais les terrains destinés à les accueillir.
Selon la Caisse nationale des allocations familiales, les aides au logement représentent 70 millions d'euros, à destination de 17 000 allocataires, en augmentation de 47 % par rapport à 2011. L'État intervient également du côté de l'offre, en finançant via la ligne budgétaire unique (LBU) – la construction de logements sociaux et très sociaux.
J'en viens au foncier, sujet au coeur des solutions et source de crispations. Se pose d'abord la question de son propriétaire. L'État possède environ 95 % du territoire, les personnes privées seulement 1,4 %. Nombre de constructions privées occupent le domaine public. L'État, pourtant engagé, manque d'une vision globale sur le foncier. Les parcelles cadastrales ne reflètent pas totalement la réalité. Il peut ainsi arriver qu'une propriété change de propriétaire sans que l'acte notarié soit transmis au service cadastral ; des successions s'opèrent sur des maisons construites sur terrain d'autrui ou sur terrain de l'État. De plus, les rues de quartiers entiers ne portent pas de nom, ce qui empêche toute collecte d'impôts locaux, de taxe foncière ou d'habitation. Le versement des aides au logement peut en revanche s'effectuer, puisqu'il faut seulement justifier de sa situation personnelle et fournir un relevé d'identité bancaire. Enfin, les services de l'État ne disposent pas de toutes les informations sur les projets en cours. La commune de Saint-Laurent-du-Maroni, qui connaît une forte croissance démographique et devrait prochainement devenir la ville la plus peuplée du territoire, n'a ainsi transmis que cinq permis de construire en 2018.
La disponibilité et l'aménagement du foncier posent problème. Le foncier a fait l'objet de fortes revendications lors des événements d'avril 2017, et les accords de Guyane prévoient la cession de 400 000 hectares aux Amérindiens et de 250 000 hectares aux collectivités territoriales. Or le processus paraît aujourd'hui délicat à mettre en oeuvre, tant du point de vue des acteurs locaux que de celui de l'État.
Afin de répondre à l'urgence du logement, une opération d'intérêt national – OIN –, portée par l'Établissement public foncier et d'aménagement de Guyane (EPFAG), a été lancée en 2016. Vingt-quatre périmètres ont été identifiés pour y conduire des opérations d'aménagement d'ampleur, incluant à la fois des logements, des équipements publics et l'aménagement des réseaux. Je note au passage qu'il n'existe pas en Guyane de plans de déplacements urbains : on est capable de construire des logements sans savoir quelles sont les routes que leurs habitants empruntent pour s'y rendre !
Si les études opérationnelles ont été lancées, et pour certaines livrées, la question du modèle économique de l'OIN reste entière. Le programme 135, dont je rapporte les crédits, a financé les études à hauteur de 3,6 millions d'euros sur deux ans, mais aucun crédit n'est prévu dans la loi de finances pour 2019. Or des crédits importants devront être alloués si l'on souhaite que l'OIN monte en puissance et produise au moins 1 000 logements par an. Peut-être faudra-t-il qu'à l'instar des établissements publics en métropole, ce dernier trouve ses propres ressources fiscales sur place pour assurer le portage des opérations d'aménagement ?
Ma dernière question concerne la répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales. Le rapporteur spécial des crédits de la mission Outre-mer, Olivier Serva, s'est rendu à Mayotte et a fait état d'une situation similaire : les besoins sont importants et l'offre inadaptée. En Guyane, les collectivités, qui se trouvent toutes en réseau d'alerte, éprouvent des difficultés à conduire une réelle politique d'aménagement du territoire. Ne faudrait-il pas que l'État s'implique davantage et partage avec elles les compétences d'aménagement et d'urbanisme, d'autant qu'il existe sur place un établissement public national ?
Je conclurai en remerciant les personnes rencontrées lors de mon déplacement, qui m'ont permis de comprendre la situation difficile de ce département.