Intervention de Laurent Nuñez

Séance en hémicycle du jeudi 20 juin 2019 à 15h00
Sécurité intérieure — Présentation

Laurent Nuñez, secrétaire d'état auprès du ministre de l'intérieur :

La sécurité des Français est une priorité absolue du Gouvernement, et depuis deux ans, aucun effort n'a été économisé pour la renforcer.

Nous avons, très rapidement, fait voter la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme – SILT.

Nous avons lancé, et amplifié cette année, la police de sécurité du quotidien : une sécurité du sur-mesure, qui s'adapte aux territoires ; une sécurité de la confiance, du terrain, qui conforte le lien entre les Français et leurs forces de l'ordre ; une sécurité du partenariat enfin, qui fait travailler ensemble police, gendarmerie, collectivités locales, polices municipales, acteurs de la sécurité privée.

Nous avons augmenté les moyens de la police et de la gendarmerie. Nous avons prévu la création de 10 000 postes de policiers et gendarmes au cours du quinquennat : 2 000 ont été créés l'année dernière, et 2 500 le seront cette année. Nous renforçons les moyens matériels de notre police et notre gendarmerie. Pour vous donner un exemple concret, et très attendu par nos forces de l'ordre, en 2018, 6 000 voitures neuves ont été commandées ; c'est 1 000 de plus qu'en 2017. En 2019, nous continuons cet effort, avec 5 800 voitures neuves commandées.

Ces avancées, je pense qu'au-delà des clivages, nous pouvons nous en réjouir tous ensemble. Elles offrent aux Français une véritable sécurité et permettent de faire baisser un peu la tension qui pèse sur des forces de l'ordre, éprouvées par les suppressions d'emplois qui ont eu lieu par le passé – certains d'entre vous les ont rappelées, mais il faut toujours s'en souvenir. J'ai entendu que cette responsabilité est assumée, mais je redirai néanmoins que ce n'est qu'à la fin de cette année que nous aurons à nouveau autant de gardiens de la paix que nous en avions en 2007.

Ces coupes claires parmi les effectifs de la police et de la gendarmerie nationale, je crois que plus personne ne les supporte. J'ai l'impression que du chemin a été parcouru depuis, et si c'est bien le cas, je m'en réjouis très sincèrement. Christophe Castaner et moi-même avons toujours été hostiles à ces suppressions d'effectifs et nous le restons aujourd'hui. Le Gouvernement entend bien poursuivre l'augmentation des effectifs.

Mais, nous le savons bien, les effectifs et les augmentations de moyens ne sont pas tout. Il faut aussi une analyse précise, détaillée, prospective de la menace. Or celle-ci, vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, a objectivement évolué. Elle impose une gestion nouvelle de l'ordre public ; elle impose également de prendre en considération une menace terroriste plus importante mais aussi des violences de plus en plus fréquentes, notamment contre les personnes dépositaires de l'autorité publique.

Cette analyse nous permettra d'inscrire dans le marbre de la loi la montée en puissance des moyens de notre police et de notre gendarmerie. Il faudra aussi aborder les problèmes structurels de nos directions et les préoccupations du quotidien de nos forces de sécurité intérieure.

Il nous faut donc procéder avec méthode, procéder dans l'ordre. C'est bien notre idée. Bâtir une loi de programmation nécessite d'abord un état des lieux précis de la menace : c'est l'objet du livre blanc sur la sécurité intérieure annoncé par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, et dont nous allons sans tarder engager la préparation.

Bâtir une loi de programmation demande aussi une concertation large, des échanges avec les syndicats et les instances de concertation de la gendarmerie. Nous les menons depuis des semaines et avançons conjointement avec les organisations syndicales de la police nationale sur les questions déterminantes du temps de travail et des heures supplémentaires.

Bâtir une loi de programmation demande également de consulter des directions, des experts, des élus, et d'établir des comparaisons avec les solutions pratiquées à l'étranger. Cela demande, surtout, de donner la parole aux femmes et aux hommes du terrain, aux policiers et aux gendarmes, qui sont les plus fins connaisseurs de la sécurité intérieure, ainsi qu'aux citoyens, aux Français. C'est ce que nous sommes en train d'organiser ; Christophe Castaner et moi-même sommes résolument engagés dans ce mouvement.

Une loi de programmation se réfléchit, se conçoit, se concerte. C'est un travail de longue haleine que nous ne devons ni négliger ni brusquer.

