Intervention de Valérie Rabault

Réunion du mercredi 5 juin 2019 à 16h20
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Rabault, rapporteure spéciale (Participations financières de l'État ; Participation de la France au désendettement de la Grèce ; Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics) :

Le champ du rapport spécial comporte trois comptes spéciaux dont deux d'affectation spéciale : les participations financières de l'État, la participation de la France au désendettement de la Grèce – ceux dont je vais parler ce soir –, le troisième étant le compte de concours financiers Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics.

Je vais tenter de formuler mes questions aussi précisément que possible afin que nous puissions avoir des réponses également aussi précises que possible ! En 2018, l'État a perçu –au titre de ses participations dans des sociétés non financières – le montant de dividendes le plus faible depuis 2012 – 2,5 milliards d'euros, contre une moyenne de 3,8 milliards entre 2012 et 2017. Le précédent montant le plus faible était de 2,8 milliards d'euros. Avec les privatisations que vous envisagez, ce montant risque mécaniquement de baisser encore puisque, si l'État détient moins de titres, il recevra moins dividendes. Est-ce un aspect que le Gouvernement a pris en compte ? Comment comptez-vous gérer ces moindres recettes budgétaires ?

Le compte spécial relatif aux participations de l'État a un rôle important : c'est le véhicule budgétaire qui permet de mesurer le rôle et la place de l'État actionnaire dans notre économie. Deux particularités se dégagent de l'exercice 2008 : le niveau des mouvements – des achats et des ventes – est inférieur à la moyenne des dix dernières années durant lesquelles l'État vendait en moyenne pour 5 milliards d'euros et investissait également pour 5 milliards d'euros chaque année ; en outre, habituellement, quand l'État achète des titres, les dépenses sont financées par des recettes équivalentes au sein du CAS. Or, en 2018, les dépenses de 4 milliards d'euros ont été financées par des recettes moindres – 2,6 milliards –, ce qui a nécessité de piocher dans le solde du CAS au 31 décembre 2017. Par conséquent, ce solde a été significativement réduit, à 1,5 milliard d'euros au 31 décembre 2018. Au fil des ans, allez-vous ramener ce solde à zéro ? Cela ne risque-t-il pas de limiter très significativement la stratégie actionnariale de l'État ?

La loi de règlement sert normalement à comparer l'exécution par rapport aux crédits votés en loi de finances, afin de nous permettre d'évaluer la manière dont le Gouvernement met en oeuvre la loi que nous avons votée. Je l'ai déjà dit à l'occasion des débats sur tous les projets de loi de finances depuis juin 2017, s'agissant des participations de l'État, l'exercice est un peu « bidon » : nous votons tous les ans 5 milliards d'euros de recettes et 5 milliards de dépenses, afin d'éviter que l'État actionnaire ne mette trop d'informations sur le marché. Quand les sociétés ont besoin d'être recapitalisées par l'APE, ce qui avait été le cas en 2017, l'État pioche dans le budget général.

Madame et monsieur les secrétaires d'État, je vous repose donc la question que j'ai déjà posée à M. Bruno Le Maire, envisagez-vous une évolution ? En l'état, la loi de règlement n'a aucun sens...

L'année 2018, contrairement à 2017, a vu la création du fameux FII, doté de 1,6 milliard d'euros en « cash » et de 8,4 milliards d'euros de titres EDF et Thales, valorisés aujourd'hui à 10,2 milliards d'euros. On aurait donc logiquement pu s'attendre à des investissements dédiés à l'innovation de rupture, puisque c'est l'objectif de ce fonds. Pourtant, aucun n'a été réalisé en 2018. La Cour des comptes l'a d'ailleurs souligné. Envisagez-vous d'investir au moins un euro en 2019 ? Dans son rapport, la Cour des comptes use de termes très durs contre ce fonds. Je l'avais moi-même qualifié d'usine à gaz dès 2017. La Cour des comptes a émis une recommandation n° 10 visant à substituer au Fonds un dispositif de soutien à l'innovation inclus dans le budget général.

