Je présenterai l'analyse de l'exécution des crédits de la mission Engagements financiers de l'État avant d'exposer mon sujet d'évaluation, qui concerne l'obligation assimilable du Trésor verte, émise par la France depuis janvier 2017.
Du point de vue de l'exécution, il apparaît que les dépenses liées à la charge de la dette et de la trésorerie de l'État sont supérieures de 344 millions d'euros à la prévision de la loi de finances initiale (LFI). En effet, l'inflation a été plus forte qu'anticipé, ce qui entraîne un surcoût lié aux titres de dette qui sont indexés sur elle. Toutefois, la charge de la dette de l'État a diminué de 0,2 milliard d'euros par rapport à 2017, tandis que l'encours de la dette a progressé de 70 milliards d'euros, s'établissant à 1 756 milliards.
Cette situation est tout à fait exceptionnelle : à mesure que la dette de l'État augmente, la charge de la dette diminue. Cela illustre un contexte macroéconomique et financier tout à fait particulier, avec des taux historiquement bas et une politique monétaire qui reste accommodante. Néanmoins, je voudrais rappeler l'engagement de la majorité parlementaire de maîtriser l'endettement de l'État, malgré ces conditions de financement très favorables.
En 2018, le besoin de financement s'est établi à 192 milliards d'euros, au lieu des 202,6 milliards d'euros anticipés en LFI. Cela est lié à un déficit à financer plus faible que prévu.
Le programme Appels en garantie de l'État présente un niveau de sous-exécution conforme aux exercices précédents – 44,6 millions d'euros au lieu de 104,1 millions d'euros. Cela illustre la prudence des prévisions du Gouvernement en matière d'appels en garantie. Par ailleurs, je me félicite d'avoir obtenu la transmission du rapport sur l'exécution des autorisations de garanties accordées en loi de finances, prévu à l'article 24 de la loi de programmation des finances publiques de 2018 et du tableau d'inventaire des garanties recensées de l'État (TIGRE), que j'avais demandé l'année dernière lors de ces travaux d'évaluation. Notre Printemps de l'évaluation sert bien à quelque chose ! Ces rapports présentent des informations intéressantes sur les garanties accordées par l'État.
Je tiens à saluer le fait qu'aucune autorisation d'octroi de garantie n'ait figuré en loi de finances rectificative (LFR) de fin d'année, contrairement à ce qui s'est passé lors des exercices précédents. Il s'agit, selon moi, d'une véritable avancée pour le Parlement. Les autorisations de garantie de l'État méritent en effet de figurer en loi de finances initiale, afin de permettre aux parlementaires d'analyser et de débattre de ces dispositions dans des conditions pleinement satisfaisantes.
L'exécution du programme Épargne est en sous-consommation par rapport à la LFI, comme lors des exercices précédents. Cela illustre le désintérêt des épargnants à l'égard des prêts d'épargne logement et des comptes épargne logement, dont les taux ne sont pas compétitifs par rapport aux taux de marché. Cependant, le programme Épargne retrace trente dépenses fiscales représentant environ 5,9 milliards d'euros. Je relève que, parmi ces dépenses fiscales, onze ne sont pas chiffrables et trois ont un montant insignifiant, inférieur à 0,5 million d'euros – autrement dit, près de la moitié des dépenses fiscales recensées dans le programme sont concernées. Madame la secrétaire d'État, pourrions-nous envisager la mise en place d'un travail visant à la suppression de certaines d'entre elles lors de la prochaine loi de finances, afin de contribuer à la simplification de la fiscalité française ?