Aussi, vous comprendrez qu'il est impossible au Gouvernement de soutenir cette proposition de loi, qui est sans doute le fruit de lectures théoriques mais dont les articles méritent d'être confrontés à la réalité, ce que nous allons faire au cours de la discussion.

Ce n'est même pas moi qui pointe le manque de concertation et le caractère peu opportun de ce texte : les organisations syndicales elles-mêmes ont affirmé en commission que ce texte était précipité et qu'il convenait de respecter le processus de négociation engagé. C'est d'ailleurs dans ce dernier cadre, monsieur le rapporteur, que s'inscrit la tribune que vous avez évoquée, publiée dans le Journal du dimanche : émanant de syndicats pour la plupart majoritaires, elle vient nourrir la réflexion en cours et s'inscrit dans le dialogue permanent que Christophe Castaner et moi-même entretenons avec les organisations syndicales.

Nous serions bien présomptueux de prétendre savoir ce qui est bon pour les policiers et les gendarmes sans même les avoir consultés. Plutôt que de parler à leur place, je propose que nous les écoutions vraiment : menons à terme le livre blanc et le dialogue social ; écrivons le projet de loi de programmation de sécurité intérieure. Ce texte, réfléchi et concerté, constituera une base de discussion dont chacun pourra s'emparer.

En effet, je crois profondément à la plus-value du travail parlementaire et à l'enrichissement de nos textes par la discussion en commission et dans l'hémicycle. Je compterai alors sur l'investissement de tous. Christophe Castaner et moi-même ne fermerons aucune porte a priori.

Nous sommes d'autant plus à l'aise pour le dire que la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui identifie de façon pertinente quelques problèmes auxquels nous sommes précisément en train de réfléchir.

L'article 3 du texte, par exemple, s'attelle à la question des heures supplémentaires. C'est évidemment une question qui nous préoccupe. Un stock s'est accumulé depuis des années, une dette s'est construite, que les différents gouvernements ont laissé filer. Oui, c'est un vrai problème, qui mérite de vraies réponses. C'est pourquoi nous avons confié une mission d'audit sur ce sujet à l'inspection générale de l'administration. C'est pourquoi nous sommes aussi convenus avec les syndicats de travailler à une solution : nous échangeons depuis le mois de décembre pour y parvenir.

Mais, pour réussir, préférons le dialogue aux solutions toutes faites.

Une autre question intéressante soulevée par ce texte est celle des polices municipales, aux articles 9 et 10. Je connais bien le travail remarquable des polices municipales ; je connais bien leur qualité et leur engagement pour concourir à la sécurité des Français, avec la police et la gendarmerie. Je crois donc qu'il faut fortifier les liens entre police et gendarmerie d'un côté, et polices municipales de l'autre. Je crois comme vous, monsieur le rapporteur, que nous devons nous efforcer de bâtir ce véritable continuum de sécurité qu'appellent également de leurs voeux dans leur rapport Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue, dont je salue le travail. Établir un tel continuum sera un des objectifs de la loi de programmation de sécurité intérieure.

Là encore, la proposition de loi pèche par impréparation : certaines dispositions ne sont pas constitutionnelles. Ainsi, confier la qualité d'agent de police judiciaire aux agents de polices municipales serait contraire à l'article 66 de la Constitution ; des dispositions proches avaient été censurées par le Conseil constitutionnel en 2011 dans sa décision sur la LOPPSI 2.

Pour le reste, certaines propositions de ce texte peuvent apparaître idéologiques ou inconstitutionnelles, ou alors n'ont pas montré leurs effets – et ces caractéristiques ne sont pas exclusives les unes des autres.

Nous y reviendrons dans la discussion, mais je pense par exemple à l'article 4 sur les peines planchers : au-delà même de la défiance gênante vis-à-vis de l'institution judiciaire qu'une telle mesure implique, je rappelle que les peines planchers n'ont montré aucune efficacité contre la récidive et n'ont pas même conduit à une augmentation significative des peines d'emprisonnement prononcées.

Je pense encore à l'article 5, qui propose des interdictions obligatoires du territoire français alors même que le Conseil constitutionnel a répété plusieurs fois que les peines obligatoires étaient contraires à la Constitution.

Je regrette ces dispositions, car je crois que s'il y a bien un thème où le clivage entre droite et gauche n'a plus cours, c'est celui de la sécurité.

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