Intervention de Nicolas Forissier

Réunion du mercredi 5 juin 2019 à 16h20
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicolas Forissier, rapporteur spécial (Commerce extérieur) :

Je commencerai par rappeler un triste constat, connu de tous : le déficit commercial est l'un des plus mauvais indicateurs économiques de notre pays. Il est en effet estimé, pour les seuls échanges de biens, à 60 milliards d'euros en 2018 et il se détériore, notamment en raison de la facture énergétique, en hausse de près de 7 milliards.

Pourquoi la France fait-elle beaucoup moins bien dans ce domaine que la plupart de ses concurrents européens ? De fait, l'Allemagne atteint des excédents records : ceux-ci s'élevaient à 250 milliards d'euros en 2016, à 248 milliards en 2017 et diminuaient légèrement en 2018, pour s'établir à 228 milliards. Ainsi, en ce qui concerne les échanges de bien, le delta Allemagne-France est proche de 300 milliards, et ce depuis de longues années !

Cependant, la situation n'est pas forcément désespérée. L'Italie est en effet passée d'un déficit de 30 milliards en 2010 à un excédent qui a atteint 51,5 milliards en 2016 et s'est maintenu à 47 milliards en 2017. Quant à la situation du Royaume-Uni, elle est bien pire que celle de la France, puisqu'Eurostat évalue son déficit à 180 milliards en 2017.

Une fois ce constat dressé, comment comprendre de telles différences ?

Les facteurs structurels – compétitivité globale de notre économie, positionnement de gamme, innovation... – jouent, bien entendu, un rôle important, voire primordial. Trop d'impôts pèsent sur nos entreprises, donc sur notre compétitivité. Je rappelle que, chaque année, l'industrie française acquitte 70 milliards d'impôts de production de plus que l'industrie allemande.

Mais une partie de l'explication tient également aux structures et outils mis en place par chaque État pour soutenir les exportations, ce que l'on appelle le dispositif public d'appui à l'export et à l'internationalisation des entreprises. C'est ce point que j'ai voulu étudier dans mon rapport. J'ai donc comparé, sous cet aspect, la situation de notre pays à celle de l'Allemagne et à celle de l'Italie. En effet, n'importe quelle entreprise étudie ses concurrents : ses produits, sa démarche marketing, son outil de production, ses prix... J'ai donc adressé aux principaux opérateurs français un questionnaire afin de connaître les données de comparaison à leur disposition. Or, quelle ne fut pas ma surprise lorsque j'ai constaté que ni la direction générale du Trésor, ni le réseau des CCI, ni le MEDEF n'étaient en mesure de m'apporter la moindre réponse, en dehors de quelques idées générales ! Business France – mais je ne les incrimine pas, car ils sont en pleine réforme – m'a adressé un certain nombre d'éléments, mais je crois que l'on peut aller beaucoup plus loin. En résumé, nous avons tout à faire dans ce domaine. En effet, nous ne pouvons pas nous contenter des statistiques internationales de l'Organisation de coopération et de développement économiques, de l'Organisation mondiale du commerce ou du Fonds monétaire international, dont les études se limitent aux éléments macroéconomiques et ne portent ni sur l'aspect qualitatif ni sur les dispositifs publics de soutien à l'export. Du reste, je vous annonce, madame la secrétaire d'État, à moins que le Gouvernement ne confie une mission à un parlementaire sur ce sujet, que je vais poursuivre ce travail, en tant que rapporteur spécial, au cours des mois et des années à venir. Ce devrait être à l'exécutif de réaliser une telle étude, mais puisqu'il ne le fait pas, le Parlement va s'en saisir.

J'ai commencé mon étude comparative en esquissant les grandes lignes des dispositifs publics allemand et italien. Selon les informations que j'ai pu obtenir, les masses budgétaires consacrées au soutien à l'export semblent proches en France, en Allemagne et en Italie. Dans ces trois pays, la part étatique de ces financements s'élève à un peu plus de 200 millions d'euros, mais elle est complétée par une part régionale qui ne fait pas, hélas, l'objet d'une consolidation nationale. Il est donc difficile, à ce stade, d'établir une véritable comparaison des grandes masses budgétaires, puisque le périmètre d'intervention des acteurs n'est pas toujours le même et que la part « export » des politiques économiques ou des différents réseaux n'est pas toujours identifiée.

En Allemagne, le soutien à l'export est organisé par le ministère fédéral de l'économie et de l'énergie. Il s'appuie sur l'agence Germany Trade & Invest (GTAI), qui peut être comparée à Business France. Cette agence met à disposition des informations sur les marchés étrangers et accompagne les entreprises sur ces marchés, grâce à sa présence dans cinquante pays. L'Allemagne s'appuie surtout sur son réseau de CCI, qui est très puissant. Elle dispose également d'une structure qui n'a pas d'équivalent en France : la Fédération des salons et des foires (Ausstellungs- und Messe-Ausschuss der Deutschen Wirtschaft – AUMA). L'Allemagne est en effet un leader mondial dans ce domaine : environ 160 à 180 foires et salons internationaux s'y déroulent chaque année, représentant 180 000 exposants et accueillant jusqu'à 10 millions de visiteurs. Je n'oublie pas, mais je dispose de très peu données dans ce domaine, le rôle que peuvent jouer, directement ou indirectement, les länder.

