Le changement climatique est commencé. Selon le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), il ne reste que douze ans pour tenter d'en limiter les graves conséquences. Le récent rapport des experts de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) acte le début de la sixième extinction de masse des espèces. C'est dire l'urgence de la situation ! La multiplication des événements climatiques extrêmes nous montre que nous ne pouvons ni ne devons rester spectateurs. Une action publique ambitieuse au service d'une transition écologique qui modifie radicalement nos modes de consommation, de production et d'échanges est indispensable. Elle doit être menée par un État stratège. C'est en ce sens que nous avons récemment demandé au Parlement de déclarer l'état d'urgence écologique et climatique, ce qui nous a été refusé.
Analyser l'exécution des crédits de la mission Écologie en 2018, c'est constater que le Gouvernement n'a pas pris la mesure de l'urgence. Les crédits votés fin 2017 montraient clairement que les enjeux écologiques et climatiques passaient au second plan. Plus grave, les crédits de la plupart des programmes ont été rognés et sous-exécutés. Les opérateurs de l'écologie sont particulièrement maltraités, avec des crédits budgétaires en baisse et des coupes dans leurs effectifs qui ne répondent qu'à une logique comptable. Ainsi que je l'avais indiqué lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2018, ils apparaissent comme des variables d'ajustement. Or ces établissements publics si négligés devraient au contraire être confortés et renforcés. Ce sont des outils indispensables à une politique publique de transition écologique et solidaire qui ne se limiterait pas à un intitulé ministériel.
Parmi les bizarreries dont les opérateurs ont été victimes en 2018, je voudrais citer : la mise en place d'un circuit de financement de l'Agence française pour la biodiversité (AFB) et de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage par le biais des ressources fiscales des agences de l'eau (281 millions d'euros en exécution contre 294 millions prévus au budget initial), ces ressources se substituant à la subvention pour charges de service public ; la mise en place du « plafond mordant » sur les ressources des agences de l'eau (2,28 milliards d'euros en 2018, puis 2,105 milliards à partir de 2019), assortie d'une ponction de 200 millions d'euros sur la trésorerie des agences ; le rattachement au programme 159 des crédits de l'économie sociale et solidaire, soit 12,9 millions d'euros consommés en 2018, et du Commissariat général au développement durable (CGDD), à hauteur de 13,7 millions d'euros, ce qui nuit fortement à la lisibilité de ce programme auparavant constitué des seules subventions pour charges de service public de Météo France, de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) et du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA).
La désinvolture avec laquelle vous traitez les crédits de l'écologie s'est fait jour dès la discussion du PLF en séance publique. En effet, ces crédits ont été, comme à l'habitude, mis à contribution par les amendements présentés par le Gouvernement en seconde délibération. Ces amendements, je le rappelle, taillent à l'aveuglette dans les crédits, afin de compenser les mesures nouvelles adoptées au cours de la discussion. Entre le PLF et la loi de finances rectificative (LFR) pour 2018, ce sont quelque 12 millions d'euros qui ont été escamotés sur l'ensemble de la mission, dont 4,7 millions pour le seul programme Prévention des risques.
En gestion, ces crédits ont de nouveau fait l'objet d'annulations, qui représentent, en crédits de paiement hors titre 2 : – 2,4 % pour le programme Paysages, eau et biodiversité ; – 1,1 % pour le programme Expertise, information géographique et météorologie ; – 5,3 % pour le programme Prévention des risques ; – 2,6 % pour le programme Conduite et pilotage des politiques de l'écologie, du développement et de la mobilité durables.
Vient ensuite la sous-exécution proprement dite. Monsieur le ministre, comment justifiez-vous que les crédits du programme Paysages, eau et biodiversité n'aient été exécutés qu'à hauteur de 88 %, et les crédits du programme Prévention des risques à hauteur de 94 % ? Pourquoi l'autorisation budgétaire délivrée par le Parlement est-elle prise, j'insiste sur le mot même s'il ne vous plaît pas, avec tant de désinvolture ? Pourquoi les politiques publiques de l'écologie ne sont-elles pas au rendez-vous, alors que personne ne conteste leur absolue nécessité ?
Puisque l'heure est au « conseil de défense écologique », je vous invite à prendre exemple sur votre homologue chargée de la défense. Elle, au moins, ne prend pas à la légère les crédits qui sont affectés à son département ministériel et peut se prévaloir d'un taux d'exécution proche de 100 %. Mais il se peut que vous soyez contraint par d'autres règles.
J'en viens au thème de mon évaluation, qui porte sur les réductions d'effectifs au sein du ministère de la transition écologique et solidaire et de ses opérateurs. Alors que ce ministère est essentiel, il subit depuis des années des coupes gravissimes.
La principale de ces règles s'énonce simplement : moins 2 %. C'est le rythme annuel de la baisse des effectifs du ministère : 801 équivalents temps plein annuel travaillé (ETPT) exécutés en 2018, pour arriver à un effectif de 40 250 ETPT, soit 3 300 de moins qu'en 2015. Le plafond d'emplois fixé en loi de finances initiale est systématiquement sous-exécuté, année après année. Entre 2009 et 2018, les effectifs du ministère de la transition écologique et solidaire sont passés de 67 261 ETPT à 40 250 ETPT, ce qui représente plus de 27 000 ETPT perdus. Si vous n'êtes pas responsable d'une situation dont vous avez hérité, je constate que vous n'inversez pas cette tendance malheureuse.
En outre, la Cour des comptes relève, en 2018 comme en 2017, une tendance à la déqualification des personnels du ministère. Entre 2014 et 2018, par rapport aux schémas d'emplois initiaux, le ministère a détruit 521 emplois de catégorie A, au-delà des cibles, tandis qu'il créait 873 emplois de catégorie C. Monsieur le ministre, comment expliquez-vous cet extravagant malthusianisme ? Comment comptez-vous faire sans l'appui d'ingénieurs et de techniciens hautement qualifiés et expérimentés ? En matière de prévention des risques, le nombre d'inspections des sites classés a été divisé par deux en quinze ans. Le ratio moyen est actuellement d'un inspecteur pour 420 sites.
Moins 2 %, c'est également la règle d'airain à laquelle sont soumis les opérateurs. Pourtant, dans les agences de l'eau, à l'AFB, à Météo France, à l'IGN, au CEREMA, à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS), les plafonds d'emplois en baisse sont souvent sous-exécutés pour préserver un minimum de crédits d'investissement. Ce qui est en jeu ici, c'est un capital humain et intellectuel inestimable – il suffit d'aller visiter ces opérateurs pour le savoir –, c'est la préservation et la transmission des savoirs et des compétences, c'est aussi leur maintien dans la sphère publique.
S'il est un domaine où le tout-marché a démontré qu'il ne pouvait absolument rien réguler, c'est bien celui de la biodiversité, de la pollution et du dérèglement climatique, qui ne peuvent pas obéir à la logique du court-termisme. En la matière, l'intérêt général est entièrement tributaire de l'engagement des pouvoirs publics. Au regard de l'exécution des crédits de l'écologie en 2018, vous conviendrez, monsieur le ministre, que nous sommes très loin du compte ! Notre maison brûle de plus en plus vite, et vous n'apportez que des seaux d'eau – dont vous avez pris le soin de vérifier qu'ils ne coûtent pas trop cher – pour tenter d'éteindre l'incendie. Comme c'est insuffisant pour répondre à l'urgence que vous dénoncez vous-même !