Enfin, le programme Dotation du Mécanisme européen de stabilité présente une dépense de 100 millions d'euros en 2018, alors qu'il n'était doté de crédits ni en loi de finances initiale ni en loi de finances rectificative. Cette dépense est liée à la décision prise par la France de rétrocéder les intérêts perçus par la Banque de France sur le capital placé par le Mécanisme européen de stabilité (MES) auprès de celle-ci, sous réserve d'un engagement similaire d'un autre État membre. Il apparaît que seule l'Allemagne applique un mécanisme similaire. Un décret du 26 décembre 2018 a ainsi ouvert 100 millions d'euros sur ce programme et annulé un montant équivalent sur la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles de la mission Crédits non répartis. Je ne peux que regretter l'absence de dotation en LFI et en LFR, qui remet en cause la sincérité de la budgétisation du programme. Si la dépense n'était pas certaine en 2018, elle était hautement probable. Par ailleurs, la Cour des comptes conteste l'utilisation des crédits non répartis pour le financement du programme.
Madame la secrétaire d'État, pouvez-vous nous dire ce qu'il en est pour l'exercice 2019 ? Faudra-t-il de nouveau financer une rétrocession des intérêts perçus par la Banque de France sur le capital placé par le MES auprès de celle-ci ? Si cette perspective était probable, pourrions-nous convenir de prévoir cette dotation dès la prochaine LFR, afin d'accroître la sincérité budgétaire de ce programme ?
J'en viens à la thématique d'évaluation de cette année, qui concerne donc l'obligation souveraine verte émise par la France. En janvier 2017, l'Agence France Trésor (AFT) a émis pour la première fois une obligation assimilable du Trésor (OAT) verte. Une OAT verte est un titre d'émission de dette pour lequel l'émetteur s'engage vis-à-vis des investisseurs à ce que les fonds soient utilisés pour financer des dépenses vertes.
Les quatre objectifs de l'OAT verte française visent à l'atténuation du changement climatique, à l'adaptation au changement climatique, à la protection de la biodiversité et à la réduction de la pollution de l'air, du sol et de l'eau. Un dispositif de sélection des dépenses a été mis en place par différentes directions de l'administration, notamment le Commissariat général au développement durable (CGDD) et le ministère de l'économie et des finances.
D'une maturité de vingt-deux ans, l'OAT verte a été émise à un taux de 1,75 %, pour un montant de 7 milliards d'euros, ce qui en fait l'obligation souveraine verte de référence la plus importante en taille et la plus longue en maturité jamais émise. Près de 200 investisseurs ont apporté leur soutien à cette émission. L'obligation a été réémise plusieurs fois. Le montant de l'encours de l'OAT verte s'élève désormais à 16,5 milliards d'euros. Elle permet de financer des dépenses vertes du budget général de l'État et du programme d'investissements d'avenir (PIA), ainsi que des dépenses fiscales qui représentent une grande majorité des dépenses. Le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), notamment, est inclus dans les dépenses financées par cette émission de dette ; il représente une part importante des dépenses éligibles. Les fonds levés sont gérés selon les principes d'universalité budgétaire et financent un montant équivalent de dépenses vertes éligibles. Je vous invite à vous référer au rapport sur les allocations de l'OAT verte, qui présente un tableau très complet des dépenses financées par cette émission de dette verte.
Cette innovation française s'inscrit dans un contexte de développement mondial du marché des obligations vertes : celui-ci a atteint un volume d'émissions de 521 milliards de dollars entre 2007 et 2018, dont 167,6 milliards de dollars en 2018. Les États ne sont pas les seuls à utiliser cet instrument : les entreprises s'en servent également. L'année dernière, l'émission d'obligations souveraines vertes a représenté près de 10 % du volume global du marché, avec de nouveaux émetteurs tels que l'Indonésie, la Belgique ou l'Irlande.
Par ailleurs, le marché des obligations vertes se structure progressivement, à travers l'édiction de principes ou de lignes directrices à destination des émetteurs. La Commission européenne a notamment lancé une initiative en faveur de la finance durable, qui vise à mettre en place une taxonomie européenne des dépenses vertes et à définir une norme européenne pour les obligations vertes. Je souligne, à cet égard, que ces sujets sont éminemment politiques : ils ne doivent absolument pas être cantonnés à un débat d'experts. Or, à la suite des auditions que j'ai menées, j'éprouve quelques craintes à cet égard : les discussions menées au sein de la Commission européenne semblent réservées à des experts. À un moment donné, le politique devra avoir son mot à dire sur le classement des dépenses vertes.