En Italie, le commerce extérieur est une compétence partagée entre l'État et les régions. L'Italie a procédé à une profonde réforme de son dispositif de soutien à l'internationalisation des entreprises, lancée sous le gouvernement de Mario Monti à compter de 2012. Au niveau de l'État, l'Italian Trade Agency, équivalent de Business France, est compétente en matière de promotion à l'étranger du « Made in Italy » et d'attraction des investissements en Italie. Dans les régions, les guichets pour l'internationalisation des entreprises sont désormais hébergés par les chambres de commerce italiennes, dont le nombre est passé de 105 à 60 depuis 2016. Ces restructurations ont permis de faire émerger des outils communs.

Au-delà des structures, j'ai cherché à identifier les bonnes pratiques étrangères dont nous pourrions nous inspirer en France. J'en ai retenu quatre.

Premièrement, il me paraît nécessaire d'encourager les synergies entre les acteurs publics, comme l'a très bien fait l'Italie. Nous devons ainsi soutenir la mise en oeuvre efficace de la Team France Export et des outils qui l'accompagnent : la plateforme des solutions et le CRM (Customer Relationship Management) commun. À cet égard, je tiens à saluer le déroulement de cette réforme : il ressort des auditions et de mes rencontres avec les chefs d'entreprise que les différents acteurs s'impliquent et semblent plutôt confiants quant à son aboutissement. Cependant, je ne peux que m'inquiéter, en tant que rapporteur spécial, de son financement : la subvention pour charges de service public de Business France, si elle a été maintenue en 2018, se détériorera dans les années à venir. Et je ne parle pas des ressources des CCI, dont vous savez qu'elles ont été considérablement réduites. Comment le Gouvernement compte-t-il maintenir l'effort consenti, sans crédits suffisants ? Encore une fois, je suis inquiet.

À ce propos, Bpifrance, qui est un des atouts de notre pays, dispose d'un outil particulièrement utile aux entreprises : l'assurance prospection, qui s'adresse essentiellement, à hauteur de 90 %, aux PME-PMI de moins de cinquante salariés. Comme je l'ai fait en 2018, je tiens à souligner le problème de financement de cet outil puisque le budget 2019 alloue à cette activité 43,5 millions alors que Bpifrance estime que près de 100 millions seraient nécessaires pour financer, en année pleine, ses contrats d'assurance prospection ! Quels engagements le Gouvernement peut-il prendre dans ce domaine ?

Deuxièmement, il convient de structurer l'organisation par filière. Italiens et Allemands « chassent en meute ». Le manque de solidarité entre les entreprises françaises à l'export est un handicap. L'Italie a créé, grâce au Sistema paese, des cadres de regroupement par filière afin d'agréger les PME en réseaux. Le soutien français s'est trop longtemps focalisé sur les grandes entreprises. Le Gouvernement est-il décidé à s'attaquer à ce problème, au-delà des solutions de portage qui n'ont jamais véritablement fonctionné ?

Troisièmement, nous devons accroître la présence française sur les salons, indispensables au développement des PME. Je n'ai pas suffisamment d'éléments pour faire la lumière sur cette question, mais beaucoup de chefs d'entreprise français me disent que le coût de ces salons est bien moindre pour leurs concurrents italiens et allemands, qui bénéficient, dans ce domaine, d'un soutien fédéral et régional. Que compte faire le Gouvernement pour accentuer son effort en faveur de la présence française dans les salons, qui sont, avec l'assurance prospection, le principal outil de développement des entreprises à l'international ? J'ajoute que j'ai pu observer le Gouvernement allemand, y compris la Chancelière elle-même, est très présent dans ces manifestations, en Allemagne et à l'étranger, et crée ainsi des événements politiques. C'est aussi un moyen de soutenir ses entreprises. En France, les gouvernements – c'est une vieille habitude française – ne sont pas assez présents dans les salons.

Enfin, il faut promouvoir une marque pays. En effet, la réussite à l'export s'appuie également sur la capacité d'un pays à promouvoir sa marque, à rendre désirables ses produits à l'étranger. Ainsi le « Made in Germany » est-il associé à la qualité et à la robustesse. Les tentatives de promotion des produits français n'ont pas été concluantes : l'initiative « Creative France » n'a pas remporté le succès escompté. En revanche, des projets de filière, notamment la French Tech, semblent bien plus efficaces pour positionner la France sur des créneaux dynamiques et innovants. Qu'entendez-vous faire pour poursuivre et étendre de façon systématique ces actions de promotions aux autres filières ?

Vous aurez compris, madame la secrétaire d'État, que ma principale question porte sur la capacité de l'État à établir une comparaison dans la durée de notre politique avec celles des pays concurrents et à s'inspirer de leurs bonnes pratiques et de leurs tarifs, car nous sommes en concurrence. Or, pour gagner la bataille de l'export, il faut s'appuyer sur des comparaisons internationales.

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