Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du mercredi 19 juin 2019 à 21h30
Règlement du budget et approbation des comptes de l'année 2018 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

À entendre le Gouvernement, il faudrait se congratuler pour les résultats obtenus sur le budget de 2018. Qu'en est-il réellement ? L'année 2018 a été marquée par une gestion des dépenses de l'État conforme à la prévision initiale, c'est vrai. Les dépenses continuent néanmoins à progresser, même si, je le reconnais bien volontiers, elles le font à un rythme moins soutenu.

Globalement, la hausse du déficit a été contenue à un niveau significativement inférieur à celui qui était prévu par la loi de finances initiale. Pourtant, pour la première fois depuis 2014, et après trois ans de quasi-stabilité, le déficit budgétaire de l'État s'est accru en 2018, passant de 67,7 milliards d'euros en 2017 à 76 milliards en 2018, soit 23,4 % des dépenses nettes du budget général, contre 21 % en 2017. En clair, cela signifie que les recettes de la France ne couvrent que neuf mois de dépenses de l'État et que, en 2018, déficit et dette ont continué à augmenter.

Rappelons, si vous le permettez, quelques chiffres-clés. La situation nette des comptes de l'État est fortement négative, à hauteur de 1 296 milliards d'euros au 31 décembre 2018. Ce chiffre ne dit pas grand-chose aux néophytes comme moi, mais il représente quatre années de recettes fiscales ! Et il ne cesse de croître si l'on en croit la Cour des comptes, selon laquelle « en 2006, lors du premier exercice de certification conduit par la Cour, la situation nette des comptes de l'État représentait "seulement" deux années » de produits fiscaux. Cela traduit une très nette détérioration de la situation financière de l'État.

Toujours selon la Cour des comptes, « le passif de l'État représente plus du double de son actif ». Et pour parler plus clairement encore, ce que l'État doit représente plus de deux fois ce qu'il possède. Restons dans le concret : avec 76 milliards d'euros, comme je l'ai dit, le déficit de l'État représente 23,4 % des dépenses nettes de son budget, c'est-à-dire 4 milliards d'euros de plus que les dépenses de la mission « Enseignement scolaire » ou 3 milliards de plus que les recettes de l'impôt sur le revenu.

Alors comment faire ? De fait, la France se signale également par l'un des taux de prélèvements obligatoires les plus élevés du monde, avec 48,4 % du PIB en 2017, selon Eurostat. Je proposerai quelques pistes. La première est la lutte contre la fraude fiscale. Je vous avoue ne pas vraiment adhérer au discours idéologique de certaines ONG, selon lequel l'évasion fiscale des entreprises en France priverait chaque année l'État de 60 à 80 milliards d'euros. Ce chiffrage est largement biaisé, selon le très instructif ouvrage du Cercle des fiscalistes, Les Intox fiscales. Cette surestimation de la fraude fiscale donne malheureusement au Gouvernement l'impression que ce n'est pas à l'État de faire des économies, mais au contraire que ce sont les contribuables qui doivent être davantage contrôlés et réprimés. Cette approche ne me convainc pas : je lui préfère la solution de « détente des taux », proposée par le même Cercle des fiscalistes.

Des solutions, il en existe d'autres. Et puisqu'il faut aborder les sujets qui fâchent, je me livre volontiers à l'exercice. Prenons l'exemple de l'exécution de la mission « Immigration, asile et intégration ». Elle est, une nouvelle fois, marquée par la hausse des demandes d'asile en 2018, avec pour conséquence directe, évidemment, la hausse de l'allocation pour demandeur d'asile. Les crédits de cette mission ont été significativement renforcés dans la loi de finances initiale pour 2018, à hauteur de 10,3 % en autorisations d'engagement et de 25,8 % en crédits de paiement. Mais cela ne suffit toujours pas !

Et ce n'est pas étonnant puisque, selon la Cour des comptes, la programmation des dépenses correspondant à l'allocation pour demandeur d'asile repose sur des hypothèses de délai de traitement des demandes d'asile – soixante jours – et de croissance de leur nombre – 10 % de la demande d'asile globale – qui apparaissent « optimistes », selon le terme de la Cour des comptes – pour ma part, je dirais « très sous-évaluées », au regard des données de l'année 2017 : 185 jours de délai moyen de traitement et une croissance des demandes de 17,3 %.

Selon la Cour des comptes, cette augmentation crée un « risque d'insoutenabilité budgétaire de la mission ». La programmation pour 2019 ne va pas améliorer la situation budgétaire, puisqu'elle prévoit un dépassement du plafond 2019 de 201,7 millions d'euros à périmètre constant. L'estimation est particulièrement insincère au vu des hypothèses avancées : une croissance nulle de la demande d'asile et des délais de traitement de la demande par l'OFPRA de soixante jours, alors que l'on constate déjà une hausse de 6,2 % des demandes d'asile pour les quatre premiers mois de l'année en cours. Les hypothèses sont donc totalement irréalistes, et même à la limite de la mauvaise foi, j'en ai peur !

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