Cette proposition de résolution est bien entendu alléchante. Qui d'ailleurs, parmi nous, y regarderait à deux fois ? Néanmoins, je n'y crois pas du tout, hélas. Pourtant, vous êtes certainement sincère, madame la secrétaire d'État, car vous n'avez pas encore atteint l'âge où on ne l'est plus ; mais cela ne m'empêche pas de ne pas croire en ce texte.
Je le disais tout à l'heure : en France, l'État est à la fois un symbole et un outil, auquel les Français sont bien sûr très attachés. Il faut toutefois reconnaître que, depuis une trentaine d'années, il n'est plus ni l'un ni l'autre : nous nous sommes éloignés du fonctionnement normal de notre République – dont on a dit pis que pendre, alors qu'elle est la seule au monde à permettre au Président de rester à la tête du pays pendant un épisode comme celui des gilets jaunes, ce qui est la marque d'une Constitution en béton armé ! Nous avons donc connu des déviations…
Si le Président nouveau, issu d'un rêve, d'un fantasme – réunir les meilleurs à droite, au centre et à gauche pour enterrer définitivement le vieux monde – , avait dit « je reconstruis l'État, j'en fais de nouveau un symbole et un outil », et s'il s'en était expliqué à la télévision d'abord, devant les chambres ensuite, en donnant mission aux députés d'organiser des débats, sur leurs territoires, à propos du rôle du Parlement et de ses capacités de contrôle, j'aurais peut-être pu y croire. Mais je n'ai rien entendu sur les raisons de la dette de la France. D'où vient que nous soyons endettés à ce niveau ? Où sont les cathédrales, les arcs de triomphe, les grands projets fulgurants comme ceux qui ont été menés il y a quarante ou cinquante ans ? Il n'y a rien, rien, sinon une soumission totale aux États-Unis ; bien sûr, on ne le laisse pas croire, on donne le change, mais nous fonctionnons comme eux. Voilà.
Vous vous souvenez certainement avec quel acharnement nous avons interrogé les ministres et secrétaires d'État successifs qui vont ont précédée, madame la secrétaire d'État, pour savoir ce qu'il en était du projet d'accord de libre-échange avec le Canada, et comment votre prédécesseur, sous la dernière législature, nous disait : « Je ne peux rien répondre, car la France n'est au courant de rien ; cette affaire est conduite directement par l'Europe » ! Que je sache, nous faisons partie de l'Europe… Moi-même, j'ai obtenu cette réponse. Cela ne nous a pas empêchés ensuite, au dernier moment, lorsque tout était fini, d'avoir un débat complètement tronqué qui débouchera sur l'accord définitif. Il en va de même de l'accord avec les Américains. Pourtant, nous le savons bien, c'est là le plus important pour l'avenir de notre pays qui est en jeu !
Dernier exemple, qui engage moins directement l'Assemblée nationale : le Président, le Premier ministre, le Gouvernement savaient, quarante-huit heures avant – que dis-je ? une semaine avant – les élections européennes, qu'une entreprise allait déposer le bilan, avec les conséquences terrifiantes que cela pouvait comporter. Eh bien, rien n'a été dit : on a laissé les Français voter et on les a informés après. Cela ressemble-t-il de près ou de loin à l'idée que nous nous faisons de la France ou même de celui qui fut à l'origine de la Ve République ?
Je ne voterai pas votre texte : il est magnifique, mais trop magnifique pour moi.