L'un des enjeux de l'OAT verte pour la France est de participer à l'établissement d'un standard de marché mondial – en termes de sélection des dépenses éligibles et d'évaluation qualitative. J'aimerais, madame la secrétaire d'État, que vous me rassuriez sur la classification des dépenses et sur les négociations qui sont en cours au niveau de l'Union européenne.
Concernant le bilan de l'outil, j'ai centré mon analyse de l'OAT verte française sur deux aspects : d'une part, les enjeux budgétaires, y compris pour le contribuable – autrement dit, il s'agit de savoir si l'OAT verte est avantageuse, ou bien au contraire neutre par rapport à une OAT normale – et, d'autre part, l'efficience en termes d'impacts environnementaux.
S'agissant des avantages et des inconvénients, je commencerai par observer – même si cet élément n'entre pas dans le cadre des deux aspects sur lesquels je me suis concentrée – que Bercy a travaillé de manière étroite avec le ministère de la transition écologique et solidaire. De la même façon, les services du CGDD et l'AFT ont travaillé main dans la main. La transversalité est un élément essentiel et un point positif de ce nouvel objet.
D'un point de vue financier, il apparaît que l'émission inaugurale de l'OAT verte et les abondements subséquents ont eu lieu dans des conditions de financement globalement comparables à celles d'une OAT normale et de maturité similaire. Un léger différentiel de taux en faveur de l'OAT verte a même pu être identifié, de l'ordre de 0,1 à 0,2 point de base par rapport au taux théorique pour une obligation de même maturité ou de même duration. Ce léger différentiel de taux permettrait de couvrir les coûts administratifs induits par la gestion de l'OAT verte.
Celle-ci est donc neutre pour le contribuable. Cet équilibre entre l'intérêt de l'investisseur et celui du contribuable pourrait cependant être interrogé en cas de remontée des taux d'intérêt. Lors des auditions, les investisseurs ont souligné qu'ils n'étaient pas prêts à « mettre plus » pour acheter une OAT verte. Toutefois, les Pays-Bas, qui ont émis leur première OAT verte il y a peu de temps, peuvent constituer un contre-exemple.
L'OAT verte permet également de capter de nouveaux investisseurs, avec un horizon de placement plus long, qui est adapté aux dépenses environnementales.
J'en viens à l'aspect écologique. Les rapports au sujet de l'OAT verte permettent d'obtenir une vision transversale des mesures qui sont financées par cet outil. En novembre dernier, un rapport du CGDD, évaluant l'impact du crédit d'impôt pour la transition énergétique, a été remis au conseil d'évaluation de l'obligation verte. Il souligne que le CITE contribue bien évidemment au respect par la France de ses objectifs en matière d'atténuation du changement climatique.
Toutefois, je souhaite souligner que l'évaluation des dépenses financées par l'OAT verte est exclusivement d'ordre environnemental : il ne s'agit pas d'évaluer l'efficacité et l'efficience de la dépense en termes économiques ou sociaux – critères qui s'appliqueraient à un outil comme les sustainable bonds, mais ne sont pas pertinents pour l'OAT verte, car tel n'est pas l'objectif de cette obligation. S'il convient de souligner la qualité de l'évaluation de l'impact environnemental, je me demande par ailleurs s'il est judicieux de laisser l'État se contrôler lui-même : pourrait-on imaginer que des organismes extérieurs participent à l'évaluation de l'impact des actions financées par l'OAT verte ?
Concernant le champ des dépenses, il convient de rappeler que les green bond principles ne prévoient pas d'inclure les dépenses financées par les taxes affectées ni celles d'organismes pouvant eux-mêmes contracter une obligation. Il peut sembler utile d'élargir le périmètre des dépenses vertes éligibles en incluant des dépenses actuellement financées par des ressources affectées – je pense au compte d'affectation spéciale (CAS) Transition énergétique. Il convient d'étudier attentivement cette proposition. J'aimerais vous entendre sur ce point également, madame la secrétaire d'État.