Pour ma part, l'année dernière, comme en 2017, je vous avais proposé de modifier la LOLF pour que l'APE puisse percevoir les dividendes des titres qu'elle détient – il est logique qu'un actionnaire perçoive ses dividendes. En loi de finances, nous aurions ensuite déterminé le montant des dividendes versé au budget général de l'État, celui destiné à financer l'innovation de rupture et celui conservé par l'APE. Ce serait à la fois plus lisible et plus logique. La Cour des comptes propose une autre solution. Plus polie que moi, elle ne qualifie pas votre dispositif d'usine à gaz, mais je persiste, c'en est une ! J'espère que vous n'allez pas laisser la situation en l'état.

L'APE compte cinquante-cinq agents. Le Parisien et Le Monde s'en sont faits l'écho, le Premier ministre a dit vouloir étudier la suppression ou la fusion de toutes les structures et agences de moins de cent agents. Madame et monsieur les secrétaires d'État, cela signifie-t-il que vous allez fermer l'APE ou la fusionner avec un autre organisme ? On parle d'une circulaire ; je ne l'ai pas lue, mais elle semble avoir fuité.

J'en viens à mon sixième point – j'en ai sept. Pendant les débats sur le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (« PACTE »), M. Le Maire a tenté de nous rassurer : si l'État actionnaire a connu des faiblesses par le passé, cela ne va pas se reproduire, notamment s'agissant de la privatisation d'Aéroports de Paris (ADP) – qu'à ce stade nous avons bloquée avec le référendum d'initiative partagée (RIP). J'espère d'ailleurs que nous allons la bloquer jusqu'au bout, en obtenant toutes les signatures.

Or, en 2018 et même début 2019, plusieurs faits semblent contredire ses propos. Ainsi, le 16 avril dernier, la cour administrative d'appel de Paris a annulé la procédure de vente des parts de l'État dans la société de l'aéroport de Toulouse-Blagnac (ATB). Cela souligne les faiblesses juridiques de la vente. Il est d'ailleurs curieux de constater que l'État n'a pas dépêché d'avocats pour le représenter à la cour d'appel, même si je suis satisfaite du jugement.

Deuxième exemple, qui concerne l'État actionnaire – et non les participations de l'État : le 14 juin 2018, le président de General Electric vous a informé qu'il ne respecterait pas son engagement de créer mille emplois. Or l'autorisation de fusion avait été délivrée en 2014 par le ministre de l'économie, Emmanuel Macron, sur la base de cet engagement et du décret n° 2014-479 du 14 mai 2014 sur les investissements étrangers soumis à autorisation préalable. Pourquoi n'avez-vous pas écrit à General Electric pour lui indiquer que le non-respect de son contrat l'obligeait à verser à l'État français 50 000 euros par emploi non créé ? L'État doit se faire respecter en tant qu'actionnaire. Je n'ai jamais eu de réponse à ma lettre en date du 14 juin 2018... Avez-vous reçu l'argent ? Si c'est le cas, cela me convient !

Ma dernière question sur les participations de l'État concerne la valorisation du portefeuille de l'APE, estimé à 110 milliards d'euros : 75 % est constitué de titres cotés – leur valorisation est simple puisqu'il suffit de se fonde sur leur cours boursier – mais 25 % du portefeuille est constitué de titres non cotés qui ne sont pas réévalués chaque année. La Cour des comptes vous a enjoint de réaliser une réévaluation annuelle. Même si c'est complexe, cela semble aller de soi. L'envisagez-vous ?

Nous avons déjà eu l'occasion de discuter à plusieurs reprises du compte relatif à la participation de la France au désendettement de la Grèce. En 2015, comme la Grèce n'avait pas souhaité remplir complètement les conditions de son second programme d'assistance financière de juillet 2014, le dispositif de rétrocession des intérêts a été suspendu. Ce dispositif devait être réactivité en 2018 et la France s'était alors engagée à reprendre les versements. Madame et monsieur les secrétaires d'État, pourquoi cet argent n'a-t-il toujours pas été rendu aux Grecs ? Ces derniers ont ainsi contribué à réduire le déficit public de la France de 1,16 milliard d'euros...

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